Entrevues

La vie à tout prix

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Céline Gobert

2018-11-26 15:00:00

C’est sur un lit d’hôpital que l’avocate chez BLG, atteinte de la fibrose kystique, avait reçu son offre de stage.

Marie-Pier Emery est atteinte de fibrose kystique
Marie-Pier Emery est atteinte de fibrose kystique
En janvier prochain, Me Marie-Pier Emery fêtera ses 28 ans. Quand elle est née, 28 ans était l’espérance de vie d’une personne atteinte de fibrose kystique. Autant dire qu’elle va fêter fort.

«Je n’ai jamais considéré ma maladie comme quelque chose qui m’empêchait d’avancer, dit-elle à Droit-inc. Je ne me suis jamais dit : ça ne sert à rien de ne pas faire X, Y, Z parce que je vais mourir à 28 ans.»

Si la fibrose kystique (FK) a complètement changé sa perspective sur la vie ainsi que son quotidien, rempli de médicaments et de traitements à suivre, elle ne l’a pas empêchée de décrocher une job et de faire aujourd’hui partie de l’une des équipes en droit du travail et de l’emploi les plus importantes de Montréal.

Quand elle a reçu son offre de stage en 2016, la jeune femme originaire de Gatineau était à l’hôpital.

«Les médecins m’avaient donné un médicament euphorisant, car ils devaient m’installer un accès veineux… et je ne me souviens pas tout à fait de mon appel téléphonique…(Rires) C’était un peu stressant le lendemain! Mais j’avais accepté la bonne offre! »

Vers la fin du stage chez BLG, une semaine d’arrêt de travail pour recevoir des antibiotiques en intraveineuse la pousse à annoncer sa maladie à son équipe. Elle ne souhaitait pas leur révéler avant d’être engagée.

«Je ne voulais pas que ça les influence dans un sens ou un autre, indique la Barreau 2017. Qu’ils se disent “elle fait pitié on va lui faire une offre“ ou, “ah on sait pas si elle va faire la job, on lui en donne pas“. Finalement, ça n’en a eu aucune.»

Respirer

La maladie (dégénérative) a plusieurs conséquences négatives sur la santé de l’avocate. Sa fonction pulmonaire est la première atteinte.

La juriste a déjà été opérée deux fois, dont une fois l’an passé.
La juriste a déjà été opérée deux fois, dont une fois l’an passé.
«On calcule l’air qui sort et qui entre dans les poumons avec un pourcentage. Jusqu’à 12 ans, j’avais 100 %. Au secondaire, cela a décliné à 80 %. Au CEGEP, 75 %. À l’Université, j’étais à 60 %. Aujourd’hui, 60 % est le plus haut que je puisse atteindre, les jours où tout va bien.»

Et en ce jeudi de novembre où elle se rend, à pied, dans les bureaux de Droit-inc, celle-ci s’élève à un petit 44 %. Comme si elle n’avait qu’un seul poumon.

À l’instar des 1198 Québécois atteints de cette maladie héréditaire (1), tous les gestes du quotidien demandent deux fois plus d’énergie à Me Emery : marcher, respirer, monter des escaliers.

En ce moment, elle utilise une fois par jour, et pendant une heure et demi, une sorte de veste de sauvetage, branchée à un compresseur qui fait décoller, grâce à des secousses, toutes les sécrétions dans ses poumons.

De plus, au niveau digestif, son pancréas ne produit pas ou très peu d’enzymes digestives. Certaines vitamines ne sont pas absorbées, elle a aussi un déficit de fer, et fait de l’hypoglycémie.

La juriste ressent également des symptômes très forts aux sinus, souvent infectés. Elle a déjà été opérée deux fois, dont une fois l’an passé.

Elle est donc hypersensible aux bactéries et virus autour d’elle. Pourtant, elle n’a rien demandé avant l’entrevue. «Si vous aviez eu un rhume, oui, ce ne serait pas l’idéal. Il y a des personnes qui deviennent germophobes, qui se lavent les mains, qui portent des masques en public. Moi je ne suis pas comme ça.»

Quant aux traitements qu’elle reçoit, s’ils réparent les symptômes, ils ne guérissent pas encore la maladie, malgré les avancées scientifiques rapides des cinq dernières années.

Travailler

Évidemment, sa condition a des conséquences sur sa pratique chez BLG, en matière de gestion de temps par exemple. Deux fois par année environ, l’avocate en droit du travail tombe malade et doit s’arrêter. À la même fréquence, elle a besoin d’antibiotiques intraveineux. Certaines semaines sont plus difficiles que d’autres.

Une journée par semaine, Me Emery travaille de la maison.
Une journée par semaine, Me Emery travaille de la maison.
Le cabinet BLG, lui, l'accommode et la soutient depuis le début. «Mes heures facturables ont été ajustées, mon objectif est réduit. Le bureau est très réactif, on fait beaucoup de suivis avec ma mentor Katherine Poirier, qui a même rencontré mon médecin.»

Une journée par semaine, la juriste travaille de la maison. Au début, elle se sentait mal de le demander. « Je ne voulais pas être un fardeau pour le cabinet, dit-elle. C’est quand même une business. Mais la réponse qu’on m’a donné c’est que plein de gens ont des accommodements. Tant que mon travail est fait et bien fait, il n’y a pas de problème.»

C’est ainsi que BLG a pris «le dossier de front», raconte la jeune femme. « Je n’ai pas eu à demander. Si je dois m’absenter, il n’y a jamais de problème.»

