Karim Renno

Le pouvoir des tribunaux de limiter la durée des débats

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Karim Renno

2017-11-29 09:15:00

La tendance est de limiter la durée des procès… donc des débats. Et la discrétion du juge à cet égard est presque sans limite…

Me Karim Renno, associé fondateur du cabinet Renno Vathilakis Inc.
Me Karim Renno, associé fondateur du cabinet Renno Vathilakis Inc.
L'heure est à la gestion d'instance beaucoup plus serrée en matière civile au Québec. À ce chapitre, une des tendances qui se manifeste récemment est l'intervention accrue des juges de première instance pour limiter la durée des procès. Or, la discrétion du juge qui procède ainsi est presque illimitée puisque la barre est excessivement haute pour obtenir la permission d'en appeler d'une telle décision.

C'est ce qui ressort de la décision récente de l'Honorable juge Nicholas Kasirer dans l'affaire Desrosiers c. Dumas (2017 QCCA 1054).

Dans cette affaire, les parties produisent une déclaration commune en première instance qui prévoit une durée de huit jours pour le procès. Saisi de la gestion du dossier, le juge de première instance (l'Honorable juge Louis-Paul Cullen) en vient à la conclusion que l'audition doit être limitée à une durée de deux jours.

Les Requérants sollicitent la permission d'en appeler de ce jugement, estimant qu'il met en péril leur droit de présenter une preuve pleine et entière.

Saisi de cette demande, le juge Kasirer souligne que la demande est régie par l'article 32 C.p.c. puisqu'il s'agit d'un jugement de gestion de l'instance. Ainsi, la démonstration que le jugement est déraisonnable eu égard aux principes directeurs de la procédure est nécessaire pour que la permission d'en appeler soit accordée. Or, le juge Kasirer ne voit rien de déraisonnable dans la décision attaquée:

(12) En ramenant le dossier à une taille plus modeste, le juge avait clairement à l’esprit non seulement l’idée de trouver une solution proportionnelle aux enjeux de l’affaire, mais aussi, des considérations ayant trait à la saine administration de la justice dans le district où il agit à titre de juge coordonnateur. On peut également voir, à diverses reprises dans les notes sténographiques, qu’il cherche à amener les parties à se concerter pour voir, entre elles, si le dossier pourrait être abordé autrement. Ceci me semble être conforme au devoir de coopération, autre principe directeur de la procédure (article 20 C.p.c.) qui, avec le principe de proportionnalité (article 18 C.p.c.), n’est pas étranger à la mesure de gestion attaquée ici.

(13) En fixant la durée de l’instruction lors de cette première conférence de gestion, le juge était au cœur de sa compétence énoncée à l’article 158, al. 1(1) C.p.c. L’appréciation par le juge du temps exigé par le dossier dans ce contexte paraît pleinement réfléchie et, compte tenu de la nature discrétionnaire de la décision, mérite déférence en appel. Un autre juge aurait peut-être ordonné une solution différente, mais là n’est pas la question.

(…)

(15) J’ajouterais que, rendue lors d’une conférence de gestion, la décision est susceptible d’être revue, advenant un changement de circonstances, si le juge du fond estime que la saine administration de la justice exige une instruction plus longue. En ce sens, le jugement ne cause pas un préjudice irrémédiable aux requérants au sens de l’arrêt Elitis Pharma inc. c. RX Job inc., 2012 QCCA 1348 (CanLII). Ce constat, comme la Cour l’a rappelé récemment, m’incite aussi à conclure que le jugement n’a rien de déraisonnable au sens de l’article 32 C.p.c. : voir Pop c. Boulanger, 2017 QCCA 1009 (CanLII), paragr. [40].



Me Karim Renno est associé fondateur du cabinet Renno Vathilakis Inc. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.
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4 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    ouach
    "mais aussi, des considérations ayant trait à la saine administration de la justice dans le district où il agit à titre de juge coordonnateur.'

    Donc, pas selon les besoins de la cause et le point de vue des procureurs (qui connaissent le dossier et ses particularités), mais plutôt selon des considérations administratives.

    Audi alteram partem vient en 2e après le budget du district? Bravo!

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      à Toronto ils doivent rire de nous.
      Pour le ROC: Audi alteram partem

      Pour le ROC: Audi alteram partem, pea soup style.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Effectivement...
    Je remarque que l'honorable juge Cullen est particulièrement «agressif» lorsque vient le temps de limiter la durée de l'audience et qu'il le fait, du moins en apparence, sans même tenir compte des détails du dossier. C'est plutôt préoccupant.

    Effectivement, ceci a pour effet potentiel de priver une partie de son droit d'être entendu, qui est, devons-nous le rappeler, un droit fondamental garanti par la Charte. Je ne crois donc pas que des considérations administratives doivent prendre le pas sur un droit fondamental, même si l'objectif visé est louable.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Changement de culture nécessaire
    C'est bien beau le audi alteram partem, mais il suffit de parler avec des avocats avec plusieurs années de Barreau pour réaliser qu'un procès qui aurait duré 2 jours il n'y a pas très longtemps en dure maintenant 10 ou même plus... Qu'est-ce qui a changé dans notre façon de pratiquer pour qu'on en arrive là? Les droits des parties étaient-ils moins bien défendus à l'époque? Ce sont des questions qu'on doit se poser collectivement, je pense, afin de contribuer à la bonne administration de la justice.

    Quand c'est rendu qu'un procès de plusieurs jours est rendu la norme, il ne faut pas s'étonner que les gens laissent tomber leur droit, voyant venir la longueur de la facture au bout du compte. Ou bien, en défense, qu'ils se posent la question s'ils préfèrent payer le demandeur et en finir tout de suite, ou bien payer la même somme à un avocat après un an de procédure et de stress.

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