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Arrêt Caron: quelles conséquences juridiques ?

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Jean-francois Parent

2018-02-02 11:15:00

La notion d'accommodement raisonnable doit être pris en compte pour les travailleurs accidentés, dit la Cour suprême. Réactions des avocats impliqués dans le dossier...

Notre chroniqueur Sébastien Parent
Notre chroniqueur Sébastien Parent
L’arrêt Caron a créé une secousse, hier, en exigeant que les employeurs accommodent raisonnablement un travailleur invalide, peu importe comment il l'est devenu.

La Commission des Normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST) contestait cet état de fait, alléguant que la Charte des droits de la personne du Québec ne s'applique pas aux travailleurs devenus invalides à la suite d'une lésion professionnelle.

La Cour suprême s'inscrit en faux contre cette interprétation et ajoute donc l'obligation, pour les employeurs et la CNESST, d'appliquer le concept d'accommodement raisonnable aux travailleurs accidentés.

Pour lire l’analyse à ce sujet de notre chroniqueur Sébastien Parent, cliquez ici

C'est parce que la Charte québécoise, notamment ses articles 10 et 16 sur l'égalité d'accès au travail, s'applique en sus du régime d'indemnisation de la CNESST, dit en substance la Cour suprême.

Et ce, même si le régime d'indemnisation québécois est déjà généreux.

Invalidité professionnelle

Me Sophie Cloutier, de Poudrier Bradette à Québec
Me Sophie Cloutier, de Poudrier Bradette à Québec
Rappelons d’abord les faits: un travailleur, Alain Caron, subit une lésion en 2004 alors qu'il occupe son poste d'éducateur dans un centre spécialisé en déficience intellectuelle, le Centre Miriam. La lésion est permanente.

La Loi sur les accidents du travail, administrée par la CNESST, prévoit qu'un travailleur atteint d'une lésion qui l'invalide et le rend incapable d'occuper son poste original, ait accès à tout autre poste « convenable », qui tienne compte de ses limitations et à un salaire équivalent.

Une fois sa convalescence terminée, le Centre Miriam n'a pas de poste « convenable » pour Alain Caron et rompt le lien d'emploi en 2010.

Syndiqué, M. Caron dépose un grief, estimant que l'employeur doit mettre en place des accommodements raisonnables, en vertu de la Charte québécoise. Mais l'arbitre de grief juge que l'affaire est du ressort exclusif de la CNESST, puisque la cause débute par une lésion professionnelle.

La CNESST juge que l'accommodement raisonnable n'est pas de son ressort, une décision confirmée par le Tribunal administratif du travail, qui était à l'époque la Commission des lésions professionnelles.

Pas sur le terrain de la Charte

La juge Rosalie Abella
La juge Rosalie Abella
« On n'arrivait pas à comprendre pourquoi un travailleur atteint d'une invalidité était moins protégé qu'une autre personne déjà invalide avant d'occuper un emploi », explique la Me Sophie Cloutier, de Poudrier Bradette à Québec.

L'avocate, qui représente Alain Caron, avait obtenu gain de cause en Cour supérieure, mais également en Cour d'appel, avant d'emporter le set en Cour suprême. Elle soutient que le régime québécois faisait en sorte qu'il y a deux sortes de travailleurs, soit ceux protégés par la Charte et ceux qui ne le sont pas.

« Face au refus d'accommodement de son employeur, M. Caron ne pouvait pas déposer de grief, car ce n'était pas un dossier syndical, et tant la CNESST comme administrateur de la Loi que le TAT disaient qu'on n'avait pas à appliquer la Charte » dans un régime d'indemnisation, explique Me Cloutier.

Bref, son cas tombait entre deux chaises. La juge de la Cour suprême Rosalie Abella estime d'ailleurs dans sa ratio decidendi que le régime prévu par la Loi québécoise n'est pas assez « robuste », se réjouit Sophie Cloutier.

