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L’AJBM contre le projet de loi C-484

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Mathieu Piché-messier

2008-04-18 11:59:00

Le 5 mars dernier, la Chambre des communes a adopté en 2e lecture le projet de loi C-484 (Loi sur les enfants non encore nés victimes d’actes criminels) visant à faire d’un enfant à naître une victime distincte de sa mère dans le cas d’une agression qui serait commise contre elle.

L’objectif de ce projet de loi est de renforcer les infractions qui seraient commises contre des femmes enceintes en créant une double infraction (l’une commise contre la mère, l’autre commise contre l’enfant à naître).

L’Association du Jeune Barreau de Montréal (l’« AJBM ») croit fermement que l’objectif de ce projet de loi serait mieux servi par d’autres modifications législatives.

Un tel projet de loi pourrait faire en sorte que certaines femmes se voient forcer de mener des grossesses à terme contre leur gré, en criminalisant de nouveau l’avortement.

En 1989, la Cour suprême du Canada dans l’affaire Daigle s’est penchée sur le droit à la vie d’un fœtus, après plusieurs années de débats publics entourant le droit à l’avortement. La Cour a fondé son jugement notamment sur le fait que la Charte québécoise accordait des droits aux « êtres humains » et ce, sans faire état spécifiquement de droits pouvant être accordés aux fœtus.

La Cour confirmant ainsi le fait qu’un fœtus ne peut prétendre aux droits protégés par la Charte, laissant la mère libre de disposer de son corps selon sa volonté. Un an plus tôt, cette même cour avait invalidé l’article du Code criminel qui interdisait l’avortement.

Dans ce contexte, le projet de loi C-484 vient renverser l’ensemble de ces principes, même s’il ne donne pas à l’enfant à naître une personnalité juridique, puisqu’il en fait sans équivoque une victime distincte de sa mère.

Bien que le projet de loi, dans sa forme actuelle, prévoie que l’interruption légale d’une grossesse ou un acte posé de bonne foi afin de sauver l’enfant ou sa mère ne constitue pas une infraction, il constitue néanmoins une première étape vers une potentielle re-criminalisation de l’avortement.

En effet, en reconnaissant que le fœtus constitue une personne pouvant être victime d’un acte criminel, ce projet de loi milite en faveur de la reconnaissance de droits au fœtus et pourrait ainsi permettre un élargissement de l’interprétation de l’expression « être humain » L’adoption de ce projet de loi créerait un précédent dont les conséquences légales sont imprévisibles.

L’AJBM considère les objectifs du projet de loi légitimes, mais croit qu’ils pourraient être atteints autrement, sans pour autant compromettre les gains obtenus après tant d’années de polémique entourant le droit à l’avortement. D’autres moyens existent afin d’aggraver une infraction commise à l’encontre d’une femme enceinte ou d’aggraver la peine imposée en de telles circonstances.

En effet, il serait possible de modifier le Code criminel afin d’imposer des peines minimales plus lourdes lorsque la victime d’un acte criminel porte un enfant à naître, ou encore d’y indiquer clairement que cela constitue un facteur aggravant, devant être considéré dans la détermination de la peine, le fait que la victime soit une femme enceinte. De telles modifications législatives permettraient d’aggraver les infractions commises à l’encontre des femmes enceintes, tout en protégeant le droit à l’avortement si difficilement obtenu après 20 ans de division au sein de la société canadienne, et les intérêts des Canadiens et Canadiennes seraient par conséquent bien mieux servis.

L’AJBM souligne de plus qu’aucune étude ni statistique ne semble démontrer qu’il existe une véritable problématique ou une recrudescence de crimes violents contre des femmes enceintes entraînant la perte d’un enfant à naître. L’absence d’une telle donnée ne peut que confirmer que cette nouvelle infraction ne servirait pas les intérêts des Canadiens et Canadiennes.

L’AJBM ne peut donc que s’élever contre le projet de loi C-484 qui fait d’un enfant à naître une victime distincte, et qui pourrait avoir pour conséquence de faire reculer l’état du droit entourant le droit à l’avortement et les droits reconnus à une femme enceinte de disposer librement de son corps et de ne pas se voir forcer de mener une grosse à terme, contre son gré.

En ce sens, l’AJBM invite la Chambre des communes à considérer les autres avenues possibles qui permettent tout autant de reconnaître la gravité probante de tels crimes.


Mathieu Piché-Messier, Président, Association du Jeune Barreau de Montréal
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