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Nouvelle année, nouvelles règles en matière de résolution des différends

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Dina Prokic Et Stephen L. Drymer

2021-02-09 11:15:00

Deux avocats abordent les principaux changements au règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale...

Mes Dina Prokic et Stephen L. Drymer, les auteurs de cet article. Photos : Site web de Woods
Mes Dina Prokic et Stephen L. Drymer, les auteurs de cet article. Photos : Site web de Woods
Tel que nous l’avons précédemment écrit, l'arbitrage est une alternative efficace, rapide et sûre au recours aux tribunaux pour la résolution des différends commerciaux. S’adaptant continuellement aux nouvelles réalités et aux exigences du milieu des affaires, il n’a jamais été aussi aisé de recourir à l’arbitrage.

Le règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (la « CCI »), récemment révisé et entré en vigueur le 1er janvier 2021, est un exemple de cette adaptabilité, en ce qui concerne l’arbitrage international. Le Règlement 2021 introduit un certain nombre de changements:
  • Simplification des procédures d’arbitrage en permettant expressément les audiences à distance (audiences virtuelles);

  • Facilitation de l’intervention de parties additionnelles et la jonction des parties et des différends connexes;

  • Reconnaissance des accords de financement de l’arbitrage par un tiers;

  • Élargissement de l’application des Règles relatives à la procédure accélérée en portant la valeur plancher du litige à 3 millions USD;

  • Introduction de nouvelles dispositions conçues spécifiquement pour les différends relatifs aux traités d’investissement.


  • La CCI a également mis à jour son indispensable Note aux parties et aux tribunaux arbitraux sur la conduite de l’arbitrage (la « Note »).

    Les paragraphes suivants présentent les principaux changements introduits par le Règlement 2021 visant à faciliter davantage la conduite des arbitrages et à minimiser les perturbations affectant les activités commerciales.

    S’adapter à la « nouvelle normalité »

    Bien que la technologie occupe déjà une place prépondérante en arbitrage international, les restrictions de voyage, les mesures de distanciation sociale et d’autres considérations de santé publique pendant l’ère COVID-19 ont fait en sorte que les audiences « virtuelles » ou « à distance » sur le fond sont devenues une nouvelle norme - pas nécessairement (pour le moment), une approche par défaut obligatoire dans tous les cas, mais certainement une alternative viable et largement utilisée pour les audiences et lors de réunions. De nombreuses institutions arbitrales ont modifié leurs règlements pour refléter cette réalité.

    Alors que la CCI encourage depuis longtemps les parties à mener des audiences purement procédurales par téléphone et par vidéoconférence, le Règlement 2021 précise que même les audiences sur le fond peuvent être menées à distance, y compris dans des circonstances appropriées sans l’accord des parties ou malgré l’objection de celles-ci (art. 26(1)).

    Les tribunaux de la CCI prennent en compte toutes les circonstances pertinentes pour décider de la tenue d’une audience à distance. La Note fournit également des conseils sur les moyens et les procédures spécifiques aux audiences à distance.

    Les arbitrages complexes

    En matière d’arbitrage, l’une des sources de frustration occasionnelles est la perception d’une incapacité à appréhender les complexités inhérentes à des accords commerciaux impliquant une multiplicité de contrats et de parties liées. Le Règlement 2021 apporte une clarté bienvenue sur cette question en permettant expressément, dans des circonstances spécifiques, l’intervention de parties additionnelles après que le tribunal ait examiné les circonstances pertinentes, notamment « si le tribunal arbitral a une compétence prima facie sur la partie supplémentaire, le moment de la demande d’intervention, les conflits d’intérêts possibles et l’impact de l’intervention sur la procédure arbitrale » (art. 7(5)).

    Les exigences relatives à la jonction d’arbitrages séparés mais liés, énoncées à l'article 10 du Règlement 2021, sont également clarifiées de manière utile(7).

