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La GRC condamnée à payer près d’un demi-million $

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Jean-francois Parent

2018-01-30 11:15:00

Une enquête mal fagotée, ayant mené à des accusations de traite de personne, est prise à partie par la juge...

La juge France Dulude
La juge France Dulude
Des « preuves plutôt minces », des « omissions », la publication de « demi-vérités », une enquête « négligente » au résumé « incomplet et trompeur »...

Des policiers fédéraux en ont pris pour leur grade, en début d'année, alors que la juge France Dulude a taillé en pièce trois gendarmes.

En outre, le DPCP et l'une des procureures, Me Isabelle Briand, poursuivis solidairement, ont été exonérés par le jugement de la cour supérieure.

C'est le plaideur de Québec, Me Jacques Larochelle et son collègue Me Philippe-Antoine Larochelle qui représentent la famille accusée de traite de personne, les Makounian.

Mes Dominique Guimond et Michèle Lavergne, de Justice Canada, représentent les policières Marie Suzie Raymond et Magdala Turpin, tandis que Me Christian Schiller, de Justice Québec, plaide pour le DPCP et sa procureure Me Isabelle Briand.

Dans un jugement étoffé de 64 pages, rendu au retour du congé des Fêtes, la juge Dulude accorde ainsi 426 000 $ à une famille lavalloise pour l'avoir erronément accusée d'avoir exploité une aide familiale et de s'être adonné à la traite de personne.

Irrégularités

Les Makounian, Libanais d'origine et citoyens canadiens, reviennent au pays en 2004 accompagnés de l'Éthiopienne Senait Tafesse Manaye, embauchée comme aide familiale auprès de leurs quatre enfants à la fin des années 1990.

Elle est logée, nourrie, blanchie, et reçoit 150 $ par mois, selon les termes en vigueur au Liban, où la famille vient de passer quelques années.

À l'expiration du statut de la jeune Éthiopienne, en 2005, les problèmes commencent : entrée au pays avec la famille sous un visa de visiteur, expiré en avril 2005, Senait Manaye s'en voit refuser la prolongation.

Les Manoukian embauchent un avocat, et, « dans l’attente que le statut de Mme Manaye soit régularisé, Me Brownstein (ndlr : dont le prénom n'est pas précisé) recommande alors à Mme Manaye et aux Manoukian d’être prudents, de limiter les mouvements de Mme Manaye et de ne pas lui verser de salaire », relate la juge France Dulude.

Les démarches sont faites en Afrique pour que Mme Manaye puisse rester au Canada avec les Manoukian, qui la considèrent « comme leur fille », depuis plusieurs années.

Traite de personne

Me Isabelle Briand, exonérée par le jugement de la cour supérieure
Me Isabelle Briand, exonérée par le jugement de la cour supérieure
L'aide familiale est en situation irrégulière et craint l'expulsion. En septembre 2005, elle rencontre d'autres Éthiopiennes dans un supermarché de Laval et leur confie ses craintes, maladroitement : elle n'est pas payée et ne peut quitter la résidence.

Des signalements sont faits à l'agence des services frontaliers et aux policiers. Les policiers de Laval, de la GRC et des services frontaliers débarquent un bon matin de l'hiver 2006 chez les Manoukian pour effectuer une perquisition.

Les premières entrevues faites avec l'aide familiale révèlent que celle-ci se juge bien traitée, qu'elle peut faire ce qu'elle veut, qu'on lui donne de l'argent lorsqu'elle en a besoin, mais qu'on lui doit un an de salaire.

Contradiction

Lors d'une deuxième entrevue, un mois plus tard, voilà que Senait Manaye affirme être menacée de mort, qu'elle a peur de retourner chez les Manoukian et qu'elle craint pour sa sécurité. L'enquête se poursuit, et en octobre 2006, les gendarmes Marie Suzie Raymond et Magdala Turpin « soumettent le dossier à la procureure du DPCP Isabelle Briand, afin que des accusations de traite de personnes soient portées ».

L'enquête se poursuit et résulte au dépôt d'accusations selon l'article 279 du Code criminel portant sur la traite de personnes et d'en avoir tiré un avantage matériel.

Sauf que... lorsque le DPCP relève la contradiction dans le témoignage de la jeune éthiopienne, un complément d'enquête révèle que son interprète l'a incitée à se dépeindre en victime si elle voulait rester au Canada.

L'interprète jugeait odieuses les conditions de travail de la jeune femme. D'où sa recommandation de livrer un témoignage contradictoire aux policiers.

Une enquête « bâclée »

Jacques Larochelle, le plaideur de Québec
Jacques Larochelle, le plaideur de Québec
Cela n'a pas semblé affecter l'enquête outre mesure, remarque la juge Dulude, selon qui « les gendarmes n’ont pas, de façon objective, cherché à déterminer s’il existait des motifs raisonnables(...) de croire qu’une infraction à l’article 279 (...) avait été commise. Elles ont omis de considérer les éléments favorables révélés par l’enquête ».

En fait, « un policier normalement prudent et diligent » aurait plutôt cessé l'enquête et fermé boutique, puisqu'il n'y avait aucun « motif raisonnable et probable de croire que les infractions de traite de personnes avaient été commises à partir des informations contenues au dossier d’enquête ».

Pourtant, on a décidé de porter des accusations, et de les publiciser. Cela aussi suscite l'ire de la juge Dulude, qui estime que « les propos tenus » par les policiers « n’étaient pas conformes à ce que l’enquête a révélé » et reposaient sur des « demi-vérités ».

Le DPCP pointé du doigt

Quant à Isabelle Briand, du DPCP, la juge Dulude constate que l'enquête « négligente » des policiers ont mené à un rapport « incomplet et trompeur » sur la base de laquelle Me Briand a décidé d'agir.

Cela étant, plusieurs erreurs ont été commises par le DPCP, « Me Briand a erré dans son évaluation du dossier. Même si elle a été animée par de bonnes intentions, elle n’a pas exercé sa discrétion avec objectivité et impartialité. (Elle) aurait dû réaliser qu’il existait peu d’éléments de preuve », pour appuyer ses accusations, écrit la juge Dulude.

« Tous conviennent, y compris Mme Manaye, qu’elle ne connaît pas le pays et qu’elle ne parle pas le français et peu l’anglais. Son statut n’est pas régularisé ici et elle ne veut pas retourner en Éthiopie. (…) Elle a peur de se faire arrêter. Les Manoukian veulent la protéger justement parce qu’elle est vulnérable. (…) C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’ils ont entrepris et payé les démarches auprès d’un avocat spécialisé, comme le ferait toute personne responsable. »

Concluant notamment à l'absence de malice de la part du DPCP, « la poursuite contre Me Briand et le DPCP doit donc être rejetée, compte tenu de l’immunité relative dont ils bénéficient ».
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1 commentaire

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Exonérée l'immunité qui la protège, faut-il souligner
    Parce que sur le fonds, son comportement n'était pas plus brillant que les autres, mais qu'il n'y avait pas de preuve d'intention de nuire.

    Espérons que ça va la réveiller, parce sur la photo elle a l'air endormi du fonctionnaire qui dort sur la switch depuis longtemps...

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