Entrevues

Coroner : une pratique digne d’un thriller!

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Céline Gobert

2019-01-28 15:00:00

Plus jeune coroner permanente du Québec, l’avocate de 35 ans a le cœur bien accroché : elle voit quelque huit cadavres par jour!

Me Julie-Kim Godin est la plus jeune coroner permanente du Québec.
Me Julie-Kim Godin est la plus jeune coroner permanente du Québec.
Lorsque sa petite fille de deux ans sera en âge de lui demander ce qu’elle fait, la coroner, avocate et maman Me Julie-Kim Godin répondra : « je fais des enquêtes.»

Et elle ne mentira pas : le rôle du coroner est de mettre en lumière les causes d’un décès et définir qui est mort, quand, où, et de quoi.

Toutefois, il ne faudrait pas traumatiser l’enfant avec les réalités, souvent horribles, du terrain : réceptionner quelque 8 cadavres par nuit, retracer le fil des événements d’une mort violente, côtoyer des familles endeuillées, voir des corps suicidés, putréfiés, parfois morts depuis des semaines dans l’indifférence générale.

À 35 ans, celle qui est la plus jeune coroner permanente du Québec et qui a fait ses armes comme avocate en droit de la santé a assurément le cœur solide. Devenir coroner est d’ailleurs un rêve qu’elle caressait depuis longtemps.

Aujourd’hui, la juriste exerce au 11e étage du Bureau de la Sûreté du Québec. Le reste du temps, elle le passe au sous-sol, à la morgue…

Jointe par Droit-inc alors qu’elle enchaînait 24 heures de garde, Me Godin s’est ouverte sur son quotidien digne d’un thriller qui a modifié tout autant sa façon de voir la mort que la vie!

Droit-inc : Quel est votre travail? Dans une journée, de combien de morts parle-t-on?

Me Julie-Kim Godin : En général à Montréal, une journée normale c’est entre 6 et 8 cas de décès signalés. Cet été, c’était plus occupé avec la canicule, et le Temps des fêtes est chargé aussi.

Mon travail est de mener une investigation sur des morts violentes ou obscures, ou résultant de négligences, de causes inconnues, ou qui sont arrivées dans un lieu qui nécessite une investigation, comme les postes de police, les garderies, les prisons.

On agit de façon indépendante, sans parti pris, sans compte à rendre, sans égard pour le statut social de la victime. On ne prend pas en compte la capacité d’un « client » à payer! Et on la traite toujours avec dignité.

Quand vous faites une garde de 24 heures, vous dormez?

C’est comme avoir un enfant en bas âge, on ne sait jamais vraiment quand on va dormir! La nuit dernière, je me suis couchée à 2 heures du matin, et fait réveiller vers 6h. On ne choisit pas quand les gens meurent!

D’ailleurs, la loi de Murphy veut que l’appel surgisse toujours quand on vient de s’asseoir pour manger, qu’on va chercher son enfant à la garderie ou quand on va dormir! (Rires)

Vous faites des autopsies?

Non, c’est le pathologiste. Je suis avocate, pas médecin, mais je peux y assister. En général, je n’ai pas le temps de le faire car quand les autopsies ont lieu je suis en train de gérer les demandes d’investigation pour faire avancer les choses.

Pour chaque personne décédée, je contacte la famille, parfois élargie. Mon objectif est vraiment d’aider les gens. Ce sont des personnes endeuillées qui ont perdu un être cher souvent de façon soudaine et inattendue. Il faut prendre le temps.

Pour Me Julie-Kim Godin, être coroner « c’est un peu comme dans les films » .
Pour Me Julie-Kim Godin, être coroner « c’est un peu comme dans les films » .
C’est quand même un métier qui vous met face à des réalités assez sombres. Comment on se dit : « je vais devenir coroner »?

Je travaillais en responsabilité médicale dans le domaine de la santé et certains de mes dossiers en cabinets privés me permettaient de voir les rapports du coroner. Ça m’a d’abord intrigué puis c’est devenu un rêve.

Ce que j’aime c’est que le coroner a des pouvoirs « extraordinaires » d’investigation, plus important qu’un avocat. On saisit littéralement les corps, on ordonne les expertises, on peut saisir des objets, c’est un peu comme dans les films.

