Opinions

Est-il temps de diffuser les procès en matière criminelle?

Main image

François Boillat-madfouny

2017-10-04 10:15:00

Nous avons la technologie nécessaire pour appliquer l’adage selon lequel « non seulement la justice doit être faite, mais elle doit être vue faite »...

François Boillat-Madfouny
François Boillat-Madfouny
Le principe de l’audience publique est une notion fondamentale de notre système de justice. Son application devrait-elle davantage impliquer la diffusion audiovisuelle des procédures judiciaires?

Actuellement, au Canada, seule la Cour suprême du Canada enregistre et diffuse en ligne ses audiences. Devrait-on étendre ce principe aux cours d’appel et aux tribunaux de première instance? Plus spécifiquement, y a-t-il lieu de diffuser les procédures judiciaires de première instance en matière criminelle?

Le débat n’est pas nouveau, surtout dans la littérature académique américaine. Il prend toutefois une couleur bien intéressante au 21e siècle alors que notre rapport à l’information – et à sa circulation – prend des formes qu’on ne pouvait imaginer lorsque le concept du procès public a été consacré.

L’avènement d’internet comme outil indispensable à la vie en société favorise l’instantanéité et l’abondance d’information – et de désinformation. La popularisation des médias modernes et sociaux révolutionne la circulation de l’information dans nos sociétés.

Ces nouvelles réalités nous poussent à nous demander comment le principe de l’audience publique doit se manifester de nos jours et si la diffusion audiovisuelle des procédures judiciaires criminelles doit être privilégiée au sein de notre système de justice pénale canadien.

Ceux qui plaident en sa faveur avancent en premier lieu que le principe de l’audience publique étant essentiel à notre démocratie, la diffusion des procès en ligne n’en serait que la consécration parfaite. Nous avons la technologie nécessaire pour appliquer parfaitement l’adage maintes fois cité selon lequel « non seulement la justice doit être faite, mais elle doit être vue faite ».

En fait, il faut distinguer le principe de l’audience publique du simple accès physique aux tribunaux. Ce n’est pas parce que le public peut accéder à la salle d’audience que le procès satisfait aux exigences de publicité d’une société démocratique. Théoriquement, il est public; pratiquement, absolument pas puisque le membre du public n’a ni le temps, l’argent ou l’intérêt d’aller écouter un procès public dans une salle d’audience qui, de toute façon, ne pourrait accueillir tous les citoyens.

Un public mieux informé acceptera plus aisément une décision

C’est dans ce contexte que les médias traditionnels jouent le rôle d’intermédiaire entre le public et les tribunaux. Or, bien que leur rôle soit noble, les médias sont tout de même motivés par des intérêts commerciaux et peuvent se tromper. Et alors que la prolifération des médias modernes facilite la circulation de désinformation et de « fausses nouvelles », la diffusion neutre permet alors d’éviter ces intermédiaires qui ont tendance à interpréter et vulgariser le procès de façon sensationnaliste et sans nuance.

Par ailleurs, la diffusion audiovisuelle entraînerait aussi plusieurs bénéfices éducatifs qui contribueraient à renforcer la confiance du public dans le système pénal canadien. Cette confiance est primordiale et il ne faut surtout pas la sous-estimer. Sans l’impression que la branche judiciaire est juste et équitable, elle perd la force morale sur laquelle elle fonde son autorité. Contrairement aux autres branches du pouvoir donc les chefs peuvent être écartés par des élections lorsque la confiance du public est perdue, la branche judiciaire doit rester la plus indépendante et digne de confiance possible puisque ses membres sont inamovibles. Or, lorsqu’elle semble distante, mystérieuse et incompréhensible, il devient difficile pour les membres du public de lui faire confiance et de ne pas conclure que ses décisions sont arbitraires ou biaisées lorsqu’ils ne sont pas d’accord.

Un public mieux informé quant aux différents facteurs à prendre en considération dans le cadre du processus de détermination de la peine d’un accusé pourra beaucoup plus facilement accepter la décision du juge puisqu’il comprendra son processus réflectif, même si, ultimement, il n’est pas d’accord.



Parmi les autres arguments en faveur de la diffusion audiovisuelle, on peut avancer sa contribution au renforcement de la capacité d’autogouvernance du public, le fait que les séances des deux autres branches de pouvoir sont déjà diffusées ou l’imputabilité des acteurs judiciaires.

Le public trop émotif ?

Les contre-arguments – outre le droit de l’accusé à un procès équitable, au droit d'un témoin à la vie privée et à la protection de la dignité et du décorum des procédures judiciaires – sont notamment à l'effet que la diffusion embrouille la frontière entre les tribunaux judiciaires et l’opinion publique.

Dans notre tradition judiciaire, les tribunaux sont les seuls à pouvoir légitimement décider ce qu’est la « vérité » et ordonner les conséquences qui devraient s’ensuivre selon la loi.

À cette fin, les tribunaux et le législateur ont élaboré et perfectionné une série de règles de fond et de preuve que les juges doivent suivre. Cette mise en forme pénale renforce l’autorité des tribunaux comme seuls décideurs, et cherche spécifiquement à écarter toute influence politique ou publique quant à la décision appropriée qui devrait être prise dans un contexte factuel donné. Elle renforce l’idée que l’émotivité du public et le biais du politique ne doivent en aucun cas influencer le processus des tribunaux. Or, la diffusion de procès transforme le public en participant au procès en lui donnant la fausse impression qu’il possède toute l’information nécessaire pour pouvoir légitimement déterminer la culpabilité ou non d’un individu.

Cette politisation de la branche judiciaire et juridicisation de l’opinion publique diminuent l’autorité des tribunaux et banalisent le procès et les décisions qui est sont issues, surtout si le public n’est pas d’accord. Or, la beauté – voire l’essence – de la branche judiciaire est précisément qu’elle doit être indépendante et ne pas être influencée par le public ou la politique. Sans cette indépendance, son autorité s’évapore.

Bref, le débat concernant diffusion audiovisuelle, encore qu’il ne soit pas récent, doit reprendre de l’importance alors que notre rapport à l’information et à sa circulation évolue. Nombreux facteurs sont à considérer. Toutefois, vu l’importance inégalée de la confiance du public dans notre système de justice pénale et des craintes qu’elle diminue progressivement depuis quelques années, ce débat doit absolument être réintroduit dans l’enceinte publique.

François Boillat-Madfouny est étudiant à la maîtrise en droit criminel. Cette opinion a d’abord été publiée dans le magazine National, de l’ABC.

5206

2 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Non
    La justice spectacle ?? Non merci ! Avoir de la pub derrière ma toge et faire du placement de produits dans mes plaidoiries, très peu pour moi...

  2. Maurisse
    Maurisse
    il y a 6 ans
    Non
    Si on se fie sur le déroulement de certaines des plus récentes commissions d'enquête, où les commissaires semblaient plus intéressés à "offrir un beau show" qu'à découvrir la réalité, je crains les inévitables dérives qui viendront avec la diffusion des procès criminels.

Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires