Karim Renno

Les exceptions à la preuve par écrit

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Karim Renno

2014-01-22 14:15:00

Sans commencement de preuve et en dehors de l’activité d’une entreprise, peut-on se prévaloir d’une preuve non écrite? Karim Renno nous répond avec une jurisprudence récente...

Le régime de la preuve mis de l’avant par le législateur en matière contractuelle privilégie définitivement l’écrit. En effet, en l’absence d’un commencement de preuve et d'un acte passé dans le cours des activités d'une entreprise, l’article 2862 C.c.Q. édicte une prohibition de principe de la preuve testimoniale pour établir l'existence d'un contrat d'une valeur supérieure à 1 500$.

Cependant, un nouveau courant jurisprudentiel est récemment venu confirmer l’existence d’une autre exception à cette prohibition.

Le jeune super plaideur Karim Renno
Le jeune super plaideur Karim Renno
En effet, certaines décisions ont conclu que l’article 2861 C.c.Q. met également de l'avant une exception à ce principe lorsqu'il "n'a pas été possible à une partie, pour une raison valable, de se ménager la preuve écrite d’un acte juridique".

Dans un jugement remarquable sur la question, l'Honorable juge Daniel W. Payette souligne qu'il y a lieu de donner une portée libérale à cette exception qui englobe par exemple les situations où les liens entre les parties (amoureux ou familiaux par exemple) étaient tels qu'un écrit semblait hors de question. Il s'agit de l'affaire Lefrançois c. Lefebvre (2014 QCCS 41).

Dans cette affaire, la Défenderesse acquiert un immeuble qu’elle revend en juin 2009. Le Demandeur, son conjoint de l'époque, dépose des procédures judiciaires pour que la Demanderesse lui remette le produit de cette vente au motif qu'elle agissait à titre de prête-nom pour lui lorsqu’elle a acheté cet immeuble.

La Défenderesse conteste cette affirmation et s'objecte au témoignage du Demandeur à cet effet, l'entente qu'il invoque ayant une valeur qui excède 1 500,00 $.

Après analyse de la preuve, le juge Payette en vient à la conclusion que la Défenderesse a raison de soulever l'absence de commencement de preuve qui pourrait permettre une dérogation à la règle de l'article 2862 C.c.Q. Il souligne cependant que l'analyse ne peut s'arrêter là, l'article 2861 C.c.Q. prévoyant lui aussi une exception au principe.

En effet, indique le juge Payette, il y a lieu de considérer qu’il "n'a pas été possible à une partie, pour une raison valable, de se ménager la preuve écrite d’un acte juridique" au sens de cet article lorsque la relation entre les parties était telle qu'il existait une impossibilité morale pour les parties de se constituer une preuve par écrit:

(35) ''Il est vrai que certaines décisions postérieures à 1994 se fondent uniquement sur l’article 2862 C.c.Q. pour décider de la recevabilité de la preuve testimoniale d’un contrat de prête-nom, même en présence de parties liées par des relations particulières. Cependant, il s’agit de cas où les parties n’ont pas eu recours à l’article 2861 C.c.Q. ni invoqué d’impossibilité morale pour justifier la recevabilité de cette preuve.''

(36) ''En conclusion l’exception de l’article 2861 C.c.Q. doit recevoir une interprétation libérale et peut s’appliquer aux conjoints de fait qui, comme en l’espèce, sont parties à un acte juridique, qu’il s’agisse d’un prêt ou d’un don.''

Voilà une décision qui me paraît tout à fait juste. En effet, il est indéniable que certaines relations particulières - je pense spécialement les relations familiales ou amoureuses - se prêtent particulièrement mal à l'existence d'une entente écrite.

Il me semble donc sage de préserver une exception à la prohibition de la preuve testimoniale lorsque le contexte révèle que les parties, en raison de leur relation, n'étaient pas vraiment dans une situation où un écrit était naturel.

''Karim Renno est associé dans le cabinet Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.''
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