    Garantie de l’intégrité du processus
  • Le financement par un tiers

  • Le financement des demandeurs et des défendeurs par un tiers dans les arbitrages est un phénomène en constante augmentation. Malgré une lenteur dans l’établissement de règles sur cette question, le consensus dominant est que les parties doivent divulguer l’existence d’un financement par un tiers et l’identité des financeurs afin d’éviter d’éventuels conflits d’intérêts. Cette divulgation est désormais prévue par le Règlement 2021 (art. 11(7)).
  • Constitution du tribunal arbitral

  • L’un des principes fondamentaux de l’arbitrage est le droit pour les parties de nommer un arbitre. Toutefois, l’exercice de ce droit peut parfois être difficile à réaliser, notamment dans les arbitrages impliquant plusieurs demandeurs ou défendeurs. En réponse à de telles situations et afin d’éviter le risque d’une inégalité de traitement ou d’une injustice significative qui pourrait potentiellement compromettre la validité et l’exécution de la sentence, l'article 12(9), nouvellement introduit, permet à la Cour de la CCI, dans des circonstances exceptionnelles, de nommer chaque membre du tribunal arbitral.
  • La nationalité des arbitres

  • Concernant l’impartialité et l’indépendance des arbitres, la révision de l’article 13(5) répond à ces préoccupations en imposant des restrictions de nationalité aux nominations d’arbitres par la Cour de la CCI. Bien que dans des circonstances appropriées et en l’absence d’objections des parties, cette interdiction puisse être levée(8) , la règle générale est que « lorsque la Cour doit nommer l’arbitre unique ou le président du tribunal arbitral, cet arbitre unique ou ce président du tribunal arbitral doit être d’une nationalité autre que celle des parties ».
  • Les changements dans la représentation des parties

  • Les parties sont bien entendu libres de choisir leur propre représentant. Ce droit est quelque peu nuancé par le Règlement 2021, toujours dans le but de protéger l’intégrité du processus. L’article 17 révisé prévoit, qu’après consultation des parties, un tribunal est habilité à « prendre toute mesure nécessaire pour éviter un conflit d’intérêts d’un arbitre suite au changement dans la représentation des parties, y compris l’exclusion de nouveaux représentants des parties de la participation totale ou partielle à la procédure arbitrale » (art. 17(2)). Pour décider s’il convient d’exercer ce pouvoir extraordinaire, le tribunal prendra en considération « a) la capacité de la partie qui a introduit le nouveau représentant à présenter correctement sa cause en l’absence de ce représentant, b) le moment de l’ajout de ce nouveau représentant des parties, et c) l’interruption de l’arbitrage qui peut résulter de sa participation continue en cas de récusation réussie d’un ou plusieurs arbitres ».

    Pour être clair, le Règlement 2021 n’exige pas qu’un changement de représentation d’une partie soit autorisé par le tribunal. Il autorise simplement le tribunal à agir si nécessaire pour éviter toute perturbation ou autre compromis du processus. En revanche, selon le règlement d’arbitrage de la Cour d’arbitrage international de Londres (« LCIA Rules »), un changement de représentation des parties ne prendra effet qu’une fois approuvé par le tribunal.

    La procédure accélérée

    L’accueil enthousiaste des dispositions relatives à la procédure accélérée de la CCI (« EPP ») introduites en 2017, a entraîné l’augmentation du seuil des montants des litiges automatiquement soumis à la EPP (sous réserve des dispositions d’« opt out » et d’ « opt in »), de 2 à 3 millions USD pour les conventions d’arbitrage conclues à partir du 1er janvier 2021.

    Les arbitrages de différends liés à des traités d’investissement

    Les articles 13(6) et 29(6)(c) du Règlement 2021 reflètent l’augmentation du nombre d’États et de parties publiques optant pour l’arbitrage de la CCI au cours des dernières années.
  • Sauf accord contraire entre les parties, l’art. 13(6) interdit à tout arbitre d’avoir la même nationalité que l’une des parties à l’arbitrage. Bien que les restrictions relatives à la nationalité de l’arbitre soient assez courantes dans les règles d’arbitrage en matière d’investissement, certaines ne concernent qu’un arbitre unique ou un arbitre-président (par exemple, les 2017 SIAC IA Rules(12) ou les 2017 CIETAC IIA Rules(13)). L’approche plus stricte de la CCI ressemble à cet égard à celle du Règlement d’arbitrage du CIRDI.

