Jurisprudence

Affaire Dunkin' Donuts : beaucoup d’encre va couler

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Jean H. Gagnon

2015-04-20 11:15:00

Spécialisé en droit de la franchise, l’auteur revient sur les jugements rendus par la Cour d’appel condamnant Dunkin' Donuts à payer 11 millions de dollars à ses franchisés...

Me Jean H. Gagnon a plus de 40 années d’expérience à titre d’avocat de négociateur, de médiateur et d’arbitre
Me Jean H. Gagnon a plus de 40 années d’expérience à titre d’avocat de négociateur, de médiateur et d’arbitre
Dans deux jugements importants, et fort attendus (d'autant plus de l'audition de cet appel avait eu lieu le 12 et 13 février 2014, il y a plus de 14 mois), rendus le 15 avril 2015 (que vous pouvez respectivement lire en cliquant ici et ici), la Cour d'appel a rejeté, pour l'essentiel, les appels logés par le franchiseur Dunkin' Brands Canada Ltd. (Dunkin' Donuts) de deux jugements rendus par la Cour supérieure qui avaient respectivement accueilli un recours en dommages intenté par 20 franchisés ayant exploité 32 restaurants Dunkin' Donuts pour un montant de 16,4 millions dollars (plus intérêts et dépens) et une requête pour honoraires spéciaux aux procureurs de ces franchisés pour un montant de 240 000 dollars.

Bien que se situant dans la foulée du célèbre jugement qu'elle avait rendu le 28 novembre 1997 dans l'affaire Provigo, le premier jugement rendu hier par la Cour d'appel du Québec apporte quelques éclaircissements fort intéressants sur les obligations d'un franchiseur qui, comme nous le savons déjà, sont plus larges que celles stipulées par écrit dans le contrat de franchise.

Ainsi, selon la Cour d'appel :
  • Le contrat de franchise entre dans la catégorie des contrats relationnels qui, comme cela est souvent le cas pour des contrats à très long terme, ne stipulent pas en détail toutes leurs modalités;

  • Ce n'est qu'une fois que l'on a compris que le contrat de franchise est incomplet quant aux droits et aux obligations des parties que l'on peut en saisir la véritable nature, soit celle d'un contrat innommé fondé sur une relation de collaboration à long terme entre entreprises indépendantes ayant à la fois, entre elles, des intérêts communs et des intérêts divergents;

  • Lorsque, comme cela est généralement le cas, le franchiseur se conserve le droit de superviser l'exploitation continue de l'ensemble de son réseau et le respect de ses normes, le franchiseur a alors aussi l'obligation de prendre les moyens raisonnables pour protéger sa bannière, ce qui inclut une obligation implicite de prendre les mesures raisonnables pour aider ses franchisés, pour la durée de leur entente, à faire face à la concurrence et à promouvoir le développement du réseau dans son ensemble;

  • Dans cette affaire, les franchisés Dunkin' Donuts étaient en droit de s'attendre à ce que leur franchiseur prenne des mesures actives raisonnables pour les protéger de la menace que représentait pour eux le réseau Tim Hortons;

  • Bien que tenu à une obligation de bonne foi et d'assistance, un franchiseur est quand même en droit de favoriser ses intérêts économiques légitimes (même lorsqu'ils ne convergent pas entièrement avec ceux de ses franchisés), mais tout en continuant cependant à respecter ses obligations vis-à-vis ceux-ci;

  • Un franchiseur est aussi tenu de protéger son réseau en posant des gestes adéquats vis-à-vis ses propres franchisés qui lui cause préjudice, notamment en ne respectant pas les standards élevés de qualité et et de propreté du réseau, de tels gestes comprenant ceux de corriger, et même d'expirper du réseau, ces maillons faibles ou, dans les mots utilisés par la Cour d'appel, ces "weaker links" ou, encore, "bad apples" (puisque le jugement est en anglais);

  • L'obligation implicite de bonne foi renforce et confirme les devoirs d'assistance et de coopération du franchiseur découlant de la nature même du contrat de franchise et, en ce sens, amène « une intensification de la coopération qui reste la caractéristique fondamentale de tout contrat relationnel »; et

  • Enfin, les obligations d'un franchiseur ne sont pas des obligations de résultat, mais bien des obligations de prendre les moyens raisonnables dans les circonstances.


Un autre aspect intéressant du jugement de la Cour d'appel consiste dans le fait qu'elle y reconnaît clairement la notion de réseau.

Ainsi, selon ce jugement, certaines des obligations d'un franchiseur - comme, par exemple, l'obligation d'assistance technique- sont des obligations individuelles envers un franchisé, alors que d'autres - telles l'obligation de prendre les mesures raisonnables pour aider les franchisés, comme groupe, à faire face aux défis du marché et celle de soutenir le réseau en faisant respecter ses standards élevés et uniformes de qualité et de propreté- sont plutôt des obligations collectives au bénéfice de l'ensemble du réseau, et non d'un franchisé en particulier.

Or, selon la Cour d'appel, chaque franchisé peut exiger le respect par le franchiseur de ses obligations envers l'ensemble du réseau.

Au chapitre des dommages cependant, la Cour d'appel a, dans l'ensemble, réduit de 25% (soit, plus précisément, de 16 047 143 dollars à 10 908 513 dollars) le montant des dommages qui avaient été accordés aux franchisés par la Cour supérieure du Québec.

Cette réduction se compose d'une première réduction de 10% pour tenir compte des « inévitables imprévus propres à toute entreprise commerciale » et d'une seconde de 15% pour tenir compte du fait que, même si Dunkin' Donuts avait rempli ses obligations comme franchiseur, la concurrence du réseau Tim Hortons aurait quand même eu un impact sur la profitabilité des franchisés Dunkin' Donuts et sur la valeur de leur entreprise, notamment en raison de l'avantage concurrentiel de son service à l'auto.

Dans le second jugement rendu hier, sans grande surprise, la Cour d'appel a maintenu la décision de la Cour supérieure d'octroyer aux procureurs des franchisés - Me Frédéric Gilbert, du cabinet Fasken Martineau, et Me Guy De Blois, du cabinet Langlois Kronström Desjardins) un honoraire spécial de 240 000 dollars pour leur travail exceptionnel dans cette affaire extrêmement longue et complexe qui a débuté en mai 2003.

Nul doute que ces jugements d'hier feront couler beaucoup d'encre au Québec et au Canada au cours des prochaines semaines... et des prochains mois.

Bio


Avec 40 années d’expérience à titre d’avocat de négociateur, de médiateur et d’arbitre, Jean H. Gagnon est aussi l’un des pionniers du droit de la franchise au Canada. Il est également l’auteur de nombreux articles sur les moyens non judiciaires de prévention et de règlement des différends. Il est accrédité par l’Institut de médiation et d’arbitrage du Québec, par l’Institut de médiation et d’arbitrage du Canada, et par le Barreau du Québec.

Site internet: http://jeanhgagnon.com/
jhgagnon@jeanhgagnon.com
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