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Quel est l’impact de la faillite d’un locataire commercial sur le loyer ?

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Daniel Lafortune

2021-10-04 11:15:00

La faillite d’un locataire commercial met-elle fin à son bail immobilier ? Un avocat se prononce…

Me Daniel Lafortune, l’auteur de cet article. Source : Site web de Lafortune Cadieux inc.
Me Daniel Lafortune, l’auteur de cet article. Source : Site web de Lafortune Cadieux inc.
La faillite d’un locataire commercial ne met pas automatiquement fin à son bail immobilier.

Le droit du bailleur de résilier le bail pour cause de faillite du locataire existe si une clause du bail lui accorde cette faculté.

Perte des droits hypothécaires

Même s’il détient une hypothèque sur les biens de son locataire garantissant le paiement du loyer, en cas de faillite de celui-ci, la jurisprudence confirme qu’un bailleur ne peut conserver ses droits de créancier hypothécaire (''Restaurant Ocean Drive inc. c. Sam Levy & Associés inc.'', 1997 CANLII 10235 (CAQ)).

En matière de faillite, le bailleur n’est jamais considéré un créancier garanti des sommes payables à titre de loyer.

Donc, dans certains cas, un tiers peut avoir intérêt à provoquer la faillite d’un locataire afin que son bailleur perde tout droit de créancier hypothécaire détenu aux termes des règles habituelles du ''Code civil du Québec''.

Le bailleur : un créancier privilégié

La LFI permet au bailleur d’être considéré en priorité par rapport aux créanciers ordinaires (une faible consolation en pratique, car souvent les sommes distribuées à ce titre sont minimes), mais ses droits sont inférieurs à ceux des créanciers hypothécaires du locataire.

Aux termes de la LFI, pour un montant maximum de 3 mois de loyer impayé avant la faillite (pas pour d’autres types de sommes dues par le locataire au bailleur, par ex. les dommages à réparer aux lieux loués à la fin du bail sont exclus de la créance privilégiée), le bailleur occupe le neuvième rang dans l’ordre de priorité de paiement lorsque le syndic distribue les sommes aux créanciers non garantis de la faillite (art. 136 (1) f) LFI). Le bailleur a aussi droit à 3 mois de loyer par anticipation couverts par cette créance prioritaire, si une disposition du bail le prévoit, i.e. si le bail contient une clause d’accélération du loyer.

Le loyer pouvant être réclamé par anticipation ne peut dépasser 3 mois, même si une clause d’accélération du paiement du loyer prévu au bail prévoit le contraire.

Bref, le bailleur peut avoir jusqu’à 6 mois de loyer couverts par sa créance prioritaire.

S’il est dû plus de 6 mois de loyer au bailleur, le bailleur, pour le solde de sa créance, prend rang avec les autres créanciers ordinaires de la faillite.

Le montant que peut obtenir le bailleur par le biais de sa créance prioritaire est sujet à la limite suivante : il ne peut dépasser la somme obtenue par le syndic provenant de la réalisation des biens situés dans les lieux loués. En d’autres termes, s’il n’y avait plus de biens dans les lieux loués au moment de la faillite, le bailleur perd, en principe, tout droit à sa réclamation prioritaire et il est un simple créancier ordinaire dans la faillite. C’est la raison pour laquelle plusieurs baux commerciaux contiennent des clauses prévoyant que le locataire doit garnir les lieux loués de biens représentant par exemple un an de loyer.

Cautionnement ou lettre de crédit bancaire irrévocable

Vu le caractère précaire de la créance du bailleur, lors de la conclusion du bail, ce dernier devrait tenter d’obtenir un cautionnement solidaire des obligations du locataire, d’un ou plusieurs tiers. Le problème avec le cautionnement est le risque que la caution conteste la réclamation qui pourrait lui être faite (risque de délai) ou soit elle-même dans l’impossibilité de payer le loyer (risque de solvabilité ou de crédit).

