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Deux avocats trempent dans une affaire louche

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Florence Tison

2020-02-04 15:00:00

Deux avocats québécois ont participé à tout un stratagème pour soutirer de l’argent à des prêteurs privés. Un des créanciers est l’ancien gardien de but José Théodore...

José Théodore. Photo : notrehistoire.canadiens.com
José Théodore. Photo : notrehistoire.canadiens.com
Dans son jugement rendu en décembre, le juge Bernard Synnott a condamné Me Michel Gauthier et l’ex-avocat Wilmar Carvajal à rembourser la somme avancée par la demanderesse, Johanne Lavoie : 60 000 $ plus intérêts.

Deux autres prêteurs, dont l’ancien gardien de but du Canadien José Théodore, pourraient ne jamais revoir leurs quelques 150 000 $ envoyés à Me Gauthier via Johanne Lavoie au fil de l’affaire.

La « personnalité publique » serait-il le Loup de Montréal, John Babikian?

Pour tout comprendre de cette histoire, remontons un peu dans le temps.

En février 2014, une « personnalité publique » promettait, selon Me Michel Gauthier, une commission de 300 000 $ contre un prêt de 120 000 $, qui devait servir à obtenir un financement bancaire de six millions $ pour acheter des condos aux Bahamas.

Me Gauthier n’a jamais voulu révéler l'identité de son client ni aux prêteurs, ni au Tribunal, en raison de ses « sérieux problèmes avec la justice canadienne et américaine ».

On soupçonne ce client d’être John Babikian, un jeune Montréalais multimillionnaire grâce à la spéculation sur Internet, et disparu du Canada depuis 2012.

John Babikian devrait des millions de dollars au fisc, dont 11,5 M$ entre 2008 et 2010 seulement, révélait le Journal de Montréal en 2013. Il a par ailleurs fraudé des milliers d’investisseurs grâce à son site Awesome Penny Stocks, fermé en 2012 à la suite d’une enquête du FBI.

Me Gauthier est mis en contact avec l’ex-avocat Wilmar Carvajal, depuis radié pour des raisons étrangères à cette histoire. M. Carvajal informe sans tarder l’une de ses clientes de l’occasion d’affaires : Johanne Lavoie.

Mme Lavoie trouve deux prêteurs, dont l’un est nul autre que l’ancien gardien de la LNH José Théodore.

Pour les rassurer sur le prêt, Me Gauthier présente une lettre de pré-approbation du financement de la filiale des Bahamas de la Banque Royale du Canada.

« La lettre n’est adressée à personne et le signataire n’est pas identifié, indique le Tribunal. Seule une signature illisible apparaît au bas de la lettre. »

Malgré cette lettre de toute évidence bizarre, Wilmar Carvajal parvient à rassurer Mme Lavoie.Toujours pour la convaincre, Me Gauthier ajoute dans le contrat que le dépôt sera remboursable de « façon irrévocable ». En cas de retard de remboursement, des pénalités avec un taux d’intérêt deux fois supérieur à la limite autorisée par le Code criminel sont ajoutées au contrat.

« Cela fait bien leur affaire puisqu’ils pourront en plaider plus tard la nullité », juge le Tribunal.

Le 12 février 2014, une traite bancaire d’un montant de 120 000 $ est émise à l’ordre de Wilmar Carvajal en fidéicommis. L'ex-avocat transfert le même jour en fidéicommis un chèque de 80 000 $, qui sera suivi de 40 000 $ en argent comptant pour des raisons qu’on ignore.

« Il s’agit de la demande de l’emprunteur faite par l’entremise de Me Gauthier, écrit le Tribunal. Aucun reçu n’est émis et aucune question n’est posée. »

Les prêteurs ne reverront jamais cet argent, ni les sommes supplémentaires de 40 000 $ et 54 500 $ que Me Gauthier les a convaincus de verser en plus, dont 60 000 $ proviennent de la poche même de Mme Lavoie.

Des hommes masqués, une disparition de messager, une panne informatique...

Me Michel Gauthier et Wilmar Carvajal ont tous deux tenté de convaincre le juge Bernard Synnott de leur innocence en plaidant qu’ils n’agissaient pas à titre d’avocats, mais comme simple entremetteurs. Le juge ne les a pas crus.

« Non seulement les demandeurs se sont-ils servis ad nauseam de leur titre d’avocat et de manœuvres blâmables pour combattre le scepticisme de la demanderesse et la sécuriser en trompant sa vigilance mais, ils se sont également servis de leurs comptes en fidéicommis respectifs comme d’une boîte aux lettres permettant de faire transiger des sommes qui, pourtant, selon eux, n’ont aucun lien avec la pratique du droit. »

Durant l’année qui a suivi le prêt, toutes les raisons possibles et imaginables ont été trouvées par Me Gauthier pour ne pas rembourser Mme Lavoie, dont une disparition mystérieuse du messager transportant l’argent!

Le 13 juin 2014, Me Gauthier signe une entente pour le remboursement des sommes avancées avec des frais de pénalité de 150 000 $. L’entente prévoit qu’une somme supplémentaire de 50 000 $ devra être versée à Me Gauthier par les prêteurs, mais que tout leur sera remboursé 19 jours plus tard. Me Gauthier ne versera jamais l’argent.

Pour invalider sa signature du 13 juin auprès du juge, Me Gauthier a prétendu en cour que trois hommes masqués et possiblement armés l’avaient forcé à le signer dans son bureau… en l’absence de toute son équipe. Il n’aurait fait aucune plainte à la police.

Le juge Synnott n’a pas été tendre dans ses commentaires envers les deux avocats, et particulièrement envers Me Gauthier.

« La version offerte par Me Gauthier est dénudée de toute vraisemblance, peut-on lire dans le jugement. Son témoignage sur le moment des menaces en cause pour justifier l’absence de témoins apparaît créé de toutes pièces. »

Pour éviter de transmettre des documents à la Cour, Me Gauthier a aussi inventé une panne informatique. Suite à l’insistance du Tribunal, l'avocat s’est présenté avec lesdits documents dès le lendemain.

« Quant à son excuse utile d’une panne informatique pour prétendre ne pas pouvoir retrouver les livres et données comptables de son compte en fidéicommis, cela ne fait qu’accentuer son manque de crédibilité », estime le juge .

Le juge Bernard Synnott a donc condamné les deux accusés à rembourser les 60 000 $ plus indemnité que Johanne Lavoie avaient personnellement investis dans l’affaire. Quant aux sommes avancées par José Théodore, l’ancien joueur devra faire les démarches pour les récupérer lui-même : « la demanderesse ne peut plaider pour autrui ».
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