Pour celle qui avait la conviction que son état de santé ne lui permettrait jamais de rester longtemps dans un gros bureau, c’est une chance. «Je m’étais un peu résignée, mais avec ces mesures, je peux voir une carrière à long-terme.»

Les gens

Annoncer qu’on est malade est difficile. On ne sait jamais comment les gens vont réagir, explique l’avocate qui ne supporte pas qu’on la prenne en pitié.

«Parmi les réactions très négatives que j’ai déjà connues, il va y avoir des personnes qui ne me croient pas vraiment, qui sont mal à l’aise, qui se ferment, d’autres qui sont persuadées que je vais mourir dans les prochaines semaines, qui n’osent plus m’en parler ni rien me dire.»

Il y a aussi ces gens qui ne sont pas à 100 % avec elle. «Ben là, je ne peux pas te parler de mon rhume...», entend-t-elle souvent. Ou encore ceux qui ignorent tout de la maladie et qui lui lancent : « Oh oui, je te comprends, je fais de l’asthme.»

Pour Me Emery, qui s’implique par ailleurs au sein du Comité organisateur de Juritour, un événement qui lève des fonds pour la recherche sur la FK, la maladie ne devrait pas être un tabou. Et si elle a d’abord hésité à accorder cette entrevue à Droit-inc, informer les gens lui a paru nécessaire.

«Chez moi, ça n’a jamais été caché, j’ai pu poser toutes les questions que je voulais, ce qui a fait que j’ai toujours su les choses de façon rationnelle et informative, sans nécessairement les ressentir d’ailleurs.»

Tout vivre, tout faire

Me Emery s’implique par ailleurs au sein du Comité organisateur de Juritour
Me Emery s’implique par ailleurs au sein du Comité organisateur de Juritour
Ce que souhaite Me Emery avant tout, c’est que les personnes atteintes de la maladie ne se sentent pas exclues en milieu social. D’autant que la FK est encore associée à des taux de chômage élevés, à de la pauvreté.

Si sa «success story» peut donner de l’espoir à certaines personnes, alors c’est bien, ajoute-t-elle.

«Beaucoup de gens quand ils sont nés se sont fait dire : ça ne sert à rien d’aller à l’école, tu ne vivras pas assez longtemps ou qui ont eu autour d’eux une attitude négative qui a fait qu’ils n’ont pas poursuivi d’études.»

Ce qui n’a pas été le cas dans sa famille. «Et ça j’en suis très reconnaissante», dit-elle, l’émotion gagnant sa voix.

La maladie ne l’a ainsi jamais arrêté de faire quoi que ce soit. En fait, c’est plutôt le contraire! Elle doit s’empêcher de faire autant de choses qu’elle aimerait! Aller au cinéma, au théâtre, multiplier les lectures, manger au restaurant avec son conjoint…

«Je veux tout faire, je veux tout essayer! De façon générale, il y a beaucoup d’opportunités sur lesquelles j’ai sauté, parce que je me suis dit : ça ne reviendra pas. Je ne reporte pas les choses à plus tard. Je me dis : quand-est-ce que je vais le faire sinon? Ce n’est pas négatif, j’ai juste une soif de tout faire.»

Ainsi, partir un an à Paris, en 2015, pour finir sa maîtrise en droit comparé du travail France/Québec est l’une de ces choses un peu folles qu’elle a accomplies.

« C’était gros! Il fallait que je gère tout ça, les médicaments, l’hospitalisation... Vivre seule dans une ville où je connaissais personne, c’est sûr que ça m’a faite grandir. Je suis fière de l’avoir fait.»

Et aujourd’hui, même si elle n’a pas encore accepté la maladie à 100 % dit-elle, une chose est certaine : si la fibrose kystique fait partie d’elle, elle ne la définira jamais.


  • Près de 60,8 % de toutes les personnes fibro-kystiques au Canada sont des adultes.

  • Parmi les 42 patients qui sont décédés en 2016, la moitié étaient âgés de moins de 38,9 ans.

  • La FK est causée par des mutations d’un seul gène situé sur le chromosome 7, appelé le gène CFTR (cystic fibrosis transmembrane regulator). Le gène CFTR code pour une protéine qui sert de canal pour le chlorure et joue un rôle dans de nombreuses fonctions cellulaires.


(1) Toutes les données statistiques cités dans le texte datent de 2016 et ont été réalisées par fibrosekystique.ca.

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5 commentaires

  1. Ancien de BLG
    Ancien de BLG
    il y a 5 ans
    Bravo
    Bravo à BLG pour leur belle attitude dans ce dossier.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 5 ans
    consoeur
    Quel courage inspirant Me Emery ! Bravo !

    et pour BLG, c'est tout en leur honneur de démontrer autant d'empathie et de support ! un bel exemple à suivre...

  3. Shana
    Shana
    il y a 5 ans
    Une inspiration!
    Marie-Pier, tu es une inspiration pour moi, et je pense souvent à toi! Rien n’est impossible, quand on sait ce que tu accomplis au quotidien, et surtout, avec le sourire et l’enthousiasme qu’on te connaît! Et qui de mieux que Katherine Poirier pour t’épauler! Bravo pour cette entrevue!

  4. Anonyme
    Anonyme
    il y a 5 ans
    Bravo
    Une belle histoire qui fait du bien.

    Bravo à Me Emery et à BLG.

  5. Avocate
    Avocate
    il y a 5 ans
    Bravo!
    Me Emery fait preuve de beaucoup de détermination et de courage - quelle inspiration! Et bravo à BLG de la soutenir d'aussi belle façon.

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