Covid-19

Les télémandats vont se buter au test de la Charte

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Camille Laurin-desjardins

2020-10-02 11:15:00

Les nouvelles règles sanitaires, en vigueur depuis jeudi dans les zones rouges, sont très strictes. Passeront-elle le test des tribunaux? Un criminaliste en doute…

Me Jean-Pierre Rancourt
Me Jean-Pierre Rancourt
Ça y est, depuis minuit, jeudi, nous sommes revenus à un confinement (partiel). Plus le droit d’avoir de visite chez soi, que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur (sauf pour les personnes habitant seules, qui pourront recevoir une personne à la fois).

Même si tous les rassemblement sont désormais interdits, même dehors, il est toujours permis de manifester, en se tenant à deux mètres et en portant un masque… des règles que plusieurs se sont empressés de contester, mercredi soir.

Et la partie la plus étonnante : le nouveau décret du gouvernement Legault prévoit entre autres que les policiers puissent obtenir un télémandat pour entrer dans un domicile, s’ils soupçonnent les résidants d’avoir des invités, pour leur remettre un constat d’infraction de plus de 1000$.

Est-ce que ça passera le test des tribunaux? L’avocat criminaliste Jean-Pierre Rancourt en doute. Même si le gouvernement Legault a précisé, jeudi, que cela est possible en vertu d’une modification récente au Code de procédure pénale, qui élargit l’utilisation du télémandat.

Droit-inc : Selon vous, est-ce que ce nouveau décret est constitutionnel... notamment la portion qui prévoit que les policiers vont pouvoir entrer dans les maisons avec un télémandat?

Jean-Pierre Rancourt : Il peut y avoir un problème avec le télémandat, parce que, normalement, c'est utilisé par les policiers lorsqu'un crime est commis, un crime au code criminel, et qu'on veut entrer à l'intérieur d'une maison.

Est-ce que ça va tenir le coup pour la santé publique, sous prétexte qu'on veut protéger la santé des gens? Ça sera à voir.

Les juges de paix vont autoriser ces télémandats, mais ça va être contesté à la cour, et les juges vont décider si c'est constitutionnel ou pas.

Mais dans la pratique, si le contestataire ouvre la porte et dit : « vous ne rentrez pas dans la maison », les policiers vont répondre : « on va chercher un télémandat ».

Si l'individu dit : « non, vous ne rentrez pas quand même », donc qu’il entrave le travail des policiers, les policiers pourraient arrêter l'individu pour entrave, parce qu'ils ont un mandat dans les mains, signé par un juge.

Donc ça pourrait aller jusque là... mais ce n'est pas évident.

Et selon vous, si la personne conteste par la suite un constat d'infraction remis dans de telles conditions, aurait-elle des chances de gagner en cour?

Je pense que oui… Parce qu'obtenir un télémandat pour ce prétexte, donner un simple ticket au niveau d'une loi provinciale, à mon avis, ça ne passe pas le test.

Donc ça ouvre la porte à beaucoup de contestations?

Oui, et mercredi, on entendait des gens à la manifestation dire que tous les billets allaient être contestés.

Mais ça, c'est quand même un autre contexte... si les gens se rassemblent, s'ils sont nombreux, même s'ils sont dehors, et qu'il refusent de porter un masque?

Oui, mais c'est le même groupe qui va décider par exemple de ne pas porter le masque à une manifestation, ou d'empêcher le policier d'entrer…

Le citoyen ordinaire, qui n'a rien contre les mesures sanitaires, il va dire aux policiers : « d'accord, vous pouvez entrer, je vais dire à mes invités de partir, on s'excuse… » Et le policier, peut-être, ne donnera pas de constat d'infraction.

Mais la personne qui est entêtée, si elle ne veut pas porter de masque et se promène dans les manifestations en disant : « ça n'a pas de bon sens, ces mesures sanitaires-là », si on arrive chez elle, elle va agir de la même façon.

L'autre point important, c'est que tous les rassemblements, aussi petits soient-ils, sont interdits, même dans la cour ou dans un parc... Est-ce que c'est contestable, selon vous?

Ça, je pense que ça peut être contesté, mais les chances ne sont pas très bonnes de gagner, parce que le gouvernement a quand même le droit, compte tenu de la sécurité publique, de prendre ces mesures-là, qui ne sont pas si coercitives que ça.

Je ne pense pas qu'on puisse faire tomber cela.

Pensez-vous qu'on va les appliquer, les mesures prévues dans ce décret, ou bien que c'est davantage pour envoyer un message à la population?

On va les appliquer, c’est sûr. Mais dans les maisons, je ne prévois pas qu'il y en ait beaucoup… Ça va être plus dans les manifestations qui s'en viennent. Les gens vont vouloir montrer qu'ils s'opposent complètement à ça.

Les policiers vont faire face à 1000-1500 personnes… Est-ce qu'ils vont arrêter tout le monde, leur donner des constats d'infraction? Il faut pouvoir identifier la personne. Si la personne refuse de s'identifier, est-ce qu'ils vont l'arrêter? Ils vont en arrêter 1000?

Ça n'a pas grand bon sens, ça ne fonctionnera pas dans le day to day. À mon avis, ça va être difficile à appliquer.

On va donner des exemples, peut-être, on va en arrêter quelques uns, et on va dire aux autres : « on vient de déclarer la manifestation illégale, retournez chez vous, sinon on sort tout le monde, et on sort le boyau d'arrosage et le poivre de cayenne »... Ça peut aller jusque là.



