Analyse juridique

Des avocats et des contrats

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Jean-francois Parent

2016-06-13 15:00:00

Que signifie la forte concentration des cabinets soumissionnaires représentés dans les appels d’offres publics? Faut-il revoir le processus? Droit-inc a interrogé des avocats…

Me Marc Bellemare
Me Marc Bellemare
Plus de 350 mandats ont été octroyés par Québec, le secteur public et le monde municipal aux avocats québécois depuis 2008, pour une valeur totale de 62 millions de dollars (1). C’est du moins ce que rapporte la base de données du Système électronique d’appels d’offre (SEAO) du gouvernement du Québec.

Des quelque 70 cabinets qui soumissionnent pour l’obtention de ces contrats, une poignée seulement récolte l’essentiel du pactole, selon une première série de données publiées en mars dernier.

14 cabinets composant une sorte de « Club des multimillionnaires » ont reçu en moyenne pour 3,3 millions de dollars en termes de valeur totale de contrats. À eux seuls, ces cabinets remportent 76 % des soumissions, pour un total de 47,3 millions. La cinquantaine d’autres cabinets soumissionnaires a quant à elle perçu une valeur totale moyenne de… 267 000 dollars. Ils se partagent ainsi 14,6 millions.

Lorsqu’on se rapproche du sommet du palmarès des soumissionnaires, les écarts se creusent davantage : ainsi, trois cabinets sur 70 se sont vus octroyer plus du tiers de la valeur des mandats publics disponibles entre juillet 2008 et février 2016.

Fasken Martineau, Lavery et Heenan Blaikie ont ainsi réalisé des mandats d’une valeur totale de 22,3 M$, soit 36 % des montants totaux octroyés.

Toujours les mêmes?

Me Don McCarty, associé directeur de Lavery
Me Don McCarty, associé directeur de Lavery
« On peut se demander comment il se fait que ce sont souvent les mêmes bureaux et les mêmes avocats qui remportent les soumissions, observe Me Marc Bellemare. Il y a environ 25 000 avocats au Québec ; comment se fait-il que quelques centaines à peine soumissionnent et obtiennent des contrats? »

L’ex-ministre de la Justice déplore en outre le manque de transparence des critères qui régissent l’embauche d’un avocat plutôt qu’un autre pour représenter un ministre ou un haut fonctionnaire devant un tribunal. « Comment l’avocat est-il sélectionné ? Par qui ? Est-ce que celui qui est représenté a son mot à dire ? »

Le fait que plusieurs grands plaideurs québécois sont absents des soumissionnaires importants fait dire à Me Bellemare que le processus est perfectible. « Il est clair que je ne serai jamais invité, puisque je plaide contre le gouvernement. Ça va encore. Mais pourquoi les plus grands plaideurs du Québec, comme Jacques Larochelle ou Jean-Claude Hébert, ne sont-ils jamais dans les cartes? »

Marc Bellemare estime toutefois que le processus d’attribution de contrats gagnerait à être davantage accessible et mieux publicisé.

Les fournisseurs de grands travaux, les architectes, les ingénieurs, toutes ces professions sont au fait des modalités de participation aux appels d’offres et reçoivent régulièrement des invitations à soumissionner.

« Peu d’avocats savent par contre s’ils peuvent s’inscrire à une banque de candidatures ou ce qu’ils doivent faire pour être invité à soumissionner. On gagnerait à publiciser davantage les appels d’offre et à diversifier les représentations. »

Le bottin du Barreau regorge de spécialistes du droit administratif, autochtone, de la famille, de l’éducation, des caisses de retraite ou immobilier, dit Me Bellemare en substance. « Il n’y a pas de raison que ce soient toujours les mêmes qui remportent les soumissions. »

Pas du copinage

Me Sylvain Lussier, associé chez Osler
Me Sylvain Lussier, associé chez Osler
Que les contrats se concentrent tant au sein d’un groupe restreint ne surprend pas Me Don McCarty, associé directeur de Lavery, le deuxième plus important cabinet soumissionnaire au Québec.