Une lettre de crédit bancaire irrévocable émise par une institution financière reconnue est le meilleur moyen de protéger le loyer impayé d’un bailleur. La lettre de crédit est un contrat autonome par rapport au bail. Sauf pour certains cas exceptionnels de fraude, l’institution financière doit payer la somme indiquée à la lettre de crédit sur présentation de celle-ci et de tout autre document indiqué à la lettre de crédit.

La faillite du locataire n’a pas d’effet sur des engagements souscrits par des tiers pour garantir le paiement du loyer.

Début de l’exercice des droits du bailleur avant la faillite

Notons aussi que le fait que le bailleur débute des procédures judiciaires, pratique une saisie sur les biens du locataire ou débute l’exercice de droits de créancier hypothécaire, avant la faillite, ne bonifie pas son statut de créancier contre son locataire ou ses biens.

Le dépôt de garantie ou le loyer payé d’avance

En droit québécois, la possession d’une somme d’argent fait présumer que son possesseur en est le propriétaire.

Le loyer payé d’avance n’est pas remboursable au locataire à la fin du bail, est considéré comme une somme faisant partie du patrimoine du bailleur et n’est pas considéré comme un bien du locataire détenu en garantie par le bailleur. Généralement, le bail prévoit que le loyer payé d’avance est applicable à l’encontre du dernier mois du loyer. Dans un bail à long terme, la clause de loyer payé d’avance peut aussi couvrir plusieurs mois du terme du bail, par ex. le 60e mois de loyer du bail de 10 ans et le dernier mois.

Le bailleur peut conserver le loyer payé d’avance par son locataire (''In Re Sobies Limited'', (1962) 4 C.B.R. (N.S.) 44 (C.S.Q.); ''Syndic d’Ébénisterie Renouveau inc.'' (143301 Canada inc.), 2009 QCCS 1454 (CanLII), en autant, bien sûr, que le paiement ne soit pas une préférence interdite au sens des règles générales de la LFI ou du ''Code civil du Québec'' (ex. paiement au locateur, ami du locataire, alors que ce dernier est insolvable et que ceci est connu des parties : art. 95 LFI).

Qu’en est-il du dépôt remis par le locataire au bailleur au moment de la signature du bail afin de garantir le respect de ses obligations? Nous parlons ici du dépôt qui sera remis par le bailleur au locataire à la fin du bail, si ce dernier n’est pas alors en défaut.

Suite à la faillite de son locataire, le bailleur ne peut conserver le dépôt reçu de son locataire. En effet, le dépôt d’une somme d’argent n’est pas considéré comme une sûreté opposable au syndic de faillite. En cas de faillite, le dépôt de sécurité ou de garantie du locataire est réputé être la propriété du locataire (même si le bailleur l’a déposé dans son compte auprès de son institution financière) et le syndic peut en exiger le remboursement de la part du bailleur.

La distinction entre le dépôt de garantie ou le loyer payé d’avance est donc fondamentale.

Le libellé des mots utilisés dans le bail et la véritable intention des parties lors de la conclusion de celui-ci sont fort importants pour distinguer le loyer payé d’avance d’un simple dépôt de garantie.

[1] Ce texte est limité à la faillite du locataire et ne traite pas de la situation du locataire insolvable faisant une proposition concordataire ou ayant déposé un avis d’intention de déposer une proposition concordataire aux termes de la ''Loi sur la faillite et l’insolvabilité'' (« LFI ») ou faisant l’objet de la ''Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies''.

Sur l’auteur

Me Daniel Lafortune pratique en droit commercial et corporatif, ainsi qu’en droit de la propriété intellectuelle chez Lafortune Cadieux inc. Il est le conseiller juridique de nombreuses entreprises, de leurs dirigeants et de leurs actionnaires.
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1 commentaire

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 2 ans
    Cet article ne m'inspire pas confiance
    Sur quelle base l'hypothèque conventionnelle détenues par un bailleur, afin de garantie les loyers qui lui sont dus, serait-elle inefficace, alors que l'hypothèque convenionnelle détenue par la banque (pour garantir entre autre le paiement d'une lettre de crédit) serait efficace ?

    Quel est le poids de ce jugement de 1997, alors que dans les banques de données juridiques on trouve tout et son contraire, quand on se donne la peine de chercher?

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