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Vers une discrimination génétique au Canada?

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Yann Joly Et Gratien Dalpé

2019-03-19 10:15:00

Deux juristes se penchent sur la récente décision de la Cour d'Appel relativement à la Loi sur la Non-Discrimination Génétique (LNDG).

Yann Joly, le directeur de la recherche au Centre de Génomique et Politiques(CGP).
Yann Joly, le directeur de la recherche au Centre de Génomique et Politiques(CGP).
Le 21 décembre 2018, la Cour d'Appel du Québec (Les honorables : Duval Hesler, Bich, Bélanger, Savard et Mainville) a rendu un important avis consultatif sur la validité constitutionnelle de la Loi sur la Non-Discrimination Génétique (LNDG).

Cette loi, initialement parrainée par le sénateur Jim Cowan, vise à prévenir la discrimination génétique en édictant une interdiction criminelle d'imposer des tests génétiques ou d'obtenir l'accès à des informations perçues à travers des tests génétiques (2, art. 1-7).

La loi prévoit des exceptions à cette interdiction de façon à ce que les professionnels de la santé et les chercheurs puissent utiliser les résultats de tests génétiques des patients et des participants à la recherche (2, art. 6).

La question posée à la Cour d'Appel par le Renvoi était de savoir si les articles 1 à 7, les composantes centrales de la LNDG, constituaient un exercice valide de la compétence fédérale en matière de droit criminel.

D’un point de vue constitutionnel, une réponse positive à cette question serait déterminante, car la compétence du Parlement fédéral en matière de législation sur le secteur de l’assurance et de l’emploi - où la discrimination génétique a suscité le plus de controverse au Canada - est extrêmement limitée.

Il est à noter que la loi devait être défendue par un amicus curia puisque le procureur général du Canada, dans un geste inhabituel, s’est rangé du côté du Ministère de la Justice du Québec pour plaider en faveur de la non-constitutionnalité de la LNDG. Ce jugement, rendu une semaine avant les vacances de Noël, n’a pas fait l’objet d’une grande couverture médiatique.

Prévenir la discrimination génétique par la voie du droit criminel?

N’ayant eu besoin que d’un mois à peine pour parvenir à une décision unanime, le tribunal a déterminé que l'objectif de la loi est d’éviter que des personnes refusent de se soumettre à des tests génétiques, de peur que leurs résultats ne soient utilisés dans le cadre d'un contrat ou dans l’obtention de services, notamment aux fins d’une assurance ou d’un emploi.

Selon cette interprétation, en rassurant les gens sur les limites de l’utilisation de leurs résultats de tests génétiques, la loi favorise ou fait la promotion de l'accès à ces tests.

Ainsi la Cour a ensuite conclu que les articles 1 à 7 de la LNDG ne visent pas directement à prévenir la discrimination génétique, et que de favoriser ou promouvoir la santé ne peut constituer un objet principal du droit criminel tel qu’il est traditionnellement conçu.

Compte tenu de cette interprétation de la LNDG et de l’empiétement possible dans les champs de compétences des législatures provinciales dans le domaine de l’emploi et de l’assurance (3, art. 92(13)), la Cour d’Appel a estimé que les articles 1 à 7 de la LNDG étaient ultra vires de la compétence fédérale en matière de droit criminel.

L’opinion de la Cour d'Appel dans le cadre d’un Renvoi a la valeur d’un jugement de cette cour (4, art. 5.1). Les articles 1 à 7 de la LNDG restent en vigueur, mais pourraient se voir abroger sous peu.

Toutefois, si ce Renvoi était invoqué dans une procédure judiciaire en la matière, les articles contestés pourraient être invalidés. Déçue par le jugement, la Coalition canadienne pour l’équité génétique (CCEG) a fait appel de la décision à la Cour suprême du Canada. Si la décision de la Cour suprême est semblable à celle de la Cour d’Appel, la LNDG serait, à toutes fins utiles, inexécutable ou invalide. Entre temps, l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes (ACCAP) a déclaré qu'elle continuerait de se conformer à la LNDG.

Vers une discrimination génétique au Canada?

