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Le travail en français dans la fonction publique fédérale: un ancien fonctionnaire de Montréal obtient gain de cause

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Dominik Danakas

2021-10-25 11:15:00

Une avocate analyse une récente décision de la Cour d’appel fédérale sur la langue du travail au Québec...

Me Dominik Danakas, l’auteure de cet article. Source : LinkedIn
Me Dominik Danakas, l’auteure de cet article. Source : LinkedIn
Comme vous le savez, la langue du travail au Québec est le français. Ainsi, un employeur qui exigerait la connaissance d’une autre langue que le français pour l’accès à un emploi ou à un poste pourrait « devoir démontrer que l’accomplissement de la tâche nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que le français » (art. 46 al. 5 de la ''Charte de la langue française'').

Par ailleurs, le projet de ''Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français'', qui fait présentement l’objet de consultations publiques, prévoit plusieurs modifications et la bonification des dispositions de la Charte de la langue française à l’égard du français comme langue du travail.

Cela dit, qu’en est-il du français au sein des institutions fédérales ayant des bureaux situés au Québec ou dans d’autres régions bilingues?

Le cadre législatif

En vertu de l’article 34 de la ''Loi sur les langues officielles'', « [l]e français et l’anglais sont les langues de travail des institutions fédérales. Leurs agents ont donc le droit d’utiliser (…) l’une ou l’autre ».

L’article 35 de la ''Loi sur les langues officielles'' prévoit qu’une institution fédérale qui exploite un milieu de travail dans une région désignée bilingue doit veiller à ce que ce milieu de travail « soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles ».

Enfin, l’article 36 (2) de la ''Loi sur les langues officielles'' précise qu’il incombe également à cette institution de prendre « toutes autres mesures possibles permettant de créer et de maintenir en leur sein un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles et qui permette à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autr e».

Cette dernière disposition est au cœur du recours dont était saisie la Cour d’appel fédérale dans l’affaire'' Commissaire aux langues officielles du Canada''.

Plus de 10 ans de procédures: un bref aperçu

L’appelant a travaillé pendant 22 ans pour le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF). Il occupait un poste bilingue au bureau du BSIF à Montréal, qui se situe dans une région désignée bilingue en vertu de l’article 35 de la ''Loi sur les langues officielles''.

En novembre 2010, l’appelant a déposé une plainte auprès du Commissaire des langues officielles puisqu’il estimait que son droit de travailler en français avait été enfreint par son employeur. Il soutenait avoir été contraint de travailler en anglais avec des employés unilingues anglophones du bureau du BSIF à Toronto afin de préparer des rapports destinés aux institutions financières desservies par le bureau de Montréal. Or, comme la majorité de ces institutions étaient francophones, l’appelant se voyait obligé de traduire les documents de travail, augmentant ainsi sa charge de travail et les risques d’inexactitude des rapports destinés à la clientèle francophone.

En janvier 2014, le Commissaire a confirmé que la plainte de l’appelant était fondée et a émis des recommandations afin que le BSIF puisse corriger ses manquements. En mars 2015, il a rendu un rapport final indiquant que ses recommandations avaient été mises en œuvre. Jugeant toutefois que le problème n’avait pas été réglé, l’appelant s’est tourné vers la Cour fédérale, qui a rejeté son recours en septembre 2019. Bien qu’il ait pris sa retraite au cours des procédures, l’appelant a tout de même porté sa cause en appel.

La décision de la Cour d’appel fédérale

Ayant conclu que la Cour fédérale avait commis une erreur en interprétant restrictivement l’article 36 (2) de la ''Loi sur les langues officielles'', la Cour d’appel fédérale a fait sa propre analyse de la disposition et du dossier de l’appelant.

La Cour souligne d’abord que « le paragraphe 36 (2) (de la ''Loi sur les langues officielles'') ne vient pas établir un droit absolu pour les employés dans les régions désignées bilingues de travailler en tout temps dans la langue de leur choix » (paragr. 105). En effet, « les employés bilingues doivent, dans une certaine mesure, interagir avec leurs collègues unilingues dans la langue officielle de ces derniers » (paragr. 104).

Elle précise toutefois que « le fardeau des obligations prévues au paragraphe 36 (2) demeure sur les épaules des institutions fédérales qui doivent maximiser les possibilités pour les employés bilingues de travailler dans la langue officielle de leur choix » (paragr. 104).

Selon la Cour, les faits mis en preuve par l’appelant démontrent que le BSIF a manqué à son obligation positive « de créer et de maintenir un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles, tel qu’exigé par le paragraphe 36 (2) » (paragr. 107). Elle ajoute :

(107) (…) Cette conclusion est notamment appuyée par le fait que (l’appelant) a été obligé de travailler de façon systématique en anglais même s’il devait rédiger ses rapports en français. Elle est appuyée aussi par le fait que seuls les employés bilingues comme (l’appelant) exerçaient la lourde tâche de traduction dans la préparation des rapports destinés au public en vertu de la partie IV de la LLO. Finalement, je note que (le BSIF) a mis beaucoup de temps avant de prendre des mesures pour tenter de remédier à ces problèmes.

(108) Par ailleurs, le fardeau de la traduction ne devrait jamais reposer entièrement sur l’employé bilingue (…). Un employé bilingue qui occupe le même poste qu’un employé unilingue ne devrait pas être obligé d’agir comme traducteur lors de la préparation de documents destinés au public. La capacité de parler les deux langues officielles ne fait pas en sorte que l’employé bilingue peut automatiquement remplir les fonctions d’un traducteur (…).

(109) (…) Il revient donc à l’institution d’offrir un service de traduction efficace pour outiller et appuyer cet employé bilingue dans l’exécution de ses tâches.»

La Cour a ainsi conclu que la plainte de l’appelant était bien fondée et que le BSIF avait bien manqué à ses obligations linguistiques envers lui.

Conclusion

Bien que la ''Loi sur les langues officielles'' soit en vigueur depuis 1985, il s’agissait de la première fois que la Cour d’appel fédérale était appelée à interpréter l’article 36, qui porte sur les obligations minimales des institutions fédérales en matière de langue du travail dans les régions désignées bilingues.

Seul le temps nous dira quelle répercussion aura eue cette décision sur le travail en français dans les institutions fédérales.

Références
  • ''Commissaire aux langues officielles du Canada c. Bureau du surintendant des institutions financières'' (C.A.F., 2021-08-04), 2021 CAF 159, SOQUIJ AZ-51786048, 2021EXP-2099, 2021EXPT-1307. À la date de la diffusion, la décision n’avait pas fait l’objet de pourvoi à la Cour suprême du Canada.

  • ''Dionne c. Canada (Bureau du surintendant des institutions financières)'', (C.F., 2019-09-03 (jugement rectifié le 2019-09-20 et le 2019-09-21)), 2019 CF 879, SOQUIJ AZ-51608838, [2019] 4 R.C.F. 541.


Sur l’auteure

Me Dominik Danakas est conseillère juridique à la Société québécoise d’information juridique depuis 2020. Membre du Barreau du Québec depuis 2018, elle se spécialise en relations du travail. L’article a été publié sur le Blogue de SOQUIJ et nous avons eu l’autorisation de le reproduire.
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