« Il est normal que les ministères, les municipalités et les organismes publics aient des besoins juridiques ponctuels qui les obligent à faire appel à des spécialistes. » Un créneau dont Lavery veut tirer profit. Et pour maintenir son positionnement dans ce secteur, Lavery s’est doté d’une équipe dédiée exclusivement aux appels d’offres gouvernementaux.

Le plaideur Me Sylvain Lussier, associé chez Osler, estime quant à lui que le peu d’élus dans les appels d’offre est inévitable. Entre autres parce que la courbe d’apprentissage est abrupte lorsqu’on représente un nouveau client. Ce dernier « veut quelqu’un connaissant les dossiers, qui saura guider l’entreprise dans la prise de décision stratégique ».

Il n’est donc pas surprenant qu’un cabinet ou une équipe d’avocats, qui se spécialisent dans certains mandats, reviennent souvent dans le décor. « Ce n’est pas du copinage. Quand on travaille avec un client, il se crée des affinités », et la familiarité avec le client et ses besoins rend plus facile l’obtention de nouveaux mandats.

Si Me Lussier n’est pas aussi critique que Me Bellemare envers le processus, il concède toutefois que l’idée de trouver des moyens d’élargir la banque de candidats potentiels est bonne.

Il reste que la sélection d’un soumissionnaire « n’est pas un exercice d’équité envers les avocats », conclut Don McCarty, de Lavery.
Et vous, qu’en pensez-vous?

''(1) – Dans un texte précédent, nous avions calculé la valeur totale des contrats publics aux plus importants cabinets soumissionnaires seulement. Elle s’établissait à 41 M$ selon les données disponibles au moment de la publication.''

''Dans le texte ci-haut, nous établissons plutôt la valeur totale de tous les contrats publics octroyés aux cabinets.''

''Elle est de 62 M$. Ce total tient compte de nouveaux contrats octroyés entre septembre 2015 et février 2016, données rendues publiques depuis notre première publication.''
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3 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Soumission ??
    chapitre C-65.1, r. 4
    Règlement sur les contrats de services des organismes publics
    Loi sur les contrats des organismes publics(chapitre C-65.1, a. 23)

    SECTION I
    CONTRAT DE SERVICES JURIDIQUES
    35. Un contrat de services juridiques peut être conclu de gré à gré.
    D. 533-2008, a. 35.

    36. Pour les organismes publics visés au paragraphe 1 ou au paragraphe 2 du premier alinéa de l'article 4 de la Loi, un contrat de services juridiques est conclu par le ministre de la Justice ou avec son consentement, sauf si un tel contrat concerne uniquement les activités à l'étranger d'une délégation générale, d'une délégation ou d'une autre organisation permettant la représentation du Québec à l'étranger, établie conformément à l'article 28 de la Loi sur le ministère des Relations internationales (chapitre M-25.1.1).
    D. 533-2008, a. 36.

  2. Me C
    Encore faut-il soumissionner
    Pour remporter une soumission encore faut-il soumissionner et être le plus bas soumissionnaire.

    Me Bellemare ne rate pas une seule occasion de tenter de jeter le blâme sur les organismes gouvernementaux. Les affirmations gratuites ne sont pas appropriées et font preuve d'un manque de pondération.

    Me Larochelle et Me Hébert ne sont peut-être pas intéressés à représenter l'état ou à travailler à un tarif horaire moins intéressant.

  3. Colbert
    Colbert
    il y a 7 ans
    Le coût de soumissionner
    La réponse à un appel d'offres gouvernemental exige un investissement en temps considérable, la plupart du temps en vain. Les petits cabinets n'ont pas souvent les ressources nécessaires pour répondre à la soumission, ce qui en écarte plusieurs. H8z4p4

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