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Pourquoi un droit pour la nature ?

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Michel Bélanger

2022-02-08 11:15:00

Un avocat émérite évoque la possibilité d’instaurer un droit à la nature…

Me Michel Bélanger, l'auteur de cet article. Source: Wikipédia
Me Michel Bélanger, l'auteur de cet article. Source: Wikipédia
L’idée de consacrer des droits à la nature trouve de plus en plus d’adeptes. Au Québec, une première initiative en ce sens a été réalisée en février 2021 à l’égard de la rivière Magpie et de nombreuses voix s’élèvent pour faire de même avec le fleuve Saint-Laurent. Cette approche repose sur la prémisse que le droit de l’environnement, tel que nous le connaissons, place l’humain au centre des préoccupations alors qu’un droit à la nature représente davantage une vision intégrée et holistique de toute vie et de tous les écosystèmes.

Je ne peux que saluer cette démarche qui cherche à comprendre et à trouver des solutions à la crise environnementale actuelle, dont l’ampleur tend à confirmer que nos régimes juridiques ont échoué lamentablement. Je questionne néanmoins la solution proposée en ce qu’elle implique, selon moi, une refonte en profondeur de nos régimes de droit, dans un contexte où l’urgence environnementale commande plutôt des solutions à très court terme, d’autant que plusieurs des questions qui en découleront ont déjà trouvé réponses dans nos lois.

En effet, une fois consacrée la personnalité juridique d’une rivière, puis d’un fleuve, puis éventuellement d’un boisé, d’un milieu humide, d’un parc et, un jour prochain, de l’environnement en entier, il faudra préciser les éléments que l’on entend y protéger, entre ses eaux, son lit, ses tributaires, ses rives et ses milieux humides (pour ce qui en reste), ses espèces fauniques, floristiques, les ressources qui y sont exploitées… Or, plutôt que de redéfinir la portée de ces droits, nous aurions intérêt à nous en remettre à la loi actuelle qui couvre déjà, de par sa définition de l’environnement, « l’eau, l’atmosphère, le sol, le milieu ambiant avec lequel les espèces vivantes entretiennent des relations dynamiques ».

Par la suite, il faudra déterminer qui seront les personnes habilitées à être les gardiens de chaque élément de cette nature nouvellement protégée, leurs rôles respectifs, leurs responsabilités et, finalement, reformuler les droits, obligations et recours qui garantiront leur protection. Une fois de plus, n’est-il pas préférable d’éviter de prendre de 10 à 20 ans pour redéfinir ces paramètres, au risque d’aboutir sensiblement à la même place qu’actuellement ?

En droit, reconnaître une personnalité juridique à la nature impliquerait d’abord d’accorder à ses gardiens l’intérêt d’agir en justice pour assurer la protection de cette nature. Or, depuis 1978, le législateur a déjà démocratisé l’application de loi en « permettant à chaque citoyen d’avoir la possibilité d’être le défenseur de la richesse collective des Québécois », pour paraphraser le ministre de l’époque, Marcel Léger. Pour ce faire, la loi a reconnu à toutes personnes, sans distinction, un droit à la protection de l’environnement et a créé un recours spécial en injonction pour le mettre en œuvre. Ces mesures uniques à la Loi sur la qualité de l’environnement, étaient audacieuses pour l’époque et le demeurent. Elles évitent surtout de se requestionner pour savoir qui sera apte à défendre les nouveaux droits accordés à la nature ; exercice qui risquerait même, à terme, de réduire la portée déjà large de la loi actuelle.

Je ne dis pas que nos lois sont parfaites, bien au contraire. Tirons parti de ces acquis législatifs pour les améliorer au besoin et attaquons-nous au cœur des mécanismes décisionnels sur le plan tant politique, administratif que judiciaire.

Par exemple, sur le plan de l’action gouvernementale, rendons l’État imputable de ses décisions, que ce soit à l’égard de la perte de la biodiversité, de la disparition des milieux humides, de la protection des habitats essentiels d’espèces menacées, du non-respect des cibles de réduction des GES… Fermons les échappatoires permettant, parfois avec la complicité de l’État, de contourner le processus du BAPE ou d’éviter d’avoir à obtenir des autorisations environnementales, comme ce fut le cas récemment à l’égard de la rainette à Longueuil. Accordons aux citoyens le droit de contester les autorisations de polluer, lorsqu’elles s’avèrent erronément délivrées par le ministre, contrairement à la situation actuelle qui n’accorde ce privilège qu’aux seuls cas où une autorisation est refusée par le ministre à celui qui en requiert la délivrance…

Réformons la Politique d’allègement réglementaire relevant du Conseil exécutif et qui, depuis plus de 20 ans, limite l’adoption des normes environnementales qui freineraient le développement économique. Reprenons le même mécanisme, au demeurant fort efficace pour les entreprises, pour le transformer en Politique de renforcement des normes environnementales… Éviter d’assujettir le développement économique dit « durable » à la capacité de support des écosystèmes ne fait que maintenir le désabusement de la population face à l’hypocrisie des engagements environnementaux actuels.

Sur le plan judiciaire, renforçons les moyens d’action des citoyens en ajoutant, par exemple, un recours en réparation des dommages écologiques ou en remise en état des milieux dégradés. Facilitons l’exercice des recours en contrôle judiciaire des décisions de l’État, afin notamment de pallier son laxisme dans l’application de ses propres lois…

Enfin, l’accès à la justice passe aussi par l’attribution d’un financement adéquat pour assurer le respect des normes environnementales. Si l’État fédéral finance, depuis des décennies, l’accès aux tribunaux pour défendre les langues officielles au Canada, pourquoi ne pas s’inspirer de ce mécanisme pour financer les recours de ceux et celles qui veulent protéger les « sans voix » de notre planète ?

La nature a déjà des droits et ses protecteurs sont tous les citoyens. Partons de là et mobilisons les partisans d’un droit plus écocentrique, autour de propositions de réforme visant plutôt à corriger les lacunes de nos mécanismes juridiques actuels. L’ampleur des changements qui s’imposent pour renverser drastiquement et rapidement nos comportements dévastateurs commandera une bonne dose de courage politique ; un courage qui dépend essentiellement de notre volonté, individuelle et collective, de réellement prioriser l’environnement et d’en assumer le prix.

À propos de l’auteur

Me Michel Bélanger, avocat émérite, se spécialise en droit de l’environnement. Il a été associé de l’étude Lauzon Bélanger Lespérance de 1996 à 2015, firme spécialisée en recours collectif.
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