Carrière et Formation

Pot: un avocat plaide pour une plus grande latitude de l’employeur

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Céline Gobert

2018-06-07 11:15:00

À l’heure de la légalisation du cannabis, cet avocat de Morency craint une hausse de la consommation…

Me Jean-François Séguin du cabinet Morency
Me Jean-François Séguin du cabinet Morency
Dans sa conférence intitulée « Quand le médical rencontre le juridique », qu’il a donnée lors de l’Assemblée annuelle de l’Association canadienne des parajuristes du 1er juin, Me Jean-François Séguin du cabinet Morency a évoqué les limites et enjeux de ce qu’il est possible de faire en cas de troubles de dépendances (à la drogue, l’alcool ou aux médicaments) d’un avocat.

« Dans la plupart des cas, les droits fondamentaux des employés, que ce soit dans la Charte, le Code civil ou dans les lois de protection, font en sorte que la fenêtre des possibilités d’action des employeurs est limitée par la jurisprudence », explique à Droit-inc le juriste.

Le sujet est bien entendu au coeur de l’actualité avec la prochaine légalisation du cannabis qui ne changera toutefois rien aux règles de droit, qui s’appliqueront de la même façon, mais qui pourrait bien entraîner une hausse de consommation du produit.

Comme l’explique Me Séguin, il ne sera toujours pas permis aux avocats de consommer du cannabis sur leur lieu de travail ou d’arriver au cabinet sous l’influence de la substance.

« Le souhait est que la légalisation du cannabis vienne équilibrer les droits des uns et des autres. Si il y a une plus grande latitude sociale concernant le cannabis, pourquoi ne pas donner également plus de latitude aux employeurs? C’est sûr qu’en tant qu’avocat qui représente les employeurs, j’ai ce biais-là. »

Le droit de direction

Rappelons que si l’employeur a, selon l’article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne, l’obligation de protéger la santé, la sécurité et l’intégrité du travailleur, l’employé a quant à lui (selon l’article 2088 du Code civil du Québec) l’obligation de loyauté et de fournir sa prestation de travail conformément aux exigences de l’employeur.

Me Séguin met ainsi en avant le « droit de direction » qui permet d’imposer les mesures appropriées si un employé contrevient à ses obligations ou à la politique applicable.

« Ce que je dis à mes clients c’est que le droit de direction est l’équivalent d’un muscle : si on ne l’utilise pas, il va s’atrophier. L’employé reste l’employé, l’employeur reste l’employeur. »

L’épineuse question des tests de dépistage

C’est l’une des voies que les cabinets peuvent emprunter. Mais l’utilisation des tests de dépistage entraîne plusieurs question dans son sillage : envahit-on l’espace privé de l’avocat? Est-on certain de lui offrir des conditions d’emploi justes et raisonnables?

De plus, les tests peuvent contrevenir à des droits fondamentaux consacrés par la Charte comme le droit à l’intégrité physique lors des prélèvements ou le droit au respect de la vie privée en raison des renseignements susceptibles d’être révélés par les analyses.

Le test de dépistage lui-même possède ses propres limites : bien qu’il démontre une consommation, il ne fait pas la preuve d’une intoxication. Dans le cas du cannabis, par exemple, la drogue reste présente dans l’organisme des semaines après la consommation sans pour autant que l’employé soit intoxiqué au moment du test.

Est-ce qu’assouplir les contraintes autour des tests de dépistage serait une piste à suivre selon Me Séguin? Il répond par l’affirmative. « À partir du moment où socialement on prévoit une plus grande tolérance envers le cannabis, les employeurs devraient avoir une plus grande possibilité de tester leurs employés. Mais le droit n’a pas suivi. »

La dépendance est un handicap

Autre point d’importance : on ne peut pas suspendre un employé au seul motif d’une dépendance, il s’agirait d’un geste discriminatoire qui pourrait ouvrir la porte à un recours.

En effet, la dépendance constitue un handicap au sens de la Charte des droits et libertés de la personne. L’employeur a donc l’obligation d’accommoder quelqu’un qui souffre d’un handicap.

Cela dit, les droits fondamentaux de l’employé ne sont pas absolus. En échange, il a un devoir de loyauté, il doit effectuer son travail avec prudence et diligence sans mettre sa sécurité et celle des autres en danger.

Les tests de dépistage peuvent donc être requis pour des « motifs raisonnables ». La jurisprudence qui s’applique au Québec parle de « survenance d’un accident ou d’un incident le justifiant » et l’autorise dans le cadre « d’un processus de réhabilitation ».

Gestion disciplinaire et administrative

Sur ce point, l’employeur doit considérer les facteurs atténuants et aggravants que retiendront les arbitres de griefs pour prendre des mesures : le dossier disciplinaire, l’ancienneté, de possibles aveux, des remords.

Plusieurs mesures d'accommodement peuvent être envisagées : accès à un programme d’aide aux employés, congé autorisé pour aller en cure de désintoxication, réintégration conditionnelle, etc.

Son conseil? Intervenir directement auprès de l’avocat en présence d’un témoin, et ce, afin d’évaluer les signes associés avec la consommation et de rédiger une note contemporaine.

Le cabinet peut alors convenir d’une « entente de dernière chance » avec souscription de l’avocat à un engagement. Il s’agit d’une alternative au congédiement.

Selon Me Séguin, il est essentiel de se doter d’une politique qui s’appuie sur la prévention, la dissuasion et la gestion. Celle-ci doit être rédigée dans un langage clair et compréhensible, appliquée de façon constante et uniforme et l’employé doit comprendre qu’un manquement à cette politique entraînerait l’imposition d’une sanction.

« Il faut baliser, définir les interdits, les rôles et les responsabilités de chacun, que ce soit les employés, les RH, les cadres, les services médicaux, etc. Le laxisme des employeurs sera toujours interprété négativement », conclut-il.
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2 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 5 ans
    pas permis aux avocats de consommer du cannabis sur leur lieu de travail?
    Et ceux qui en auraient besoin pour calmer des douleurs ?

    Il y a moyen de doser la substance pour être soulagé et pourvoir fonctionner (par opposition à être soulagé et complètement "pété").

    Alors qu'il n'est pas rare de voir des juges s'accorder de généreuses pauses diner jusqu'à 14h30 dont ils reviennent "gorlot" après un repas bien arrosé avec leur(s) chum(s), pourquoi pénaliser automatiquement les avocats qui feraient un usage responsable de la substance pendant leurs heures de travail ?

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 5 ans
    GMaman
    Encore une fois, il y a beaucoup de gens dans le milieu juridique qui n'ont absolument aucune idée de comment ça fonctionne le cannabis, quels sont ses effets etc etc

    C'est bien intéressant d'encadrer et de diriger son entreprise, mais c'est toujours plus agréable de s'entourer de gens qui connaissent la plante EN PLUS des aspects légaux....

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