Aux quatre coins du monde

Le tour du monde d’une ex-Davies

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Céline Gobert

2015-09-14 15:00:00

La carrière en droit pénal international de cette ex-Davies l’a menée de la Sierra Leone au Kosovo en passant par le Rwanda et les Pays-Bas. Qui est-elle ?

Dans le cadre d’une série spéciale, Droit-inc s’entretiendra deux fois par mois avec des avocats membres du Barreau du Québec qui ont choisi de pratiquer à l’étranger.

Me Martine Durocher a exercé au cabinet Davies de mai 2001 à septembre 2003
Me Martine Durocher a exercé au cabinet Davies de mai 2001 à septembre 2003
Le plus beau souvenir de Me Martine Durocher, issue de la même promotion en droit de l’UdeM que Me Mélanie Joly, qu’elle surnomme amicalement « Mel J », se déroule au coeur des montagnes de la Sierra Leone, en Afrique de l’Ouest.

« Je me baignais dans l’océan, tout était sauvage, paisible, il n’y avait personne sur la plage, c’était magnifique. J’étais vraiment heureuse, Jamais je n’aurais échangé ma place contre celle de quiconque », raconte à Droit-inc celle qui détient également une maîtrise en droit international de l’Université de Cambridge.

De mai 2001 à septembre 2003, elle a exercé au cabinet Davies, sa « bulle de cristal » comme elle l’appelle. Elle n’y avait que peu d’interactions, passant son temps à travailler. Aujourd’hui, elle est bien loin de ce monde, qu’elle estime parfois « élitiste » et dans lequel elle ne se voyait pas continuer.

L’avocate de 39 ans exerce aujourd’hui au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie en tant que juriste coordonatrice en chambre de première instance à La Haye au Pays -Bas. Un poste qui succède à celui de juriste associée assignée au juge turque Mehmet Güney à la Chambre d'appel commune aux Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et au Tribunal pénal international pour le Rwanda, toujours à La Haye.

Et depuis le Sierra Leone, où elle a exercé de 2005 à 2006, Me Durocher n’a jamais cessé de voyager…

Repousser ses limites

Des enfants en Sierra Leone
Des enfants en Sierra Leone
C’est d’ailleurs au Sierra Leone qu’elle a vécu le plus difficile de ses mandats, embauchée comme consultante légale au Bureau du procureur du Tribunal spécial. Elle arrive à Freetown après le conflit qui a secoué ce morceau de l’Afrique, et y est témoin des pires horreurs : la misère, les mutilations et les visages défigurés d’après guerre.

« Ce fut une expérience inoubliable, dit-elle. Cela prend des années à être absorbé, à faire du sens. Ça a transformé ma façon de voir le monde ». À 30 ans alors, elle y comprend certaines choses : par exemple, que la misère n’est pas seulement une conséquence de la guerre, mais de la corruption. « La corruption rejoint différents niveaux de la vie du pays et demeure un filon essentiel. Ainsi, on ne peut pas seulement sortir le pays de la pauvreté en donnant de l’argent. »

Certaines images marquent à jamais son esprit : celles de femmes assises toute la journée, le regard dans le vide, tentant de vendre des cigarettes pour nourrir leurs enfants. Elle apprend à « relativiser », « repousser ses propres limites ».

Quand elle revient dans la société occidentale, c’est le choc. Elle est d’abord incapable de supporter certains éléments - les punks aux cheveux verts, par exemple. « Pour moi, c’était “ tu en as des opportunités! You can go and get clean…” Je voulais leur payer un ticket pour aller voir la vraie misère. »

Continuer à être professionnelle

Koffi Annan qui visite la cour
Koffi Annan qui visite la cour
Immédiatement, et en parallèle de sa pratique en droit criminel au sein du cabinet montréalais Boro, Polnicky, Lighter, l’avocate repart en Tanzanie comme assistante légale au Tribunal international pour le Rwanda, et exerce à Arusha au sein de l’équipe de la défense de François Karera, reconnu coupable de génocide,de crimes contre l’humanité et condamné à la prison à vie en 2007. Elle doit défendre l’accusé, se rendre sur des scènes de crimes… « Il fallait savoir contrôler ses émotions, malgré ces crimes odieux, et continuer à être professionnelle », se souvient-elle.

Cette dureté ne lui coupe nullement l’envie de continuer à accepter les mandats difficiles. De 2007 à 2009, Me Durocher rejoint ainsi la mission de l'ONU au Kosovo, à titre d’assistante aux affaires juridiques dans la ville de Prishtina. « Ce qui m’a le plus frappé ici, c’est la mafia. Il y a un code albanais en vigueur à l’extérieur de Pristina qui donne le droit de se venger. »

Plongée au coeur d’une société nationaliste très forte, elle découvre alors les « revenge killing ». « Pour des crimes inter-éthniques, il devient extrêmement difficile de trouver des personnes qui veulent témoigner, explique-t-elle. Les gens ont peur pour eux et leurs familles, qui seront perçus comme des traîtres par la société. Je n’avais jamais vu ça ailleurs. »

Le Dieu de l’argent

Quand elle évoque son travail, certains de ses confrères semblent en « admiration totale », et portent un regard « utopique » sur sa profession. Surtout ceux qui affirment travailler pour le « dieu de l’argent ». « Je le prends comme un compliment mais ce n’est pas nécessairement juste », dit-elle, expliquant qu’il y a encore beaucoup de frustrations exprimées envers les tribunaux.

Elle reste réaliste : l’impact de son travail sur la planète doit être considéré dans un objectif très « macro », « très à long terme », il faut attendre d’avoir une « vision complète de l’évolution de ce droit pénal international. »

L’exercice de mandats peut en plus se révéler bien complexe puisque la Cour Pénale Internationale (CPI) a parfois de la difficulté à s’assurer de la coopération de tous les pays, et ce malgré la ratification du Statut de Rome définissant les règles de fonctionnement ainsi que le pouvoir juridictionnel de la CPI.

Pour quel Dieu travaille-t-elle alors ? « C’est une bonne question. (Long silence). Peut-être pour le Dieu de la compréhension, répond-t-elle. Quand j’étudie la preuve, les charges, il faut aussi que je comprenne le conflit. Dans ma position, selon mes observations, je cherche ce qui juridiquement parlant pourra être qualifié de crime. »

Le Tribunal fermera en 2017. Elle ne sait pas encore ce qu’elle fera après, d’autant plus que le marché est très contingenté. Le gouvernement du Québec ? Un cabinet ? Montréal ? Ottawa ? Rien n’est encore défini.

Une chose est certaine : elle souhaite partager son plus beau souvenir avec son petit garçon. « Il a 6 ans et j’aimerais ça qu’il puisse voir l’Afrique. »

Me Martine Durocher parle en son nom personnel. Ses opinions ne sont pas celles des Nations Unies.
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