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Coups d’éclat à Sotchi?

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Pierre-étienne Caza

2014-02-07 10:15:00

À quelques heures de l’ouverture des Jeux, des professeurs de l’UQAM se prononcent sur les possibles manifestations militantes contre l’interdiction de la propagande homosexuelle…

Pierre-Étienne Caza est rédacteur pour le site Actualités UQAM
Pierre-Étienne Caza est rédacteur pour le site Actualités UQAM
En juin 2013, le gouvernement russe a adopté une loi fédérale contre les homosexuels qui a fait grand bruit à l'échelle internationale, moins d'un an avant la tenue des Jeux olympiques de Sotchi.

«Cette loi n'interdit pas explicitement l'homosexualité, mais plutôt la propagande homosexuelle», explique Mirja Trilsch, professeure au Département des sciences juridiques et directrice de la Clinique internationale de défense des droits humains (CIDDHU) de l'UQAM. «Cette nouvelle loi s'inscrit dans un climat de pressions sur les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres (LGBT) et, de façon plus générale, sur tous les militants pour les droits humains qui dénoncent le régime au pouvoir et ses vues concernant, entre autres, les personnes LGBT», précise la chercheuse.

Ce genre de politique n'est pas nouveau en Russie. On interdit en effet depuis de nombreuses années la tenue d'événements LGBT. À Moscou, toute manifestation ou tout événement de fierté gaie a été interdit jusqu'en 2112! «En 2010, la Cour européenne des droits de l'Homme a jugé qu'il y avait eu violations du droit à la liberté de réunion et à la non-discrimination des militants pour les personnes LGBT dans pas moins de 160 événements/manifestations survenus entre 2006 et 2008 en Russie, indique la professeure. YouTube regorge de vidéos illustrant la violence des forces de l'ordre envers les manifestants lors des pride rallies.»

Le régime russe a aussi adopté, en 2012, une loi anti-ONG obligeant celles qui reçoivent de l'argent de l'étranger à s'enregistrer comme des «agents étrangers». «Ce terme était utilisé à l'époque soviétique pour désigner les ennemis de l'État, explique Mirja Trilsch. C'est une façon de désigner certaines ONG comme adversaires du régime. Plusieurs de ces organismes défendent bien sûr les droits humains, le droit à l'égalité et les droits des personnes LGBT.»

La Russie, un pays démocratique?

PJean Lévesque est professeur du Département d'histoire de l'UQAM.
PJean Lévesque est professeur du Département d'histoire de l'UQAM.
Le président russe a été élu avec 64 % des voix lors des élections de 2012. Beaucoup de chefs d'État occidentaux aimeraient obtenir un tel appui. Spécialiste du régime soviétique des années 1940-1950, le professeur Jean Lévesque, du Département d'histoire, décrit la Fédération de Russie comme une démocratie gérée ou une dictature technocratique. «On y trouve des journaux opposés au régime, mais à la télé, ce ne sont que des chaînes d'État qui relaient le discours officiel», souligne le chercheur, qui a séjourné en Russie à une quinzaine de reprises depuis 1992.

Les élections sont libres, mais le parti présidentiel prend toute la place. «La Russie n'a pas réussi à séparer le pouvoir exécutif du pouvoir judiciaire et le régime se maintient en place en contrôlant les médias et les tribunaux», ajoute Jean Lévesque.

Le système de justice s'est transformé au cours des dernières années, note la professeure Trilsch. «On a accordé un grand pouvoir discrétionnaire aux tribunaux pour rejeter les demandes, ce qui restreint l'accès à la justice. Il arrive qu’on rejette des causes en ne donnant pas ou peu de motifs. On limite le droit à l'appel. Parfois on ne tient pas d'audience publique ou on empêche le demandeur de parler au juge. Les preuves utilisées contre les gens ne sont pas nécessairement dévoilées. Bref, le système de justice fait en sorte qu'il est difficile de dénoncer des violations et des débordements de la part des autorités.»

Depuis quelques années, la CIDDHU travaille avec une organisation de la société civile russe qui dénonce le refus des tribunaux russes d'appliquer la Convention européenne des droits de l'Homme. «Quand la Convention est invoquée, les juges la balaient du revers de la main», explique Mirja Trilsch.

La situation concernant les droits humains est dénoncée par la société civile russe et la communauté internationale, mais ne se retrouve pas au centre des débats quand les puissants de ce monde se rencontrent. «C'est une question délicate au niveau politique et diplomatique, explique la professeure. La Russie est un membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU. Si on veut qu'elle vote dans un sens, il ne faut pas se la mettre à dos.»

Coups d'éclat pendant les Jeux?

Mirja Trilsch, professeure au Département des sciences juridiques et directrice de la Clinique internationale de défense des droits humains (CIDDHU) de l'UQAM.
Mirja Trilsch, professeure au Département des sciences juridiques et directrice de la Clinique internationale de défense des droits humains (CIDDHU) de l'UQAM.
Doit-on s'attendre à des coups d'éclat durant les Jeux de Sotchi? «Chaque fois que les Jeux se tiennent dans un pays aux prises avec des problèmes en matière de droits humains, on en parle beaucoup avant, mais une fois les Jeux commencés, tout le monde se tait, déplore la directrice de la CIDDHU. Ce fut le cas en 1936 à Berlin et cela n'a pas changé aujourd'hui. L'esprit sportif n'est pas politique. Pourtant, les droits humains sont universels et indissociables de tous les aspects de la vie, y compris les Jeux olympiques.»

Le Comité international olympique demande aux athlètes de ne pas manifester durant les Jeux. Les athlètes, ne l'oublions pas, ont de la pression de leur propre pays et de leurs fédérations, desquelles ils dépendent souvent pour leur subsistance. Vont-ils tout sacrifier pour un coup d'éclat? «J'en doute. Au mieux, nous verrons quelques drapeaux de la fierté gaie, croit Mirja Trilsch. Cela dit, je serais la première à applaudir si quelqu'un avait le courage de s'exprimer haut et fort.»

Jean Lévesque croit pour sa part qu'il y aura des manifestations – de la part d'opposants politiques ou des FEMEN, par exemple. «Du côté des athlètes, ce serait surprenant, mais les États-Unis ont tout de même nommé Billie Jean King – une ancienne joueuse de tennis lesbienne et militante – à la tête de leur délégation, souligne-t-il. Et allez jeter un œil sur le costume olympique de l'équipe allemande, qui n'a rien à voir avec les couleurs de leur drapeau…»

- Article également publié sur www.actualites.uqam.ca.

Des travailleurs exploités

L'ONG Human Rights Watch a publié un rapport accablant sur l'exploitationde plus de 60 000 ouvriers sur le chantier des Jeux olympiques de Sotchi. Ces travailleurs venus d’Arménie, d'Ouzbékistan ou du Tadjikistan auraient été payés en moyenne 2,20 $ l'heure et l'on cite de multiples cas de sous-paiement et même de non-paiement des salaires, d'absence de contrat de travail, de non-respect des normes de sécurité, de confiscation de passeport et d'expulsion après détention.

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