Karim Renno

Restreindre la liberté d’expression ? Mission (presque) impossible !

Main image

Karim Renno

2017-02-01 13:30:00

Il faut se lever de bonne heure pour obtenir une injonction qui restreint la liberté d’expression. Voici pourquoi...

Le jeune super plaideur Karim Renno
Le jeune super plaideur Karim Renno
En décembre 2012 - dans le cadre de la rubrique des Dimanches rétro - nous avions traité sur À bon droit des enseignements de la Cour d'appel sur la possibilité d'obtenir une injonction interlocutoire restreignant la liberté d'expression ou la liberté de presse. Nos lecteurs assidus ne seront pas surpris d'apprendre que c'est presque impossible (et c'est tant mieux selon moi). Dans l'affaire Lévy c. Journal de Montréal, l'Honorable juge Michel A. Pinsonnault rappelle les principes applicables à une telle demande et son caractère très exceptionnel.

Dans cette affaire, la Demanderesse recherche l'émission d'une injonction provisoire ordonnant aux Défendeurs de retirer un article de son site web. Elle allègue que cet article lui est diffamatoire, qu'il brosse un portrait factuel inexact de sa situation et que sa présence continue en ligne lui cause un préjudice irréparable.

Les Défendeurs s'opposent à la demande. Ils font valoir que l'article n'est pas diffamatoire et que, de toute façon, la Demanderesse ne peut restreindre leurs libertés d'expression et de presse au moyen d'une injonction provisoire.

Le juge Pinsonnault souligne d'abord que le fardeau pèse sur la partie qui recherche l'émission d'une injonction d'établir les critères habituels. Mais il ajoute que lorsqu'il est question de liberté d'expression et de liberté de presse, ce fardeau est exponentiellement plus élevé puisqu'il faut satisfaire à critères plus stricts:

(24) En général, en matière d’injonction provisoire, le demandeur doit établir un droit ou une apparence de droit sérieuse, un préjudice irréparable et l’urgence de rendre l’ordonnance demandée.

(25) Par ailleurs, en situation de diffamation en matière journalistique, de liberté d’expression et de liberté de la presse, par surcroît, la jurisprudence a établi des critères beaucoup plus stricts.

(26) En fait, les tribunaux se sont toujours montrés réticents à émettre des injonctions interlocutoires en matière de diffamation.

(27) À ce sujet, le Tribunal fait siens les propos du juge Stephen W. Hamilton dans la cause de Leblanc c. Leduc, et je cite :

« D’entrée de jeu, il faut reconnaître que le test traditionnel pour justifier le prononcé d’une ordonnance d’injonction interlocutoire n’est pas celui qui est approprié si l’injonction recherchée vise à interdire la diffusion des déclarations diffamatoires. Cela tient essentiellement à l’utilisation inappropriée des critères du poids des inconvénients et du préjudice irréparable qui, en matière de diffamation, peuvent difficilement favoriser l’auteur des propos dits diffamatoires. Ce qui a pour effet de restreindre sinon de scléroser la liberté d’expression. C’est la conclusion à laquelle en est venue la Cour suprême dans l’affaire Canadian Liberty Net. »

(14) En conséquence, les tribunaux n’appliquent pas le test traditionnel pour l’émission d’une injonction interlocutoire en matière de diffamation :

(15) Le juge Robert adopte plutôt les règles suivantes pour émettre une telle injonction :
1. Le pouvoir discrétionnaire du juge d’émettre une telle injonction doit être exercé avec une très grande prudence;
2. L’injonction ne peut être accordée que dans les situations les plus claires et les plus rares.
3. Les paroles ou les écrits prohibés doivent être clairement diffamatoires.
4. Le préjudice causé par les paroles ou les mots doit être irréparable.
5. L’appelant ne nie pas la véracité des propos ou s’il les nie, sa défense de justification est dépourvue de succès. »

L'analyse subséquente par le juge Pinsonnault de la trame factuelle l'amène à conclure que les critères applicables ne sont pas rencontrés.

Finalement, le juge Pinsonnault souligne que ce n'est pas parce qu'une injonction provisoire ou interlocutoire ne peut être émise que la Demanderesse est sans recours. Si elle a raison que les propos des Défendeurs sont diffamatoires, elle pourra obtenir une condamnation en dommages.

Me Karim Renno est associé fondateur du cabinet Renno Vathilakis Inc. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.
3337

2 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Pour certain sujets c'est simple, et ça se fait sans injonction
    Si voulez museler ceux qui critiquent les politiques d'immigrations canadiennes par exemple, il suffit:
    - de médias laissant entendre que ces critiques sont de dangereux xénophobes (les exemples abondent depuis lundi matin);
    - d'encourager la dénonciation policière (comme l'a fait le SPVM).


    Le nec plus ultra, c'est une vidéo ludique et conviviale ciblant les enfants, afin de les pousser à dénoncer leurs parents, comme l'a fait la police finlandaise:

    http://www.youtube.com/watch?v=4cjbr7xFrnk

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 7 ans
      Foutaise!
      Et ils sont où exactement vos victimes de ce processus? Allez voir sur les média sociaux vous constaterez qu'il y a encore tout plein qui critiquent.

Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires