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Jusqu’où va la responsabilité civile des policiers lors d’une arrestation de manifestants?

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Annie-claude Trudeau

2021-05-17 11:15:00

Cette question vous démange? Une associée d’un gros cabinet y répond…

Me Annie-Claude Trudeau, une des co-auteures de cet article. Photo : Site web de BCF
Me Annie-Claude Trudeau, une des co-auteures de cet article. Photo : Site web de BCF
La responsabilité policière est actuellement très présente dans le milieu médiatique, et la sphère judiciaire n'y fait pas exception. En juin 2020, dans l'affaire Moreault c. Ville de Québec, la Cour supérieure a rejeté au fond une action collective qui visait à obtenir des dommages moraux et punitifs en raison d'une violation alléguée des droits et libertés de plusieurs participants à une manifestation déclarée illégale en application d'un article d'un règlement municipal, lequel a été déclaré inconstitutionnel en cours d'instance dans un dossier parallèle à celui à l'étude.

L’action collective : un fardeau de preuve trop lourd à remplir?

L'action collective a été rejetée puisque le juge Godbout n'a retenu aucune faute de la part du Service de police de la Ville de Québec (« SPVQ »), mais surtout puisqu'il a retenu que les membres du groupe avaient fait défaut de transmettre un itinéraire conformément à la loi en vigueur, ce qui aurait justifié la déclaration d'illégalité de la manifestation et les arrestations subséquentes.

Or, l'article 19.2 du Règlement sur la paix et le bon ordre, soit celui qui a mené à cette conclusion et déclaré invalide depuis, est libellé comme suit : « Il est interdit à une personne de tenir ou de participer à une manifestation illégale sur le domaine public. Une manifestation est illégale dès que l'une des situations suivantes prévaut : (...) l'heure, le lieu ou l'itinéraire de la manifestation dont a été informé le Service de police n'est pas respecté. »

Ce faisant, le juge Godbout a-t-il imposé un fardeau trop lourd à la demanderesse pour établir la faute du SPVQ? Il va de soi que, comme toute procédure civile en responsabilité, l'action collective ne pourrait servir à revendiquer un droit fondamental dans un contexte où la loi ne serait pas respectée par le réclamant.

À noter que dans le cadre de la preuve, une série d'incidents sont identifiés et reprochés aux policiers, lesquels concernent une seule personne à la fois. La Cour s'est interrogée sur l'appréciation à donner à ces incidents dans le contexte de l'action collective, qui doit traiter de faits identiques, similaires ou connexes. Le juge Godbout a rejeté la possibilité de retenir une quelconque responsabilité de la Ville de Québec pour cette série d'incidents, qui ne visait pas l'ensemble des membres.

La responsabilité policière : une norme de conduite visant à sauvegarder les droits et libertés

Il est bien connu que les policiers n'ont pas d'immunité particulière dans l'exercice de leur charge. Dans l'arrêt Kosoian c. Société de transport de Montréal, la Cour suprême du Canada a décidé de reporter à une autre occasion l'analyse de la norme applicable aux atteintes illicites aux droits garantis par les chartes sous l'angle du comportement policier. C'est pourtant ce que la décision commentée a tenté de faire.

La norme de conduite exigée d'un policier sous l'angle de la détermination d'une atteinte à un droit protégé par l'une ou l'autre des chartes est loin d'être simple. La Cour distingue d'ailleurs les deux régimes applicables selon l'atteinte à un droit protégé par la Charte québécoise ou par la Charte canadienne.

Elle tente ensuite de les concilier par l'application de l'article 48 de la Loi sur la police, en retenant que le policier doit adopter un comportement visant à sauvegarder les droits et libertés. L'analyse devrait donc, selon la Cour, s'attarder à toute dérogation à cette « norme ». La Cour d'appel du Québec aura certainement l'occasion d'approfondir cette question et peut-être d'y apporter un éclairage plus convaincant.

Que ce soit du point de vue de l'action collective en tant que telle ou de la responsabilité policière, la décision commentée soulève des questions intéressantes qui seront certainement soumises à l'étude par la Cour d'appel du Québec, qui a d’ailleurs rejeté, le 2 novembre 2020, une requête en rejet d'appel.

Sur les auteures

Me Annie-Claude Trudeau est associée chez BCF. Cet article fait suite à une chronique publiée par Thomson Reuters, où Mes Annie-Claude Trudeau et Ariane Bergeron St-Onge sont intervenus. Me Ariane Bergeron St-Onge est co-auteure de cet article.

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