  • L’article 29(6)(c) exclut l’application des dispositions relatives à l’arbitre d’urgence si « la convention d'arbitrage sur laquelle la demande est fondée découle d’un traité ». Cette disposition codifie la pratique de la Cour et se justifie « par le fait que les délais très courts qui sont imposés aux parties dans le cadre d’un arbitrage d’urgence ne seraient pas compatibles avec le temps nécessaire aux administrations étatiques concernées pour choisir un conseil, le cas échéant, et organiser sa défense ».


Pistes de réflexion pour de futures modifications

Bien que le Règlement 2021 mette à jour et clarifie diverses questions, d’autres précisions auraient pu être bienvenues.

Par exemple, comme beaucoup d’autres règlements institutionnels, le nouvel Art. 13, paragraphe 6, du Règlement 2021 et l’article 13 en général, omettent de définir la « nationalité » ou de fournir des orientations à cet égard.

Bien qu’il soit devenu courant d’assimiler la nationalité à la citoyenneté, ce n’est pas une évidence et des explications similaires à celles contenues dans les articles 6.2 et 6.3 des 2020 LCIA Rules auraient été appréciées.

En outre, le Règlement de la CCI étant publié en plusieurs langues, une déclaration indiquant la version qui fait foi (similaire aux dispositions des règlements d’arbitrage du SIAC, du HKIAC et du CIRDI) pourrait être utile. Les divergences entre les différentes versions linguistiques sont inévitables et peuvent parfois donner lieu à des débats importants.

Un exemple frappant de cette divergence est l’article 25(2) de la version de 2017 du Règlement, dont la version anglaise exige que le « tribunal hear the parties together in person ». En revanche, les versions française et espagnole exigeaient que le tribunal autorise un échange contradictoire (c’est-à-dire entendre les parties conformément au principe de la contradiction / principio de contradicción), sans préciser qu’il devait être « in person ». La traduction italienne reflète une approche mixte, exigeant à la fois une audience « en personne » et le respect du principe de la contradiction.

La CCI a tenté de clarifier la possibilité d’audiences à distance dans sa Note d'orientation sur les mesures possibles visant à atténuer les effets de la pandémie du COVID-19 de 2020 en se référant, entre autres, au texte français. Toutefois, le fait d’avoir une disposition qui énonce la version du Règlement qui fait foi aurait probablement minimisé l’incertitude. Même si l’article 26(1) révisé autorise désormais expressément les audiences à distance, il est possible que d’autres divergences qui n’ont pas encore été mises en lumière ou exploitées par des avocats diligents subsistent.

En cas de telles incohérences futures, la mention « la version anglaise des règlements constitue le texte original » à la page contenant les détails de la publication est l’unique mention à disposition des parties. Outre le fait qu’être un « texte original » n’en fait pas la version dominante, cette phrase n’a pas, jusqu’à présent, été uniforme dans les différentes traductions : le texte russe du Règlement de 2017 indique que « les versions anglaise et française sont les seules officielles ».

Conclusion

Le Règlement 2021 n’est pas conçu comme une refonte complète du Règlement 2017. Selon les termes du président de la Cour de la CCI, il « marque plutôt une nouvelle étape vers un arbitrage de la CCI encore plus efficace, flexible et transparent ». Le Règlement de 2021 est sans aucun doute une étape utile dans cette progression.

De plus, bien que les modifications apportées au Règlement de 2021 soient motivées par les souhaits de ses utilisateurs et la nécessité d’assurer la viabilité et l’amélioration continue de l’arbitrage de la CCI dans un monde en proie à une pandémie, il est à noter que, peut-être sans le vouloir, elles ont également insufflé un vent nouveau à la Campaign for Greener Arbitrations.

Les sources d'information citées ou indiquées dans l'article sont disponibles ici.

Sur les auteurs

Dina Prokic et Stephen L. Drymer sont tous deux avocats chez Woods. Me Drymer y est responsable de l’équipe arbitrage international.

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