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Peut-on tout faire en arbitrage commercial? La Cour suprême des États-Unis dit NON !

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Laurent Debrun

2008-04-10 07:30:00

La convention d’arbitrage permet-elle aux parties de prévoir que les tribunaux ont compétence pour intervenir à l’encontre de la sentence arbitrale pour des motifs autres que ceux prévus par la Loi?

Dans son arrêt du 25 mars 2008, Hall Street Associates L.L.C. v. Mattel Inc.; 552 U.S. 1 (2008), la Cour suprême des États-Unis déclare que la Federal Arbitration Act (FAA) 9 U.S.C. ne donne pas aux parties le droit de prévoir, dans la convention d’arbitrage, des pouvoirs accrus d’intervention et de révision judiciaires, à l’égard de la sentence arbitrale, autres que ceux qui sont expressément mentionnés aux articles 10 et 11 de la FAA.

Ces deux articles se lisent ainsi :

Article 10

“(a) In any of the following cases the United States court in and for the district wherein the award was made may make an order vacating the award upon the application of any party to the arbitration:
(1) where the award was procured by corruption, fraud, or undue means;
(2) where there was evident partiality or corruption in the arbitrators, or either to them;
(3) where the arbitrators were guilty of misconduct in refusing to postpone the hearing, upon sufficient cause shown, or in refusing to hear evidence pertinent and material to the controversy; or of any other misbehavior by which the rights of any party have been prejudiced; or
(4) where the arbitrators exceeded their powers, or so imperfectly executed them that a mutual, final, and definite award upon the subject matter submitted was not made.”

Article 11

“In either of the following cases the United States court in and for the district wherein the award was made may make an order modifying or correcting the award upon the application of any party to the arbitration:

(a) Where there was an evident material miscalculation of figures or an evident material mistake in the description of any person, thing, or property referred to in the award.
(b) Where the arbitrators have awarded upon a matter not submitted to them, unless it is a matter not affecting the merits of the decision upon the matter submitted.
(c) Where the award is imperfect in matter of form not affecting the merits of the controversy.
The order may modify and correct the award, so as to effect the intent thereof and promote justice between the parties.”

Ce faisant, la Cour suprême des États-Unis met un terme à une controverse jurisprudentielle et doctrinale.

Selon certains auteurs et cours d’appel, tant les tribunaux que les parties pouvaient puiser à même l’esprit et la lettre des critères législatifs d’intervention des tribunaux (ceux des articles 10 et 11 de la FAA) pour réviser, voire annuler une sentence arbitrale pour un motif autre que ceux prévus dans la FAA, afin d’intervenir et de contrôler la sentence lors de son homologation. Là, les parties avaient prévu dans la convention d’arbitrage :

« [t]he United States District Court for the District of Oregon may enter judgment upon any award, either by confirming the award or by vacating, modifying or correcting the award. The Court shall vacate, modify or correct any award: (1) where the arbitrator’s findings of facts are not supported by substantial evidence, or (ii) where the arbitrator’s conclusions of law are erroneous. »

L’autre courant prône que ce n’est que lorsqu’un arbitre commet une erreur de droit manifeste, un « aveuglement » par rapport au droit qu’il se devait péremptoirement d’appliquer à la solution d’un problème que les parties lui avaient référé, que la FAA donne des pouvoirs d’intervention limités aux tribunaux.

Pour la Cour suprême, étant donné que la Loi (FAA) ne prévoit et n’énonce que des motifs précis et graves permettant à un tribunal d’intervenir a posteriori (conflit d’intérêt, partisannerie évidente, fraude, ultra vires…) à l’égard de la sentence, c’est que le législateur n’a pas voulu donner, ni aux tribunaux civils, ni aux parties, le pouvoir ou le loisir d’élargir ces motifs d’intervention. Il importe peu que la convention d’arbitrage soit un contrat. Le consensualisme ne permet pas de dénaturer le modèle voulu par le législateur et dont l’objectif premier est de donner à l’arbitrage un véritable statut indépendant. Les parties doivent s’attendre à l’homologation de la sentence (la FAA donnant au tribunal l’obligation de l’accorder) sauf si la partie attaquant la sentence peut faire valoir l’un des seuls motifs exclusifs d’intervention et de révision prévus aux articles 10 et 11.

Tant Hall Street que Mattel et les intervenants avaient souligné auprès de la Cour suprême les risques de cet arrêt quant à l’institution émergeante qu’est l’arbitrage. Selon Hall Street, ne pas permettre aux parties de s’entendre par convention quant à leur droit de contester la sentence pour des motifs autres que ceux énoncés aux articles 10 et 11 de la FAA sonnerait le glas pour l’arbitrage. Mattel, et les divers intervenants représentaient les chambres d’arbitrage, plaidèrent le contraire. Le juge Souter, rendant les motifs pour la Cour, refusa de prononcer, se contentant de souligner que la Cour se contentait de donner effet à la loi.

Au Québec, ce sont les articles 946, 946.4 et 946.5 C.p.c. qui traitent des moyens de contestation d’une requête visant à faire homologuer la sentence arbitrale. On peut constater que les cas spécifiques prévus et donnant compétence aux tribunaux afin d’annuler la sentence sont aussi limitatifs que ceux ces articles 10 et 11 de la FAA. La Cour suprême du Canada a déclaré le caractère exhaustif des motifs prévus aux articles 946.4 et 946.5 C.p.c. pour qu’un tribunal puisse refuser l’homologation.

On peut donc conclure qu’il est probable que le raisonnement suivi dans l’arrêt Hall Street Associates soit valable en droit québécois. Il y a donc lieu de faire attention à la rédaction d’une clause d’arbitrage si l’objectif recherché est d’élargir le champ d’intervention des tribunaux au-delà de ce que le Code de procédure civile permet.

Par Laurent Debrun, avocat chez Kaufman Laramée, à Montréal.
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