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Conseiller les entreprises en démarrage dans le domaine de l’IA

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Denis Keseris

2021-03-03 11:15:00

Les clients voient souvent leur conseiller commercial comme l’équivalent juridique d’un « couteau suisse », nous dit cet associé chez Bereskin & Parr.

Denis Keseris, l'auteur de cet article. Photo : Site web de Bereskin Parr
Denis Keseris, l'auteur de cet article. Photo : Site web de Bereskin Parr
Il peut être délicat de conseiller les clients qui n’en sont qu’aux premières étapes de la création d’une entreprise. Souvent, ces clients voient leur conseiller commercial comme l’équivalent juridique d’un « couteau suisse ».

Les discussions sur la structure d’entreprise et les conventions peuvent rapidement donner lieu à des questions sur les ressources humaines, les finances, la fiscalité, la propriété intellectuelle, la réglementation, la concurrence, la publicité, le travail, l’immobilier, etc.

Parfois, les demandes et les préoccupations des clients sont exacerbées par la complexité des secteurs dans lesquels ils exercent leurs activités. Cela risque fort d’être le cas dans le contexte du droit de l’intelligence artificielle (IA) et de la technologie, mais en s’assurant de bien comprendre les principes fondamentaux et en gardant certains aspects clés à l’esprit, les conseillers en droit commercial seront à même de bien conseiller leurs clients.

Qu’est-ce que l’IA et pourquoi en parle-t-on autant de nos jours?

Lorsque les gens parlent de l’IA, ils font généralement référence au domaine général consacré à la création de machines (par exemple des ordinateurs) ayant la capacité de reproduire un processus décisionnel intelligent dans un domaine donné. Dans la plupart des cas, ils font également référence à ce qu’on appelle l’apprentissage machine, qui constitue un sous-ensemble de l’IA associé au domaine de la création d’ordinateurs capables d’« apprendre ».

Ces ordinateurs s’améliorent dans leur exécution d’une tâche (par exemple jouer aux échecs) à la vue de plusieurs exemples de cette tâche (par exemple plusieurs parties d’échecs); ils créent ensuite des ensembles de règles décisionnelles destinées à leur permettre de réagir à des situations données dans l’avenir (par exemple si mon opposant commence par le déplacement X, je vais répliquer par le déplacement Y).

Le développement de l’IA reposait sur l’accès à d’immenses quantités de données (par exemple descriptions de chacun des coups joués par des grands maîtres dans plus de 700 000 parties d’échecs) et à des ordinateurs extrêmement puissants (par exemple ordinateurs capables d’évaluer 200 millions de positions par seconde dans un jeu d’échecs). Jusqu’à récemment, ces deux contraintes ont fait de l’IA une entreprise qui convenait davantage aux entreprises figurant au palmarès Fortune 500.

Notre capacité à générer des quantités toujours plus importantes de données et l’avènement de l’informatique (l’infonuagique) et du stockage (stockage en nuage) sur demande ont démocratisé le développement et l’utilisation de l’IA et ont contribué à son essor marqué dans le monde des affaires.

Que peut faire l’IA?

L’une des raisons pour lesquelles l’IA est si mal comprise est que ses capacités sont à la fois sous-estimées et surestimées. La capacité de l’IA à résoudre des problèmes spécifiques est souvent sous-estimée, car les gens ont du mal à visualiser la quantité de données qui peut être analysée par l’IA, et la vitesse à laquelle celle-ci peut le faire.

Il est également difficile pour nous de concevoir la vitesse effrénée à laquelle cette technologie évolue. Un des premiers exemples qui nous vient à l’esprit est le système Deep Blue d’IBM (l’exemple évoqué ci-dessus), un système « joueur d’échecs » fondé sur l’IA qui a battu Garry Kasparov en 1997 en étudiant plus de 700 000 parties d’échecs et en évaluant 200 000 coups par seconde. IBM Research a mis plus de 7 ans pour développer le système Deep Blue.

Trente ans plus tard, AplhaZero de Google, une IA capable de jouer à des jeux, a appris les échecs en 24 heures (en jouant toute seule, rien de moins!), et a réussi à battre tous les meilleurs systèmes « joueurs d’échecs » fondés sur l’IA dans le monde, lesquels avaient défait les meilleurs joueurs humains bien des années auparavant.