Gratien Dalpé travaille au Centre de Génomique et Politiques en tant qu'associé académique.
Gratien Dalpé travaille au Centre de Génomique et Politiques en tant qu'associé académique.
La réponse est plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. À court terme l’invalidation, ou abrogation de cette loi susciterait probablement des inquiétudes chez les personnes prédisposées et porteuses de mutation(s) à certaines maladies génétiques monogéniques (associées à une mutation sur un seul gène) fortement héréditaires. Par exemple la maladie de Huntington, la fibrose kystique ou, certains cancers du sein héréditaires associés aux gènes BRCA 1 et 2.

Cependant, la LNDG comporte d'importantes lacunes et soulève d'importantes questions d'équité qui affaiblissent considérablement sa capacité réelle à prévenir la discrimination génétique dans la plupart des cas.

Par exemple, alors que les assureurs se voient empêchés d’imposer ou de demander des informations sur les tests génétiques par la LNDG, ils peuvent tout de même demander des informations sur les antécédents médicaux et familiaux de leurs clients – une source implicite d’informations génétiques – comme ils peuvent le faire pour d’autres conditions prédictives qui ne sont pas associées à des gènes connus, tels que les résultats de tests de cholestérol ou les antécédents de maladie mentale dans la famille.

Le choix du législateur de protéger dans la LNDG certaines conditions génétiques prédictives et non d'autres (ex. le fait d’être en rémission à un cancer) est aussi controversé. La Cour d'Appel a posé des questions à ce sujet lors de l'audience pour tenter de comprendre certains de ces choix.

De plus, la définition de test génétique utilisée dans la loi et son champ d'application - à des contrats ou accords portant sur la fourniture de biens et services - limitent le champ d'application de la loi, ce que la Cour a également noté.

Quelle serait la marche à suivre?

Il semblerait que la saga politique et judiciaire de la LNDG offre aux décideurs politiques l’occasion de convier le public à un débat plus large à propos du traitement des informations génétiques.

Suite à ce débat, une stratégie efficace pour contrer la discrimination génétique pourrait consister à élaborer un cadre de gouvernance fait de politiques fédérales et provinciales complémentaires.

Les modalités d’application et le contenu scientifique (ex. les définitions, les secteurs visés, les instances responsables et les sanctions) de ce cadre devraient être déterminés par règlements administratifs, plus facilement modifiables que des lois, pour répondre aux avancés scientifiques rapides et consensus sociaux émergents dans ce domaine.

Ce cadre devrait être bonifié par des campagnes d’information dynamiques et nuancées sur la discrimination génétique et les façons de la prévenir. Un dernier élément consisterait à mettre à jour nos lois sur la confidentialité de l’information pour réglementer l’utilisation des données de santé, y compris les données génétiques, dans le contexte du traitement des données massives par intelligence artificielle et sur l'Internet.

Le cadre de gouvernance ici proposé ne sera pas facile à développer, car il requiert des actions concertées de multiples acteurs fédéraux et provinciaux. C’est cependant le meilleur moyen de faire face aux défis complexes qui nous sont posés par la génétique en ce début de XXI siècle.

Yann Joly est le directeur de la recherche au Centre de Génomique et Politiques (CGP). Il est professeur associé au Département de Génétique Humaine de la Faculté de Médecine avec nomination conjointe à l’Unité de Bioéthique de l’Université McGill. Il a reçu distinction Avocat émérite du Barreau du Québec en 2012 et a été nommé membre de l’Académie Canadienne des Sciences de la Santé en 2017.

Gratien Dalpé travaille au Centre de Génomique et Politiques en tant qu'associé académique. Il en est aussi le coordonnateur. Il détient un baccalauréat et une maîtrise en biochimie (B.Sc/M.Sc) à l’Université de Sherbrooke, un doctorat en biologie moléculaire (Ph.D.) de l’Université de Montréal et un diplôme en droit civil (LL.B) de l’Université de Montréal.

''Les auteurs tiennent à remercier le professeur Daniel Turp de la Faculté de Droit de l’Université de Montréal pour les très enrichissantes conversations qu’il leur a accordées au sujet de ce Renvoi.
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