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Bras de fer contre une pétrolière!

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Radio -canada

2018-11-13 11:15:00

Au nom de 30 000 Autochtones de l'Équateur, cet avocat s'attaque à la pétrolière Chevron. Et ce, sans honoraires. Entrevue.

Les Autochtones de l'Équateur se battent devant les tribunaux contre la pétrolière Chevron depuis les années 1990. Crédit photo : Reuters/Guillermo Granja
Les Autochtones de l'Équateur se battent devant les tribunaux contre la pétrolière Chevron depuis les années 1990. Crédit photo : Reuters/Guillermo Granja
L'avocat canadien Alan Lenczner est engagé dans un combat à la David contre Goliath : il s'attaque à la pétrolière Chevron, accusée d'avoir souillé les terres de ces Autochtones pendant près de 30 ans.

En 2012, après une bataille judiciaire qui a duré plus de 25 ans, la Cour supérieure de l’Équateur confirme l’amende de 9,5 milliards de dollars américains que Chevron doit verser aux Autochtones de Lago Agrio, dans le nord-est du pays, pour avoir pollué 1500 km2 de leur terre.

Mais Chevron, qui avait arrêté sa production de pétrole en 2000 en Équateur, n'y dispose plus d'actifs à saisir pour payer la condamnation.

Alan Lenczner estime que la filiale canadienne de Chevron, Chevron Canada limitée, peut, elle, payer cette amende.

L’avocat torontois s’est engagé dans un combat pour que la justice canadienne reconnaisse le jugement de 2012 et somme Chevron Canada d'assumer la facture.

Delphine Jung : Comment en êtes-vous arrivé à représenter des Autochtones installés à près de 5000 km de Toronto?

Alan Lenczner : C’est un avocat équatorien qui est venu me voir pour me demander de l’aide dans ce dossier. Je ne le connaissais pas et je n’ai, encore aujourd’hui, aucune idée de qui l’a dirigé vers moi. Après avoir fait plusieurs recherches, je me suis aperçu que Chevron avait cette succursale au Canada et qu’il était possible d’entamer des procédures judiciaires pour faire reconnaître le jugement équatorien ici. Cette succursale détient au moins 25 milliards de dollars de biens, elle est donc capable de payer l’amende qu’a reçue Chevron en Équateur.

Avez-vous rencontré des villageois?

Oui, je suis allé en Équateur rencontrer à plusieurs reprises les tribus. La plupart de ces gens sont malades, certains sont devenus aveugles ou souffrent de cancer, de lésions cutanées… Ils se baignent dans cette eau polluée, mangent les poissons qu’ils y pêchent. Beaucoup sont morts prématurément.

La cour vous a donné raison à trois reprises en expliquant que la cause peut être défendue au Canada. Maintenant, elle doit reconnaître que le jugement rendu en Équateur a une valeur juridique ici. En mai dernier, la Cour d'appel de l'Ontario a rejeté cette requête, vous essayez donc de porter le dossier devant la Cour suprême. Quel est l’enjeu principal de ce dossier?

La loi dit que chaque filiale d’une entreprise est séparée de la maison mère. Moi, j’essaie de faire dire à la cour que c’est un fantasme, parce que la succursale canadienne de Chevron est dirigée et contrôlée par l’organisation mère américaine. Si c’était la première succursale de Chevron, il n’y aurait pas de problème pour récupérer l’argent, mais dans notre cas, Chevron Canada limitée est une succursale de 7e niveau.

Actuellement, il n’y a aucune jurisprudence dans ce domaine, la loi n’a pas évolué, alors que ce phénomène de créations de filiales par la maison mère est devenu courant ces dix dernières années. Finalement, je me retrouve à faire du droit corporatif et du droit environnemental dans ce dossier.

Le procès en Équateur a commencé en 1993. Encore aujourd’hui, d’autres procès liés à ce dossier sont en cours, dont celui que vous menez. Comment expliquer que ce soit si long?

Lors du premier procès en Équateur, il y a eu 100 experts et encore plus de témoignages. Le juge a aussi visité 56 sites pollués, dans la jungle, donc difficilement accessibles. Puis Chevron a déposé des plaintes aux États-Unis contre l’avocat équatorien qui a défendu les villageois, contre tous les experts et même contre les gens qui les ont soutenus financièrement. Chevron les accusait de conspiration de fraude. Tout ça prend du temps...

De quels moyens disposent les entreprises comme Chevron?

C’est toujours très difficile de mener des combats juridiques contre des entreprises pétrolières, car elles ont des moyen (financiers) que nous n’avons pas. Chevron, par exemple, depuis le début de son procès contre les villageois, a dépensé 220 millions de dollars américain par an en frais d’avocats.

De notre côté, il faut énormément de volonté. Nous avons beaucoup d’organismes derrière nous, ainsi que des universités et des étudiants en droit qui nous aident. Ils ne nous financent pas, mais font un travail de recherches pour nous donner un coup de main. Tout seul, on ne peut pas le faire, il nous faut une petite armée.

Qui paie vos honoraires?

Je ne touche pour le moment aucun honoraire dans cette cause et aucune organisation non gouvernementale ne me finance. Je toucherai un pourcentage si nous remportons le procès.

Dernièrement, des villes comme San Francisco ou Oakland ont déposé une poursuite en justice contre cinq compagnies pétrolières pour leur responsabilité dans les changements climatiques. Au Canada, on se souvient aussi des Autochtones de Lelu Island qui s’opposaient au projet de Petronas ou encore de la Première Nation Heiltsuk, contre Kirby Corporation. Croyez-vous que ces genres de procès vont se multiplier?

Je pense que oui. On voit déjà qu’il y a des procès comme ça au Canada ou dans d’autres pays dans lesquelles les grandes pétrolières ont contaminé et pollué (des régions).

Au Canada, je crois que les entreprises comprennent que si elles contaminent, elles paient. Donc, elles ont moins tendance à se défendre bec et ongles. Elles savent qu’elles vont perdre.

Vous vous souvenez de l'explosion de la plateforme pétrolière de BP qui avait entraîné le déversement de 4 millions de barils de pétrole dans le golfe du Mexique? BP n’a pas essayé de se défendre, elle a payé, car aux États-Unis, elle ne s’en serait pas sortie.

Mais en Afrique ou en Amérique du Sud, ce n’est pas pareil. Là-bas, elles ne veulent pas dépenser de l’argent pour nettoyer, alors elles polluent en sachant très bien que la réglementation de ces pays est moins stricte que dans les pays développés. Et lorsqu’elles sont poursuivies dans des pays moins développés, elles se défendent vigoureusement.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce genre de procès?

C’est le défi surtout. On rencontre aussi des gens très intéressants, dans des domaines très différents, donc on apprend plein de choses sur les minières, les pétrolières, le commerce. Les questions environnementales me touchent beaucoup, surtout depuis ces dix dernières années. Avant, je faisais beaucoup de droit corporatif, maintenant, je m’intéresse plus aux personnes vulnérables. L’environnement, c’est notre avenir, donc je fais ce que je peux pour soutenir les gens qui s’intéressent à ça et qui tentent de le protéger.

Quels conseils donneriez-vous à des avocats qui se lancent dans de tels procès-fleuves ?

Je leur conseille de s’allier avec d’autres avocats, des universités, des professeurs, car il y a tout un monde qui veut aider. Je leur souhaite beaucoup de courage.

Alors, pensez-vous que c’est possible de gagner contre de grandes industries?

J’espère que oui! (rires)
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