Nouvelles

Affaire Kendrick Lamar : ce qu’il faut en conclure

Main image

Julien Vailles

2016-12-02 15:40:00

Un musicien montréalais vient de remporter une bataille judiciaire contre le clan du rappeur Kendrick Lamar pour une question de droits d’auteur. Un avocat en propriété intellectuelle revient sur l’affaire…

Un musicien montréalais vient de remporter une bataille judiciaire contre le clan du rappeur Kendrick Lamar.
Un musicien montréalais vient de remporter une bataille judiciaire contre le clan du rappeur Kendrick Lamar.
La boîte de Pandore, à défaut de s’ouvrir, vient d’être entrouverte dans ce jugement de la Cour du Québec, croit Me Michael Shortt, avocat spécialisé en propriété intellectuelle chez Fasken Martineau.

La division des petites créances de la Cour a tranché le mois dernier en faveur du rappeur montréalais Jonathan Emile Whyte Potter-Mäl (ou simplement « Jonathan Emile »), condamnant trois maisons de disque américaines à payer 8 000 $ à Jonathan Emile. Par leur faute, la chanson Heaven Help Dem du chanteur avait été retirée des sites YouTube et Soundcloud.

Retour sur les faits

Jonathan Emile s’est inspiré de l’affaire de Freddy Villanueva, un jeune tué par un policier montréalais en 2008, pour composer sa chanson Heaven Help Dem. Il a par ailleurs demandé au célèbre rappeur Kendrick Lamar d’en composer un couplet, ce à quoi ce dernier a acquiescé moyennant contrepartie.

Cependant, Jonathan Emile n’a pu communiquer avec les maisons de disque Top Dawg Entertainment, Interscope Records et Universal Music Group pour officialiser l’entente. Sa chanson prête, il l’a donc postée sur YouTube, Soundcloud et d’autres sites et services de musique. Une décision qui n’a pas plu aux maisons de disque; en effet, peu après sa mise en ligne, les trois entreprises ont envoyé un avis aux sites hébergeant la chanson, les sommant de retirer celle-ci de leurs pages. On a consenti à l’avis et la chanson est disparue d’Internet.

Me Michael Shortt, avocat spécialisé en propriété intellectuelle chez Fasken Martineau.
Me Michael Shortt, avocat spécialisé en propriété intellectuelle chez Fasken Martineau.
Même s’il est parvenu à remettre la chanson en ligne plus tard (moyennant 1 975 $ de frais d’avocat), Jonathan Emile allègue que le mal était fait, car il n’a pu profiter d’une notoriété sur Internet au moment de la parution de son premier album. Il a donc poursuivi en justice les trois maisons de disque en demandant des dommages-intérêts pécuniaires pour les pertes subies et des dommages moraux. Se basant sur la Charte des droits et libertés de la personne, la Cour du Québec, division des petites créances, lui a accordé 5 000 $ à ce titre. Elle a également ordonné à chaque maison de disque de payer une somme de 1 000 $, pour un grand total de 8 000 $.

Une décision étonnante

Cette décision a de quoi surprendre, déclare Me Michael Shortt. Pour comprendre, il faut se pencher sur les règles américaines et canadiennes en matière de droit d’auteur, explique-t-il.

« En droit américain, en vertu du Digital Millenium Copyright Act (DMCA), une maison de disque, qui constate que son droit d’auteur a été violé par la publication d’une œuvre sur Internet, peut envoyer un avis sommant au site de retirer l’œuvre contrefactrice. Le site a alors grand intérêt à obtempérer, car s’il ne le fait pas, il perd l’immunité de poursuite qui le protégeait avant la réception de l’avis », détaille Me Shortt. En droit canadien, un tel avis a bien moins de force persuasive puisque le site en question a la seule obligation de le retransmettre à celui qui a publié l’œuvre alléguée contrefaite.

Cependant, un problème survient lorsque le litige devient international, comme c’est le cas ici. Or, dans les faits, tous les sites se conforment au droit américain lorsqu’ils reçoivent un tel avis, explique Me Shortt, car c’est la loi la plus sévère. Dans les faits, Youtube (américain) et Soundcloud (allemand) ont accepté sans discussion.

Jonathan Emile rejetait donc la faute sur les maisons de disque qui ont, selon lui, abusé de leur droit de faire parvenir un tel avis. Et la Cour lui a donné raison, ce qui signifie que l’application du droit canadien a, en l’espèce, eu raison d’un avis états-unien, constate Me Shortt.

Me Hélène Maillette, associée fondatrice du cabinet St-Pierre Maillette.
Me Hélène Maillette, associée fondatrice du cabinet St-Pierre Maillette.
Jugement à tempérer!

Cependant, il faut se garder de voir là un précédent. Les jugements de la Cour du Québec, division des petites créances, n’ont la force de précédent conférée aux autres jugements de la Cour du Québec et de ceux des tribunaux supérieurs.

Par ailleurs, les maisons de disque n’ont jamais comparu au dossier, si bien que le jugement a été remporté par défaut, rappelle Me Shortt. Qui sait donc quels arguments elles auraient pu faire valoir?

En somme, résume Me Shortt, le jugement amène des questions très intéressantes, mais n’est pas forcément déterminant.

De surcroît, la tâche n’est pas terminée pour Jonathan Emile. S’il veut récupérer le montant qui lui est octroyé, il faudra faire homologuer le jugement aux États-Unis.

Un appel possible?

En matière de petites créances, la décision de la Cour du Québec ne peut être portée en appel, et le recours en révision judiciaire n’est ouvert que s’il y a absence ou excès de juridiction (décision déraisonnable, non-respect des règles de justice naturelle, interprétation du droit ou des faits irrationnelle, déraisonnable, manifestement erronée), explique Me Hélène Maillette, associée fondatrice du cabinet St-Pierre Maillette et enseignante dans plusieurs universités en matière de preuve et procédure civile. « Il y a donc peu de possibilités de ce côté », concède-t-elle.

Toutefois, rappelle-t-elle, le jugement a été rendu en l’absence des parties défenderesses. Aussi, lorsque celles-ci prendront connaissance du jugement, elles auront 30 jours pour en demander la rétractation, pourvu qu’alors, il ne se soit pas écoulé plus de 6 mois depuis le jugement. Pour ce faire, elle devra présenter des motifs suffisants pour justifier son absence lors de l’instruction, conclut-elle.

Me Hélène Maillette, LL.B., diplômée de l’Université Laval en 1985, a été admise au Barreau en 1986. Elle exerce en pratique privée en matières civile, commerciale et familiale comme associée fondatrice du cabinet St-Pierre Maillette.
Elle agit également comme médiatrice en matières civile, commerciale, familiale et à la division des petites créances de la chambre civile de la Cour du Québec.

Me Michael Shortt est membre du groupe de pratique Propriété intellectuelle et Technologies de l’information du bureau de Montréal de Fasken Martineau. Diplômé de l’Université McGill en droit civil et en common law, Michael est membre du Barreau du Québec (2014) et du Barreau de l’Ontario (2015), et a exercé les fonctions d’auxiliaire juridique auprès de la Cour d’appel de l’Ontario et de la Cour supérieure du Québec.

9285

2 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Precedent
    Where does it say that small claims cases don't have weight for precedent?

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 7 ans
      Dans le refard méprisants des autres "juridictions"
      un regard vaut mille mots.

Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires