Nouvelles

Quoi faire pour les jurés traumatisés ?

Main image

Delphine Jung

2017-05-29 11:35:00

Entre 10 à 15% des jurés développent des syndromes de stress post-traumatiques après le verdict. Que peut faire le système de justice ?

Alain Brunet, chercheur à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas
Alain Brunet, chercheur à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas
En plein procès Magnotta, Alain Brunet, chercheur à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, s’est demandé comment les jurés gèrent la situation. « On ne se rend pas toujours compte que ce devoir civique peut mettre en danger notre santé mentale », explique le chercheur spécialiste du stress traumatique.

Dr Brunet s’intéresse à ces enjeux auprès des militaires, des policiers, des civils, et il a récemment lancé une thérapie novatrice pour les victimes des attentats terroristes en France.

Dans le cas des jurés, peu d’études actuelles existent, notamment à cause du secret qui entoure leur tâche. Il a alors demandé à deux de ses étudiantes de faire une revue de la littérature sur le sujet.

« On s’est rendu compte que 10 à 15 % des jurés qui ont été exposés à du matériel grotesque souffrent de stress post-traumatique », dit-il.

En effet, il rappelle que les jurés sont « forcés de regarder du matériel parfois troublant » et que la notion de « consentement éclairé » est importante dans ce genre de situation. « Les gens devraient être informés des risques qu’ils encourent », dit-il.

Car les dommages peuvent être lourds. « Il y a d’abord les symptômes intrusifs. Sans le vouloir, ils y repensent, en rêvent… Il y a une conséquence d’évitement, de certains lieux, certains sujets de discussion. Cela peut aussi modifier la façon dont on voit le monde qui devient potentiellement menaçant, la nature humaine devient laide et on est en hyper activité, en état de vigilance extrême », explique le chercheur.

Me Patrick Davis
Me Patrick Davis
La loi sur les jurés prévoit en tout cas que les personnes « souffrant d’une déficience ou d’une maladie mentale » sont exemptées. Me Patrick Davis, avocat de la défense ajoute : « une personne qui ne se sent pas assez stable pour être jurés peut le mentionner et le juge peut l’exempter ».

Pour ceux qui restent sur le banc, M. Brunet se demande s’il est toujours nécessaire de leur montrer la totalité des preuves en faisant référence à la vidéo de Magnotta.

La réponse est oui pour Me Davis. « Cette vidéo était essentielle pour la Couronne et pour que les jurés puissent avoir une vision globale », dit-il.

Cette opinion est partagée par Gilles (qui ne souhaite pas divulguer son nom de famille), juré dans une affaire de meurtre. « Ce qu’on nous demande est important, on a entre nos mains le sort d’une personne, alors je pense qu’il faut tout voir. Pour moi, c’est la meilleure façon de prendre une décision », dit-il.

Il raconte ne pas avoir particulièrement mal vécu cette expérience, même si ce n’était pas le cas de tous les jurés de son groupe. « Il y avait une fille, elle a beaucoup pleuré », se souvient-il.


Un programme au Manitoba

Au Manitoba, pour répondre à ces inquiétudes, le « Jury debriefing program » a été implanté en 2009. Ce programme débute quelques jours après la fin du procès et rassemble tous les membres d’un jury ainsi qu’un travailleur social et une assistante. Le shérif est aussi présent pour rassurer les jurés. Cette séance les informe des éventuels symptômes de stress post-traumatiques qu’ils pourraient observer et les invite à échanger sur la manière dont ils ont vécu cette expérience.

D’après le Rapport sur la réforme du jury, seulement 2 des 12 jurés auraient rapporté par la suite des syndromes de stress post-traumatique.

Patrick Davis soutient la démarche. « On s’approche un peu du modèle américain où le jury est libre de parler aux médias. Verbaliser ce qu’on ressent ça fait du bien, alors si ça peut aider... ».

Alain Brunet déplore d’ailleurs que les jurés soient tant protégés : « c’est une sorte de paradoxe parce qu’on ne prend pas soin d’eux de la bonne manière et c’est un obstacle à la recherche scientifique ».

Me Davis de son côté n’a jamais compris pourquoi un tel secret est imposé aux jurés. « Le juge donne ses recommandations, mais on reste des humains. Je suis convaincu que la plupart des jurés parlent de leur expérience à leurs proches en quittant le tribunal. Le confinement est nécessaire pendant les délibérations, mais pas pendant le procès », dit-il.

Au Québec, le règlement sur l’indemnité et location de juré lui donne le droit à un remboursement des séances de psychothérapie, à raison de cinq traitements d’un montant maximum de 65$.

Un rapport rendu public en novembre 2016 contient par ailleurs six recommandations concernant la bonification de l’encadrement du soutien aux jurés. « Nous nous affairons actuellement à mettre en œuvre les recommandations du rapport Bouchard », dit Isabelle Marier-St-Onge, attachée de presse de la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée.
5824

Publier un nouveau commentaire

Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires