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Le « danger » d’écarter les accords de réparation des dossiers de corruption...

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Camille Laurin-desjardins

2020-08-24 11:15:00

Droit-inc s’est entretenu avec une professeure de droit qui étudie comment le droit pénal est appliqué pour les grosses entreprises, dans les cas de crimes économiques...

Me Jennifer Quaid. Photo : Site Web de l’Université d’Ottawa
Me Jennifer Quaid. Photo : Site Web de l’Université d’Ottawa
Les accords de réparation, ça vous dit quelque chose? On a beaucoup entendu parler de ce nouveau procédé mis en place en 2018 et permettant de régler des poursuites pour corruption ou crime économique, dans l’affaire SNC-Lavalin, qui a fait couler beaucoup d’encre dans les deux dernières années.

Disons que cette forme d’accord n’a pas nécessairement bonne presse, depuis le scandale qui a mené à la démission de la ministre fédérale de la justice, Jody Wilson-Raybould, en 2019, et mis le gouvernement Trudeau dans l’eau chaude. Pourtant, c’est un système qui a ses avantages, souligne Me Jennifer Quaid, vice-doyenne à la recherche et professeure agrégée à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa.

La chercheure vient d’obtenir une subvention pour étudier le phénomène en comparaison avec deux autres pays qui l’utilisent.

Droit-inc s’est entretenu avec Me Quaid.

Droit-inc : Vous avez reçu une subvention pour étudier l’efficacité de moyens de règlement hors tribunal dans les cas de corruption…

Jennifer Quaid : Oui. J'ai reçu une subvention à titre de chercheure principale. Donc c'est moi qui est responsable de la subvention, et qui la dirige. Cette étude comparera la France, la Suisse et le Canada.

Je m’attaque principalement à un mécanisme en particulier, parce que c'est relativement nouveau au Canada : les accords de réparation.

C'est un moyen de régler des poursuites qui se distingue des moyens qui existaient déjà auparavant. Ça ne remplace pas toutes les poursuites, et ça ne pourrait pas être une réponse toute faite à tous les scénarios, mais ça s'ajoute aux outils disponibles pour les enquêteurs et les procureurs.

Par exemple, au coeur de l'affaire SNC-Lavalin, la compagnie souhaitait pouvoir négocier un accord de réparation avec la poursuite, et la poursuite a décidé, à sa discrétion, ce qui est par ailleurs ce qui a été prévu dans la loi, qu'elle ne négocierait pas avec SNC-Lavalin, parce qu'elle était d'avis que ce n'était pas un bon cas pour négocier un accord de réparation.

Qu’est-ce qui distingue l’accord de réparation?

Ce qui est intéressant dans un contexte d’entreprise, c'est qu’on arrive à trouver une solution et à imposer des conséquences... J'utilise le mot « conséquence », parce qu'il n'y aura pas de condamnation. C'est vraiment la grosse différence.

On peut toujours régler une poursuite par un plaidoyer de culpabilité, avec une proposition conjointe sur sentence. C’est très répandu. C'est ce qui arrive dans la vaste majorité des cas qui impliquent des entreprises.

Dans l'accord de réparation, ce qui est intéressant, par l'absence de condamnation, et c'était au coeur de l'affaire SNC-Lavalin, c'est qu'on n’enclenche pas la disqualification à soumissionner pour des appels d’offres.

Cette méthode de régler des poursuites existe depuis longtemps aux États-Unis, et dans plusieurs pays occidentaux depuis quelques années.

C'était avec grand intérêt qu'on a adopté ce mécanisme et qu'on l'a ajouté au code criminel. Mais, nous sommes rendus à près de deux ans après l’entrée en vigueur du régime, et il n'a encore jamais été appliqué.

Il y a eu énormément d’attention dirigée vers l'existence de ce régime, lorsqu'il était question de l'affaire SNC-Lavalin. Et par la suite, on n'a plus vraiment rien entendu.

Moi, ce que j'ai écrit très franchement dans ma demande de subvention, c’est qu’il y a un danger très réel que cet outil qui a son utilité soit essentiellement consacré à être lettre morte dans le Code criminel... Parce qu'on a essayé une première fois, ç'a très mal marché, et là, on n'a plus envie d’y toucher.

Pourquoi, selon vous?

Une partie du problème, c'est qu'on a mal vendu la marchandise, ou en fait, on n'a même pas tenté de la vendre. C'est un instrument qui a été étudié dans les cercles universitaires, qui a été discuté dans les cercles praticiens, mais qui n'a jamais fait l’objet d’un débat public.

En partie, je pense, parce qu'on souhaitait trouver une solution à l’affaire SNC-Lavalin, et on avait hâte de rendre l'outil disponible... On a inséré ce régime dans un projet de loi budgétaire, qui ensuite a été adopté selon un échéancier très accéléré, et qui n’a pas permis beaucoup de débats sur le fond.

Quelle est son utilité?

Au Canada, on est un petit pays. La capacité de faire enquête sur des situations de corruption d’envergure, de fraude ou de crimes économiques d'envergure, c’est quand même limité.