Agissant à titre d'intervenant dans le dossier qui s'est conclu le jeudi 1er février, le Conseil du patronat du Québec (CPQ) estimait quant à lui que le régime d'indemnisation en vigueur au Québec est déjà très complet et offre de meilleures protections que la Charte, explique Me Guy-François Lamy, vice-président Affaires juridiques du CPQ.

Un régime déjà généreux

Me Guy-François Lamy, vice-président Affaires juridiques du CPQ
Me Guy-François Lamy, vice-président Affaires juridiques du CPQ
« On est dans un régime qui prévoit non seulement le maintien en emploi, mais également le maintien sur le marché du travail si on n'est plus capable d'occuper l'emploi » qu'on occupait avant l'accident, explique Me Lamy, qui n’est évidemment pas content de la conclusion à laquelle arrive la Cour suprême.

Une personne souffrant d'invalidité sans lien avec le travail ne bénéficie pas des mêmes avantages consentis par l'employeur. Avantages qui sont d'ailleurs payés par l'employeur, rappelle Me Lamy. En effet, les coûts de la convalescence et du maintien en emploi d'un travailleur accidenté sont presque entièrement imputés à l'employeur.

Dans son mémoire, rédigé en collaboration avec le chroniqueur de Droit-Inc, Sébastien Parent, le Conseil faisait également valoir que l'obligation d'accommodement ne s'appliquait pas dans le contexte, puisqu'il s'agit de droit privé. « On parle d'une relation entre un employeur et son employé. Le régime d'indemnisation pour lequel on vient d'appliquer l'accommodement à un régime de droit public », plaide Guy-François Lamy.

Il dit craindre que le jugement Caron ne résulte en des contraintes supplémentaires pour les employeurs, mais surtout en un flou juridiques quant aux obligations patronales.
En effet, on imbrique dans un régime public bien défini une obligation plus floue, qui s'interprète au cas par cas.

« Toutes les lois sont soumises à la Charte »

Me Élodie Brunet, avocate chez Lavery
Me Élodie Brunet, avocate chez Lavery
Sophie Cloutier, qui concède que le régime québécois d'indemnisation est généreux, n'en soutient pas moins que les obligations étaient relativement modestes : « on n'avait pas l'obligation de vérifier si toutes les mesures avaient été prises pour trouver un emploi convenable », la vérification se limitant souvent à une simple question.

Maintenant, il faudra documenter la démarche et prouver qu'on a bel et bien tenté de trouver un accommodement raisonnable.

« Cela dit, il ne faut pas oublier que l'appelante, c'est la CNESST, et non pas l'employeur ou le Conseil du patronat... Plusieurs employeurs sont d'accord pour dire que l'obligation d'accommodement manquait à la réglementation », soutient Me Cloutier.

« C'est une mise à jour, car le jugement de la Cour d'appel du Québec faisait en sorte qu’il y avait déjà cette obligation d'accommodation », explique Me Élodie Brunet, avocate chez Lavery.

Celle qui représente souvent les employeurs dans des dossiers d'accidentés du travail affirme que c'est du moins « ce qu'on conseille à nos clients » depuis 2015, quand la Cour d'appel a tranché en faveur d'Alain Caron.

Ayant suivi l'affaire depuis les débuts, elle estime que l'arrêt Caron ne fait que confirmer ce dont on se doutait déjà : « Ce qu'on comprend de ce jugement c'est que toutes les lois sont soumises à la Charte, et qu'il n'y a pas de raison de traiter différemment les employés souffrant d'un handicap causée par une lésion professionnelle. »

L'obligation qu'on impose avec ce jugement, dit-elle, c'est surtout de valider si les mesures ont été mises en place, et comment. « Aux tribunaux qui sont hésitants, on vient dire qu'il faut en tenir compte. », poursuit Me Brunet.

Et pour y arriver, « les employeurs devront mieux documenter leurs processus d'accommodements. Et on a le pouvoir, tant à la CNESST qu'au TAT, de vérifier ces processus », conclut l’avocate.
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