Chaque jour est différent, chaque cas a son intrigue. Aussi, le coroner peut prendre part à des enquêtes publiques qui prennent la forme d’une audience dans un palais de justice, un peu comme une commission d’enquête (ndlr : exemple récent avec l’affaire de la légionellose).

Comment faites-vous avec les émotions, pour ne pas craquer?

Je vois des gens qui ont vécu des choses très difficiles. On apprend à vivre avec la mort et les gens endeuillés. Ce qui rend le travail vraiment motivant, c’est les choses qu’on peut faire, qu’on peut changer. Donc oui, c’est triste, aucun cas n’est joyeux mais j’essaie d’y voir le côté positif et d’aider les proches à comprendre ce qui s’est passé.

Je ne suis pas insensible cela dit, il y a des cas qui viennent plus particulièrement me chercher, surtout ceux qui touchent les enfants. Ce sont aussi ceux pour lesquels on va redoubler d’ardeur pour mettre en lumière les circonstances du décès. Même si je suis bouleversée, je dois rester professionnelle. C’est le seul secret!

Ça prend quoi pour devenir coroner? Vous êtes beaucoup au Québec?

Nous sommes trois à Montréal, trois femmes. Et huit au Québec, cinq femmes et trois hommes. Il y a aussi 80 coroners à temps partiel.

Pour devenir coroner, il faut être nommé par le conseil des ministres, c’est une nomination à vie. Il faut beaucoup d’expérience, 8 à 10 ans, soit en médecine soit en droit. Pour les coroners à temps partiel, ça peut être 4 ans.

Du côté des compétences, je dirai qu’il faut surtout avoir de l’empathie. Si tu n’as pas ça, tu ne peux pas aider les gens endeuillés. Il faut aussi avoir de la curiosité, pour les investigations, pour les sujets moins familiers. Par exemple : les décès de canotiers, tu apprends les règles de base de sécurité en kayak.

Quand l’identité du corps est inconnue, d’où partez-vous votre enquête?

Si on a seulement des ossements, on va partir du profil ADN, faire appel à un anthropologue judiciaire pour essayer d’établir le profil de la personne, si c’est un homme, une femme, son âge, la couleur de ses cheveux.

Si on a un corps, on va faire une prise d’empreintes, prendre des photos, regarder les dents, et l’ADN aussi.

Qu’est-ce qui est le plus challengeant dans votre profession?

« Pour devenir coroner, il faut être nommé par le conseil des ministres, c’est une nomination à vie », nous dit Julie-Kim Godin.
« Pour devenir coroner, il faut être nommé par le conseil des ministres, c’est une nomination à vie », nous dit Julie-Kim Godin.
Je sais maintenant que de l’événement le plus bête peut résulter quelque chose de terrible. Le travail que je fais me rend peut-être plus sensible, mais c’est ça qui m’effraie.

On retrouve souvent des itinérants, morts, sur le trottoir, et des milliers de personnes sont passées à côté de lui sans le remarquer ou ne faisant rien. On se retrouve confrontés à des réalités humaines effrayantes. C’est ça qui me marque le plus.

Mais il faut à tout prix de personnaliser la victime : ne pas se dire « ça aurait pu être ma mère, ma soeur, mon mari, mon enfant », car c’est là que ça nous affecte le plus.

Enfin, votre travail a-t-il transformé votre rapport avec la mort, la vie?

C’est sûr, oui. La mort n’est pas quelque chose de taboue chez nous ni d’apeurant. On réalise que ultimement on va tous mourir. C’est une chose que de le savoir, et une autre de le réaliser. La distinction est grande. On comprend que la vie est précieuse.

L’une de mes collègues coroner a récemment cogné à la vitre d’un automobiliste qui allait conduire avec de la neige partout sur son char pour lui dire que s’il ne le déneigeait pas elle allait le signaler pour mettre en danger la vie des autres! J’imagine qu’on devient davantage « surprotectionniste », on a conscience des dangers.


Les médecins, les avocats et les notaires peuvent être aptes à être nommés coroners.

D’après les informations publiques sur la rémunération des emplois supérieurs au Québec, en 2018 le salaire de l’une des coroners permanentes et coroner en chef (une avocate) s’élevait à 144 687 dollars par année.
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