Bien que tout cela soit fort impressionnant, AlphaZero n’est pas assez « intelligente » pour préparer une tasse de thé, ni pour comprendre en quoi consiste les échecs ou pourquoi quelqu’un voudrait jouer une partie. La profondeur de l’IA étant souvent sous-estimée (c’est-à-dire la performance d’une machine dans l’accomplissement d’une tâche comparativement à un être humain), l’ampleur de l’IA est, à l’inverse, souvent surestimée (c’est-à-dire le nombre de tâches différentes qu’une machine peut accomplir comparativement à un être humain).

Qu’est-ce que l’IA ne peut pas faire?

Les IA sont catégorisées de plusieurs façons, notamment en fonction des concepts généraux d’« IA forte » et d’« IA faible ». Bien que l’« IA faible » ne soit pas particulièrement utile en tant que catégorie, puisqu’on peut y classer toutes les AI du monde, elle est utile sur le plan conceptuel. Autrement dit, l’IA telle que nous la connaissons est limitée à des tâches précises de résolution de problèmes ou de raisonnement (IA faible).

Une IA qui a des capacités cognitives humaines (IA forte), ou qui est capable d’apprendre tout ce qu’un humain peut apprendre, relève encore largement de la science-fiction. De nombreuses recherches actuelles donnent à penser que nous sommes encore à des décennies d’une IA forte, et d’autres laissent entendre que nous n’y arriverons peut-être jamais.

Serait-ce seulement du battage médiatique?

Oui, et non. Il est difficile de contester le fait que les préfixes « intuitif » et « intelligent » sont de plus en plus utilisés en marketing, un peu comme c’était le cas pour les préfixes « e- » et « cyber » il y a 20 ans, et pour le mot « Web » auparavant. Il est toutefois indéniable qu’il existe des applications précises pour lesquelles l’utilisation de l’IA fait progresser les intérêts de l’humanité d’une manière qui n’aurait jamais pu être envisagée sans elle.

Que dois-je savoir en tant que conseiller juridique?

L’IA a besoin de données, beaucoup de données.

Les clients doivent comprendre les questions relatives à la vie privée et à la confidentialité qui s’appliquent aux données qu’ils détiennent et/ou utilisent.

Le droit relatif à la protection de la vie privée au Canada est régi par un cadre réglementaire et par la common law. La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) établit les règles de base qui régissent la manière dont les organisations du secteur privé doivent recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels dans le cadre de leurs activités commerciales au Canada.

L’IA est collaborative.

Un autre point clé à prendre en considération est le fait que les projets d’IA sont souvent multidisciplinaires et de nature collaborative. Le travail de développement nécessaire à la création d’outils d’IA utiles sur le plan commercial est complexe et requiert un large éventail de connaissances techniques et commerciales de même que d’immenses ensembles de données diversifiées. Par conséquent, le développement de l’IA fait davantage appel à la collaboration que bien des technologies antérieures.

L’une des façons de composer avec la nature collaborative de l’industrie de l’IA consiste à avoir recours à des ententes de confidentialité et à la protection par le secret commercial. Bien qu’une entente de confidentialité constitue une mesure utile pour protéger les secrets commerciaux et d’autres renseignements confidentiels, elle ne garantit aucunement la protection de la technologie de votre client.

Une autre façon de protéger la technologie de votre client consiste à déposer une demande de brevet avant que votre client ne divulgue sa technologie dans le cadre d’une collaboration.

Le système de brevets profite aux inventeurs qui déposent hâtivement une demande comportant une description exhaustive de leur invention selon différents modes de réalisation. Il n’est pas toujours nécessaire de disposer d’une version fonctionnelle d’une technologie pour déposer une demande de brevet, bien que le fait de déposer une demande de brevet contenant une description incomplète de la technologie de votre client puisse en fait nuire à ses intérêts.

Il importe donc, lorsque vous conseillez de entreprises en démarrage du secteur de l’IA, d’aborder rapidement les questions relatives à la confidentialité et à la protection des renseignements personnels, ainsi que le moment optimal pour déposer une demande de brevet, car une gestion adéquate de ces enjeux peut se révéler extrêmement profitable.

À propos de l’auteur

Denis Keseris est associé chez Bereskin & Parr et membre du groupe de pratique Technologie électrique et informatique à Montréal.
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