Covid-19

Non-respect des règles sanitaires : peu de constats d'infraction distribués jusqu'ici

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Radio -canada

2020-09-17 12:00:00

Un avocat et un professeur en droit se prononcent sur les pouvoirs des policiers dans le cadre de rassemblements privés...

Me Gérald Soulière. Photo : Site Web de LSA Avocats
Me Gérald Soulière. Photo : Site Web de LSA Avocats
Les policiers du Québec, qui disposent depuis le week-end dernier d'un pouvoir élargi afin d'intervenir auprès de ceux et celles qui bafouent les règles sanitaires mises en place pour lutter contre la pandémie de COVID-19, n'ont sanctionné jusqu'à maintenant qu'une poignée de contrevenants.

Depuis l'entrée en vigueur, samedi dernier, du plus récent décret gouvernemental – et malgré le rassemblement, ce jour-là, de 10 000 manifestants antimasques –, le Service de police de la Ville de Montréal n'a émis qu'un seul constat d'infraction, alors que ceux de l'agglomération de Longueuil et de Laval n'en ont donné aucun.

À Québec, la Sûreté municipale a remis 350 avertissements verbaux en fin de semaine à des citoyens qui ne portaient pas le masque. Mais un seul d'entre eux s'est vu remettre un constat d'infraction parce qu'il refusait d'obtempérer.

C'est que l'application du nouveau décret gouvernemental, qui donne désormais aux policiers le pouvoir d'émettre des contraventions effectives sur-le-champ, n'est pas si simple.

Des directives contraignantes

À micro fermé, les corps policiers affirment que, même si Québec veut durcir le ton, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) leur demande d'agir dans un esprit de sensibilisation avant de sévir.

Son objectif, selon nos sources, est de donner une chance aux contrevenants de se conformer aux directives de la santé publique avant de leur donner une contravention.

Les policiers constatant une infraction relative au non-respect du couvre-visage doivent, en vertu d'une directive transmise par le DPCP, respecter cinq étapes avant de remettre une contravention :
#Constater l'infraction et valider la non-application en raison de toutes les exceptions (les moins de 10 ans, les conditions médicales, ceux qui sont attablés dans un restaurant, etc.);
#Offrir à l'individu de quitter les lieux ou de se mettre un couvre-visage, dans un esprit de sensibilisation;
#Laisser le temps à l'individu de se conformer;
#Si l'individu ne collabore pas, le policier doit l'informer de la possibilité d'une amende 400 $ qu'il pourrait recevoir immédiatement;
#Le policier demande à l'individu de s'identifier pour émettre la contravention.

La directive du DPCP prévoit même deux étapes supplémentaires en ce qui a trait au non-respect de « la règle du deux mètres ». Cependant, la plupart des contrevenants interpellés finissent par obtempérer avant d'en arriver à la délivrance d'un constat d'infraction.

Un champ d'application restreint

Intervenir dans les lieux privés est un exercice encore plus délicat. Oui, les policiers peuvent entrer dans une propriété sans mandat, mais les conditions pour ce faire, définies à l'article 84 du Code de procédure pénale, sont très précises, a expliqué mercredi l'avocat-criminaliste Gérald Soulière au Téléjournal Grand Montréal 18 h.

« En gros, ils doivent avoir un motif raisonnable et probable de croire qu'une infraction est commise; que cette infraction-là met en danger la santé des gens qui sont à l'intérieur; et que de rentrer dans la maison est la seule façon d'arrêter la commission de l'infraction, a-t-il résumé. C'est quand même assez rare. »

Cela étant dit, sur la voie publique, les policiers peuvent intervenir directement, assure Me Soulière. Y compris lors de manifestations comme celle de samedi dernier.

Louis Philippe Lampron. Photo : Site Web de l'Université Laval
Louis Philippe Lampron. Photo : Site Web de l'Université Laval
Legault souhaite éviter de faire des martyrs

Le premier ministre François Legault, néanmoins, hésite pour l'instant à demander aux forces de l'ordre de distribuer massivement des contraventions lors de tels rassemblements.

« Est-ce qu'on veut faire des martyrs, entre guillemets, de ces personnes-là? Il y a des pours, il y a des contres, ce n'est pas blanc ou noir », a-t-il fait valoir mercredi en conférence de presse.

« Au Québec, c'est important de pouvoir exprimer son désaccord avec le gouvernement, donc jusqu'à temps que ça ne nuise pas à la santé publique, on va le tolérer, a-t-il expliqué. Mais on n'exclut rien pour la suite des choses. »

Théoriquement, le gouvernement Legault pourrait valablement interdire les manifestations de plus de 250 personnes, rappelle pour sa part Louis Philippe Lampron, professeur titulaire en droits et libertés de la personne à la Faculté de droit de l’Université Laval.

Sur le plan juridique, une telle décision, « dans l'état actuel des choses, alors qu'on est en urgence sanitaire », aurait selon lui « de bonnes chances de passer le test de chartes ». Mais elle pourrait aussi avoir des résultats contraires aux objectifs poursuivis.

« Le problème avec les manifestations complotistes, c'est qu'une des raisons d'être de ces manifestations-là, c'est qu'on serait en train de basculer dans un régime totalitaire », a-t-il expliqué mercredi à l'émission 24|60.

« Alors, c'est sûr qu'au sens politique du terme, ça devient très complexe pour le gouvernement de faire interdire un rassemblement, et ce faisant, se trouver paradoxalement à donner de la vitesse à la théorie qui est au cœur de plusieurs de ces rassemblements. »

Plus largement, le professeur Lampron estime que les corps policiers du Québec, qui disposent déjà d'une marge de manœuvre beaucoup plus importante depuis le début de la pandémie, pourraient encore se voir octroyer davantage de pouvoirs. Mais le gouvernement Legault devra être prudent, prévient-il.

« Parce que les chartes des droits demeurent supralégislatives par rapport aux décrets, même dans l'état d'urgence, rappelle M. Lampron. De nouveaux décrets donnant plus de pouvoirs aux forces policières pourraient donc être contestés, selon lui, si tant est qu'on aille plus loin que nécessaire pour atteindre l'objectif. »
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