Me Julie Couture. Photo : Site Web de Couture Avocats
Me Julie Couture. Photo : Site Web de Couture Avocats
Une consoeur plus mitigée

De son côté, la criminaliste Julie Couture ne croit pas que le décret soit inconstitutionnel, en s’en remettant à l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés. Les droit garantis par la charte peuvent être restreints par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, rappelle-t-elle. Et selon elle, le contexte inédit d’une pandémie que le gouvernement tente de contrôler est justifié.

« Je pense que dans le contexte actuel, la loi passe le test des tribunaux », affirme-t-elle.

« Le télémandat, lui, pourrait toujours être contesté, si on peut démontrer que les motifs émis n’étaient pas raisonnable, ajoute-t-elle. Ça sera du cas par cas. »
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3 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 3 ans
    Au non de la santé publique, presque tout va passer
    "Le juge qui va tuer du monde !!!"

    C'est à peut de choses près ce qui apparaitrait en première page du Joural de Montréal, avec la photo du juge qui aurait osé invalider un télémandat et créer un précédent.

  2. les muselé(e)s
    les muselé(e)s
    il y a 3 ans
    télémandat covid, inconstitutionnel à 100%
    Au dernières nouvelles, le droit criminel est une compétence fédérale et donc le télé-mandat ci-haut décrit, tel qu'inventé par le gouvernement québécois ces derniers jours en réponse à la "crise" sanitaire est une forme de blague. Aucune autre province canadienne n'a eu ce genre d'imagination fertile.

    ça fait tellement penser à la loi sur le cadenas...

    Le système de santé publique québécois est le plus déficient au Canada. Maintenant, il a l'excuse parfaite de ne plus jamais fonctionner du tout. Ce n'est pas des arrestations à la maison qui vont "sauver des vies". Certaines maladies qui tuent plus que covid sont entièrement négligées grace à covid.

    Pour ce qui est des manifestations anti-masque, si une municipalité a donné l'autorisation de tenir une telle manifestation et qu'on en profite pour distribuer des tickets, son objectif est donc de se faire l'argent facile. Par conséquent, il faut contester tous les tickets, même s'ils sont dans la bonne compétence.

  3. Rodolphe Bourgeois
    Rodolphe Bourgeois
    il y a 3 ans
    Avocat en droit criminel
    Bonjour,

    Je vous invite fortement à rectifier les erreurs de droit dans cet article, lesquelles font penser que la source du pouvoir serait dans les mesures sanitaires prises pour protéger le public. Cela fait aussi penser à tort que la fin des mesures sanitaires ferait disparaitre ce pouvoir.

    Il n'y a pas un mot sur cela dans le décret: https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/situation-coronavirus-quebec/?fbclid=IwAR11EJG4TMRmBInJ1FuN3bVJbSwMc8K_oYOQVzMpq3Lg9wbTnnWYYs3_k0g#c47907.

    Le pouvoir est un pouvoir PERMANENT prévu maintenant dans le Code de procédure pénale. Voici la loi modificatrice (la loi consolidée n'est toujours pas mise à jour sur Publications du Québec ni sur Canlii): http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2020C12F.PDF

    Le pouvoir en question découle du projet de loi 32, présenté en juin 2019 (6 mois avant que l'épidémie se déclare à Wuhan) et sanctionné en juin 2020. Il apparait que les gens qui s'insurgent maintenant n'ont peut-être pas vu passer ce projet de loi à temps et croient maintenant que c'est une mesure prise pour la COVID-19.

    Il s'agit d'une énorme réforme et augmentation des pouvoirs de fouille et de perquisition pour les lois provinciales du Québec. Le nouvel article 141.1 en fait partie.

    Parmis (mais pas les seuls) les nouveaux pouvoirs: obtention d'un télémandat d'entrée, ou entrée sans mandat si urgence, pour exécuter tout mandat d'arrêt même un mandat pour amendes impayées, adoption de la doctrine de la prise en chasse permettant d'enfoncer sans mandat une porte de maison si une personne fuyant la police réussi à entrer chez elle (pouvoir classique en droit criminel mais quelque peu corsé pour un mandat d'arrêt provincial) et mandat pour obliger à fournir des renseignements.

    En sommes, le projet de loi 32 amende le Code de procédure pénale pour appliquer à des lois telles la LIMBA (alcool) les mêmes pouvoirs qui existaient pour les actes criminels.

    Pourraient être visée, par exemple, une dénonciation d'un voisin pour une entreprise à domicile sans le permis municipal requis. Ou encore, couper des cheveux à domicile sans l'avoir déclaré à l'aide sociale. On encore, le fait de distiller son propre alcool. Cela est général, n'importe laquelles des innombrables infractions prévues dans les abondantes lois provinciales du Québec qui comportent une clause pénale.

    Il ne faut ni blâmer les efforts sanitaires, ni croire que la fin de ces mesures feront disparaitres ces pouvoirs. Ils ont vocation à permanence tant qu'ils n'auront pas été invalidés.

    La bonne nouvelle, par contre, est qu'un tribunal invalidant ces pouvoir pourrait le faire indépendemment de la COVID-19. Il pourrait le faire sur la base de la portée excessive et non en ciblant les mesures sanitaires. Il pourrait maintenir la loi pour des contextes graves comme la COVID-19 mais l'invalider pour, par exemple, des amendes impayées ou de l'alcool illégal gardé pour consommation personnelle.

    Respectueusement soumis.

    Rodolphe Bourgeois, avocat

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