On risque, comme dans d’autres domaines, de faire partie de collaborations à l’international pour la mise en application de la loi contre les entreprises. On va souvent travailler de concert avec d'autres autorités, que ce soit les Américains, les Britanniques, les Européens..

Si vous avez un pays autour de la table qui ne dispose pas des mêmes outils, ça va limiter la capacité de participer à ce genre de mise en application.

Parce que le Canada est signataire non seulement de la convention de l’OCDE, mais aussi de la convention de l’ONU sur la corruption.

Deuxièmement, pour les entreprises même, et je sais qu'il y a bien des gens qui réagissent mal à ce genre d'explication, mais il faut offrir quelque chose aux entreprises qui choisissent de faire le ménage, ou qui découvrent qu’il y a un problème, et qui veulent assumer leurs responsabilités.

Il faut leur permettre d'avoir une conséquence qui est quand même différente de ceux qui ne coopèrent pas.

Les crimes économiques comme la corruption sont des crimes très difficiles à déceler de manière indépendante par les autorités policières ou autres. Alors, on a intérêt à trouver des moyens d'encourager les entreprises à venir nous voir.

La dernière chose, c'est que l’accord de réparation est un mécanisme qui permet de régler et qui est structuré. Il identifie un certain nombre de facteurs importants, dont la prise en compte des victimes : on regarde si c'est opportun d'imposer des mesures correctives. Ça donne la possibilité à l’État, au nom de la collectivité, d’aller chercher des conséquences qui vont vraiment résoudre le problème.

C'est bien beau d'imposer une grosse amende, mais l'important, c'est aussi de faire en sorte, à l'avenir, que cette entreprise change ses façons de faire, pour éliminer le problème.

Alors le but de mon étude, c'est de dire: regardons ce qui a été fait ailleurs, pour voir si on ne pourrait pas trouver des idées pour nous permettre d'ajuster le tir. C’est d'aller à la recherche d’idées, de pratiques qui fonctionnent ailleurs, pour aider à ranimer, à donner un peu de vie à notre régime très embryonnaire encore.

On devrait souhaiter que ce soit rétabli et renforcé. Et que ce soit transparent. Il y a une absence de transparence qui est un peu paradoxale, dans cet espace, quand on parle de corruption...!

Vous avez aussi obtenu une autre subvention pour une étude sur la réticence du Canada à s'attaquer à la corruption des entreprises...?

C'est mon collègue criminologue Steven Bittle qui chapeaute cette recherche. Il s'intéresse beaucoup aux origines historiques et structurelles de la corruption.

On va tenter de comprendre ce qui contribue à ce rapprochement entre les détenteurs de puissances économiques, qui sont surtout des entreprises, et les gouvernements.

Qu'est-ce qui fait en sorte qu'on a cet environnement qui les met en contact, qui contribue à un environnement où on normalise la proximité des entreprises et des gouvernements?

On peut penser à SNC-Lavalin, à ce lien entre le lobbying, le contact avec les agents du gouvernement et les intérêts économiques des entreprises... Qu'est-ce qui fait en sorte qu'on tolère ça?

Il y a des raisons historiques et structurelles, liées entre autres à la taille de notre économie.
Personne n'a vraiment étudié ce phénomène-là dans le contexte canadien.
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2 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 3 ans
    Une autre étude universitaire bidon
    "Cette étude comparera la France, la Suisse et le Canada."


    Les États-Unis sont un très gros utilisateur des "accords de réparation", souvent pour des raisons politiques (et de politique étrangère), et ils sont laissés hors de cette étude comparative???

  2. L'Inconnue
    L'Inconnue
    il y a 3 ans
    Le nivellement par le bas
    Donc si je comprends bien, si les autres pays commencent à réduire leurs standards de ce qui est correct, juste et équitable pour les plus gros et riches, le plus que vous pouvez frauder, abuser, soudoyer, tricher, etc. le plus vous aurez accès à un programme qui vous excuse sans toutes les conséquences néfastes que les petits joueurs ou le citoyen moyen devront souffrir.

    Ceci est contre l'état de droit ou nous sommes tous soumis aux même droits et obligations.

    De plus, ceci ne fait que confirmer que si les fins le justifient c'est correct de commettre un acte criminel... la boite de pandore s’ouvre et quel danger!

    Je crois que cela va contre une tentative d’amélioration des règles au pays et aussi mondialement du côté humain et constitue plus un nivellement par le bas pour des intérêts économiques pour un petits nombre qu’un effort de pousser ce qui est juste et équitable.

    C'est certain qu'on pourrait dire que c'est utopique de vouloir imposer une justice internationale. Au lieu d'abdiquer pourquoi pas faire des pressions à l'OMC, OCDE, etc. pour limiter ce genre d'actes que de les promouvoir indirectement en minimisant leur gravité.

    Allez, laissez-faire, éliminant toutes les lois et laissons la loi de la nature prendre le relais tant qu’à faire…

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