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Pour une réforme du Musée des beaux-arts

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Ivan Tchotourian

2020-08-05 11:15:00

Faut-il s’étonner que la gouvernance du MBAM soit mise à mal alors que sa Loi qui régit sa gouvernance est elle-même bancale, se demande un prof de droit...

Ivan Tchotourian. Photos : Site Web de l’Université Laval et des musées montréalais
Ivan Tchotourian. Photos : Site Web de l’Université Laval et des musées montréalais
Depuis mi-juillet, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) fait la manchette. Le conseil d’administration (CA) du MBAM ne s’attendait sans doute pas à tant d’attention de la part des journalistes, des acteurs du milieu culturel et artistique, des experts en gouvernance et de l’État. Ce que l’on peut appeler l’affaire « Nathalie Bondil », du nom de l’ancienne directrice générale, donne lieu à des réactions, même au plus haut niveau de l’État québécois et à l’étranger.

En matière de gouvernance d’une organisation, la direction est souvent le centre d’attention. Au fil du temps, certains dirigeants sont même devenus d’authentiques stars médiatiques. Dans cette affaire, il est incontestable que l’ancienne directrice générale du MBAM jouissait d’une grande renommée et que sa réputation dans le milieu artistique et culturel dépassait largement les frontières canadiennes.

Si les conseils d’administration sont souvent les grands oubliés, le CA du MBAM a clairement pris ses responsabilités, et c’est à saluer. Il a mis dehors sa directrice, peu importe sa stature en plus de recruter la personne contestée. Avec cette initiative, il a rappelé que c’est lui qui dirige et surveille les affaires.

Des doutes

Néanmoins, on peut avoir des doutes sur les raisons et la manière de procéder. L’intérêt d’une organisation pour laquelle le CA agit doit demeurer prioritaire en vertu des articles 321 et 322 du Code civil, articles applicables au musée. Or, l’intérêt du MBAM a-t-il été priorisé?

Certes, le climat de travail posait problème au point que le syndicat s’en était plaint, et il était dans l’intérêt du MBAM de le régler. Ce problème justifiait-il pour autant un licenciement de la directrice? N’y a-t-il pas disproportion entre la faute possiblement commise et la sanction? Le licenciement n’apparaît-il pas comme des représailles? La manière rend d’ailleurs les raisons de ce qui a été décidé encore plus douteuses :

  • La substitution du CA à la direction du MBAM et au comité de recrutement. Il n’y a eu aucune consultation de la direction pendant le processus de recrutement, chose étonnante!


  • Les affirmations du président du CA selon lesquelles le recrutement de la directrice de conservation allait être fait et le contrat de la directrice générale renouvelé (avant toutefois qu’elle ne conteste ouvertement le recrutement).


  • Le peu d’intérêt accordé au classement des candidats établi par le comité de sélection.


  • Le court laps de temps entre la critique de la nomination de la directrice de conservation et le licenciement de la directrice générale.


  • Le refus opposé à la demande du gouvernement de donner une copie de l’étude, à la base du licenciement. Ce refus se justifie peut-être sur le plan juridique, mais il est maladroit. Il ternit la réputation du CA et du MBAM.


  • Moderniser la loi

    À l’heure actuelle, il n’y a plus grand-chose à faire. Les décisions ont été prises et actées. Mais cette affaire révèle à tout le moins un problème de gouvernance, qu’il est possible de régler pour l’avenir. De toute façon, faut-il s’étonner que la gouvernance du MBAM soit mise à mal alors que la Loi sur le Musée des beaux-arts de Montréal qui régit sa gouvernance est elle-même bancale?

    Le ministère de la Culture et des Communications a une occasion unique de réécrire cette loi. L’affaire est aussi un prétexte pour envoyer au monde muséal le message que la gouvernance ne doit pas être prise à la légère. Même si le MBAM n’est pas un musée d’État, le gouvernement du Québec met tout de même 17 millions de dollars (sur les 51 millions du budget) dans cette institution. Deux perspectives centrales doivent guider le ministère :

  • Faire sortir de l’ombre la direction qui n’existe pas à l’heure actuelle.


  • Réécrire la mission du CA en faisant disparaître son étrange comité exécutif responsable de « l’administration des affaires courantes » du MBAM ou en modifiant sa mission.


La clarification des pouvoirs entre direction et CA doit être actée. La Loi sur les musées de 1990 fournit des pistes intéressantes, tout comme les lois sur les sociétés par actions dans un autre secteur. Les articles 18 (3), 19 (1), 23 (1) et 23 (3) de la Loi sur les musées définissent la responsabilité du CA, la nomination de son président, le directeur et ses attributions.

Pourquoi ne pas en profiter pour rappeler aussi les devoirs généraux du CA et de la direction, pour réduire la taille du CA ou pour doter le musée d’une organisation complète sur le plan de la gouvernance (réunion, rémunération, fin de mandat…)? Si certains de ces aspects sont envisagés dans le Code civil, qui le sait?

Il existe une solution plus ambitieuse qu’un rapport produit par une firme indépendante, qui risque de tomber dans les limbes, et moins critiquable qu’un droit de regard de l’État à l’efficacité douteuse : rappelons que neuf membres du CA du MBAM sur 21 sont déjà nommés par l’État sans que cela ait changé quelque chose… Pour qu’il n’y ait plus de doute à l’avenir sur les décisions du CA, la gouvernance du MBAM doit être améliorée. Cela ne fera qu’au prix d’une modernisation de la loi.

Sur l’auteur

Ivan Tchotourian est Professeur agrégé, Faculté de droit, à l’Université Laval. ll est inscrit au Barreau du Québec comme conseiller en loi depuis 2016.
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