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Exit les vacances judiciaires? L’ABC réplique!

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Stéphane Lacoste

2016-09-30 15:00:00

« Nos juges ne sont pas oisifs », rappelle l’ABC-Québec à la ministre de la Justice Stéphanie Vallée au sujet du dossier chaud des vacances judiciaires. Coup de gueule et réflexions…

Madame la Ministre,

Me Stéphane Lacoste est Président de l'Association du Barreau canadien, Division du Québec
Me Stéphane Lacoste est Président de l'Association du Barreau canadien, Division du Québec
L’Association du Barreau canadien, Division du Québec, est une association qui a le privilège de représenter tant des avocats que des notaires, des étudiants en droit, des professeurs de droit et des juges. Nous nous trouvons donc dans une position unique pour réagir à votre appel de vendredi dernier adressé à la communauté juridique.

Comme vous, nous sommes aussi préoccupés par les problèmes d’accès à la justice et les délais malheureusement trop longs que peuvent subir les justiciables, que ce soit en matière criminelle ou en matière civile, à voir leurs droits adjugés par nos tribunaux. Il n’existe toutefois pas de solution simple à ces problèmes.

Votre suggestion de réorganiser certains aspects du calendrier judiciaire et des journées de travail des juges et des procureurs mérite certainement d’être explorée afin de permettre la maximisation des ressources déjà mobilisées. Ceci dit, nous croyons qu’une étude sérieuse des différentes alternatives doit être effectuée avant d’imposer des mesures qui pourraient, à terme, s’avérer contre-productives et briser un équilibre par ailleurs souhaitable.

Des vacances?

Les « vacances judiciaires » n’ont souvent de vacances que le nom. Cette période de deux mois représente une période durant laquelle seule l’audition des procès au fond est suspendue. L’audition de toute autre demande, de même que la rédaction des jugements des causes prises en délibéré, tout aussi importantes pour les justiciables, continuent à temps plein durant les mois de juillet et août. Cette période est aussi propice aux vacances familiales pour tous : juges, procureurs, clients et témoins, ce qui rend plus difficile la tenue de procès.

On ne peut donc simplement imposer aux uns et aux autres de ne jamais prendre de vacances. Il est difficile de réconcilier les calendriers de tous et chacun. L’expérience des tribunaux administratifs qui ne prennent pas de pause durant l’été montre combien il est difficile de tenir des audiences en juillet et août.

« Nos juges ne sont pas oisifs »

Vous exprimez aussi le désir que l’utilisation des salles de cour soit maximisée en tout temps. Nous sommes évidemment favorables à un tel résultat, dans la mesure où les moyens mis de l’avant sont réalistes et réalisables. La fonction de magistrat ne se limite pas à l’audition de causes dans une salle de cour. Nos juges doivent également investir le temps nécessaire pour prendre connaissance des dossiers, faire de la gestion d’instance, présider des conférences de règlement à l’amiable, délibérer et rédiger les jugements des causes entendues.

Ils sont également appelés à se déplacer d’un palais de justice à un autre. Nos juges ne sont pas oisifs. Si on veut utiliser les salles de cour plus souvent et plus longtemps, il faudra trouver le moyen de libérer du temps pour nos juges et songer à en nommer un plus grand nombre.

Dans l’immédiat, un tel objectif implique que les processus de nomination de juges du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial soient revus. Il faut que les gouvernements commencent par nommer des juges plus rapidement afin que tout poste devenu vacant soit comblé immédiatement. Une justice de haute qualité requiert une mobilisation des ressources adéquates et suffisantes. La primauté du droit ne peut être assurée que si les tribunaux ont accès aux ressources nécessaires pour bien servir le droit et le public dans des délais raisonnables.

La fonction judiciaire doit recevoir le financement nécessaire pour qu’elle puisse bien jouer son rôle fondamental dans notre ordre constitutionnel.

Il faut aussi se garder de « déshabiller Pierre pour habiller Paul » en concentrant les ressources limitées des cours dans les affaires criminelles pour réagir à l’arrêt Jordan et entraîner alors une augmentation des délais dans les affaires civiles.

Changer la culture du milieu

Les choix faits par nos législateurs influencent aussi les besoins des tribunaux. Un droit plus complexe, des procédures de plus en plus lourdes ainsi que la création de nouvelles infractions pénales ou criminelles augmentent la charge de travail des tribunaux. La lutte, nécessaire, au crime organisé et les choix de la Direction des poursuites criminelles et pénales (notamment de multiplier le nombre de chefs d’accusation dans un dossier donné ou d’accuser plusieurs personnes en même temps) ont aussi le même effet. Tous ces choix légitimes ont un impact sur les délais des tribunaux et sur l’accès à la justice.

Nous pouvons et devons tous faire mieux et il faudra travailler à changer la culture du milieu juridique, notamment en incitant tous les acteurs à prendre toutes leurs vacances pendant les vacances judiciaires afin de pouvoir être présents durant les sessions des tribunaux.

L’Association du Barreau canadien, Division du Québec, souhaite contribuer à un système meilleur et plus efficace. Elle est présentement en discussion pour créer des comités de liaisons avec la Cour du Québec, la Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel du Québec. Nous sommes aussi intéressés à discuter avec tous les autres partenaires de la justice et participer à la recherche de solutions pratiques et réalistes aux défis d’accès à la justice et à la maximisation des ressources judiciaires, y compris les questions relatives au calendrier judiciaire et à l’utilisation des salles de cour.

Madame la Ministre, nous accueillons très positivement votre volonté d’agir pour moderniser l’administration de la justice québécoise et vous assurons de notre collaboration pour réaliser votre souhait.

Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de nos plus sincères salutations.

Stéphane Lacoste, avocat
Président
Association du Barreau canadien, Division du Québec

c.c. : L’honorable Nicole Duval-Hesler, juge en chef de la Cour d’appel du Québec
L’honorable Jacques R. Fournier, juge en chef de la Cour supérieure du Québec
L’honorable Élizabeth Corte, juge en chef de la Cour du Québec

Pour rappel, la ministre Stéphanie Vallée s’est exprimée le 23 septembre dernier sur la question des vacances judiciaires. Inquiète de l’avortement de plusieurs mégaprocès en raison des délais jugés déraisonnables, elle a demandé que les tribunaux fonctionnent désormais à l’année.

Même si elle respecte le fait que les procureurs aient droit à des vacances, Madame Vallée a mentionné l’importance d’utiliser les tribunaux à pleine capacité, notamment durant l’été.
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