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Modifier son uniforme : un moyen de pression illégal!

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Sébastien Parent

2017-11-24 10:15:00

Les ambulanciers portent t-shirt fluo et pantalons de camouflage, alors que leur convention est en vigueur… Sont-ils allés trop loin?, demande cet avocat.

Sébastien Parent doctorant en droit du travail et libertés publiques
Sébastien Parent doctorant en droit du travail et libertés publiques
En août 2013, les paramédics chez la Corporation d’Urgences-santé entreprennent divers moyens de pression pour dénoncer le manque d’effectifs sur la route, et ce, seulement 4 mois après la signature de la nouvelle convention collective.

Se pose alors la question suivante : un syndicat peut-il mettre en branle des moyens de pression pendant la durée d’une convention collective et hors des périodes légales de négociation prévues au Code du travail ?

Les pantalons de camouflage et les t-shirts jaunes : un nouveau style contesté

À titre de premier moyen de pression, les ambulanciers délaissent l’uniforme régulier pour revêtir un t-shirt jaune fluo portant l’inscription « Votre appel est important pour nous. Tenez bon, le temps qu’une ambulance se libère ». Parmi les autres moyens de pression s’intensifiant au fil des mois, ils arboreront également pantalon de camouflage, jeans, couvre-chef et chemise de couleur.

Pourtant, une des clauses de la convention collective - à laquelle le Syndicat avait consenti et qui était bel et bien en vigueur au moment des faits en litige - prévoit clairement que le port de l’uniforme fourni par l’employeur est obligatoire.

S’appuyant sur cette clause, Urgences-santé dépose une série de griefs patronaux pour qu’il soit ordonné aux paramédics de cesser ces moyens de pression jugés illégaux et qu’il leur soit enjoint de se conformer au port de l’uniforme réglementaire.

En défense, le Syndicat du préhospitalier (FSSS-CSN) se rabat sur sa liberté d’association et sa liberté d’expression de même que celles de ses membres, qui selon lui l’autorise à modifier l’uniforme de travail à titre de « moyen de visibilité ».

Les libertés d’expression et d’association ne permettent pas de contrevenir à la convention collective

Dans sa sentence arbitrale du 24 octobre dernier (qui n’est pas encore disponible en ligne), l’arbitre de grief Maureen Flynn distingue deux parties phares du Code du travail.

Il y a tout d’abord la période de négociation collective pendant laquelle les parties ont l’obligation de négocier de bonne foi et peuvent recourir à divers moyens de pression pour créer une contrainte économique à l’égard de leur vis-à-vis.

Puis, il y a la période de stabilité et de paix industrielle qui s’ensuit, où les parties doivent respecter intégralement le contenu de la convention collective. Si une mésentente survient relativement aux conditions de travail, c’est alors à l’arbitre de grief qu’il faut s’adresser plutôt que se faire justice soi-même en faisant appel à des moyens de pression.

Par conséquent, le Tribunal d’arbitrage tranche que le Syndicat ne pouvait appuyer ses revendications sur un moyen de pression contraire à une clause limpide de la convention collective.

Quant à la liberté d’association, l’arbitre de grief conclut à l’absence d’atteinte substantielle puisque le Code du travail vise justement à favoriser et encadrer son exercice. Il est donc difficile de concevoir que le recours à cette même liberté puisse permettre de faire renaître, avec les mêmes droits, une période de négociation échue au sens de la loi.

Il en va de même pour la liberté d’expression, qui « n’est pas un passeport pour ne pas respecter nos obligations contractuelles », d’ajouter l’arbitre. Cette liberté, aussi fondamentale soit-elle, n’autorise pas une violation au texte de la convention collective.

Un assouplissement au port obligatoire de l’uniforme en période de négociation

Les faits de cette affaire sont assez inusités en ce sens que les moyens de pression surviennent à un moment où la phase de négociation est achevée et qu’une convention collective librement négociée est en vigueur. Cette décision réaffirme donc l’objectif fondamental de paix industrielle que sous-tend le régime général de rapports collectifs du Québec.

De surcroît, les libertés d’association et d’expression ne sont d’aucun secours pour un syndicat qui entend contrevenir à la convention collective, dont le contenu dispose d’un caractère contraignant et constitue la « loi des parties ».

Autrement dit, une fois que l’exercice de la liberté d’association a conduit fructueusement à la conclusion d’une convention collective, nulle partie ne peut contraindre l’autre à négocier de nouvelles conditions de travail, encore moins en déclenchant des moyens de pression.

La portée de cette sentence arbitrale ne signifie toutefois pas que la modification de l’uniforme de travail soit un moyen de pression interdit ad vitam aeternam. Sur cette question, la jurisprudence reconnait qu’en période légale de négociation collective, les salariés peuvent, en règle générale, modifier l’uniforme de travail. On se rappellera d’ailleurs nos célèbres policiers « shérif/cowboy » de Châteauguay.

Là encore, le nouvel accoutrement ne doit pas mettre en danger la santé et la sécurité des salariés ou du public, ni véhiculer de messages diffamatoires envers l’employeur.

« L’habit ne fait pas le moine », mais cela a tout de même ses limites…



Me Sébastien Parent est doctorant en droit du travail et libertés publiques à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est aussi chargé de cours à Polytechnique Montréal où il enseigne le droit du travail. Auparavant, il a complété le baccalauréat ainsi que la maîtrise en droit à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Il est également titulaire d’un baccalauréat en relations industrielles de la même institution. Écrivain dans l’âme et procureur devant la Cour suprême du Canada dès le début de sa carrière, Me Parent commente l’actualité récente en matière d’emploi, afin que salariés et employeurs connaissent bien leurs droits et obligations respectifs.
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