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Se souvenir de femmes phénoménales

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Tamara Thermitus

2022-02-09 11:15:00

Mérite du Barreau, une avocate qui a négocié le mandat de la commission de vérité et de réconciliation rend hommage à deux femmes qui ont combattu l’injustice raciale…

Tamara Thermitus, l’auteure de cet article. Source: LinkedIn
Tamara Thermitus, l’auteure de cet article. Source: LinkedIn
Cette année, la Monnaie des États-Unis a décidé que Maya Angelou serait la première femme noire à figurer sur une pièce de monnaie. En ce mois de l’histoire des Noirs et des Noires, il est important de rendre hommage à cette femme phénoménale⁠1 qu’est Maya Angelou, incarnation de la résilience des femmes noires, ainsi qu’à Viola Desmond, Canadienne qui s’est battue contre l’injustice raciale et pour faire entendre sa voix. Ces femmes nous rappellent que la lutte pour la justice sociale est aussi longue que sinueuse.

Comment parler de Maya Angelou, cette femme aux multiples facettes qui a transcendé de nombreuses tragédies en embrassant la vie à bras-le-corps ? Elle a été danseuse, actrice, chanteuse, écrivaine, éditrice et universitaire. Activiste dans le mouvement des droits civiques, elle a coopéré avec Martin Luther King au sein de la Southern Christian Leadership Conference.

Maya Angelou, cette force de la nature a su alchimiser les épreuves. Elle a été violée à l’âge de 7 ans par le conjoint de sa mère qui fut assassiné à sa sortie de prison. Pendant six ans, convaincue que c’est sa dénonciation qui a mené au meurtre de son beau-père, elle s’est emmurée dans un silence absolu.

Cet épisode ne l’a pas empêchée de devenir une écrivaine et une poétesse mondialement reconnue. Maya Angelou disait : « Nous pouvons rencontrer de nombreuses défaites, mais nous ne devons pas être vaincus. »

Dans son poème le plus célèbre, ''Still I Rise (Pourtant je m’élève)''⁠2, elle nous transmet sa force : « Vous pouvez m’abattre de vos paroles, /Me découper avec vos yeux, /Me tuer de toute votre haine, /Mais comme l’air, je m’élève encore. Ou Vous pouvez me rabaisser pour l’Histoire /Avec vos mensonges amers et tordus, /Vous pouvez me traîner dans la boue /Mais comme la poussière, je m’élève encore. »

Comme première effigie monétaire noire, elle s’élève encore !

La monnaie canadienne

En 2018, Viola Desmond devenait la première femme noire à figurer sur la monnaie canadienne.

Née en 1914, à Halifax, Viola Desmond rêvait d’ouvrir un institut de beauté alors que les écoles de beauté n’acceptaient pas les Noires. Au lieu d’abandonner son rêve, elle suivit des formations de coiffeuse et d’esthéticienne tant à Montréal qu’aux États-Unis. Innovatrice, elle fut l’une des premières à créer une gamme de cosmétiques pour les Noires.

En novembre 1946, devenue propriétaire de son institut et exploitant une école de beauté, Viola Desmond effectue un voyage d’affaires à New Glasgow. C’est alors qu’elle a des problèmes avec sa voiture. Alors qu’elle attendait que celle-ci soit réparée, elle décide d’aller au cinéma. Elle s’installe au parterre, dont l’accès est interdit aux Noirs, ce qu’elle ignorait. Le personnel lui demande d’aller s’asseoir au balcon.

Viola Desmond sera arrêtée et traînée hors du cinéma. Puisqu’elle n’avait pas payé la taxe d’un sou afférente au billet de parterre. Elle fut accusée de fraude fiscale, accusation qu’elle a contestée devant les tribunaux.

C’est donc pour un sou qu’une bataille judiciaire s’est engagée. Viola en sortira perdante, mais en contestant cette accusation, elle s’est opposée tant à l’injustice raciale qu’à la ségrégation au Canada.

En mobilisant la communauté noire de la Nouvelle-Écosse, elle a galvanisé le mouvement des droits civiques au Canada en faisant preuve d’un courage remarquable. Cette lutte, elle l’a payée un prix incommensurable : un divorce ainsi que la perte de son entreprise.

La ségrégation des espaces était activement pratiquée. Bien qu’elle fut non officielle, la ségrégation avait été adoptée par des magasins, des théâtres et des restaurants. À Montréal, des Noirs s’étaient vu refuser de tels accès, tant au cinéma qu’au débit d’alcool.

Les interdictions qui existaient au moment de la ségrégation ont muté de lieux, d’espaces. Or, on ne peut ignorer que des quartiers, des écoles, des lieux de travail, des espaces publics ainsi que certaines professions demeurent majoritairement blancs. Ces espaces blancs, white spaces, sont implicitement « interdits » aux Noirs et aux Noires ou encore ceux-ci n’y sont pas les bienvenus. Des espaces où ils sont seulement tolérés à condition de se conformer.

Racisme à la Monnaie des États-Unis

Le 21 janvier dernier, le ''New York Times'', dans l’article « Racial Turmoil Mars Signs of Progress at the U. S. Mint », nous rappellera ironiquement que les luttes ne sont pas terminées.

Le dévoilement de cette pièce hommage à Maya Angelou coïncide avec la nomination de la première femme noire à la tête de la Monnaie des États-Unis.

Rappelons que dès 2017 des questions sur une culture raciste furent publiquement soulevées. Une enquête du ''New York Times'' a révélé que, selon un rapport, le milieu de travail de la Monnaie des États-Unis était miné par les préjugés implicites, de la discrimination raciale ainsi que des microagressions envers les Noirs.
Le rapport souligne que « les employés noirs se sentent menacés, marginalisés et professionnellement défavorisés ». Il fait également état de politiques désuètes, de la présence de clans, de népotisme et de pratiques de promotion ambiguës.

Cacher les problèmes de racisme systémique

Une instrumentalisation des personnes noires par des nominations symboliques dans les processus de promotion afin de camoufler les problèmes de sexisme et de racisme systémique, forme de tokénisme, fait l’objet des constats du rapport.

Lors des entretiens, des cadres ont mentionné que « si nous mettons un membre d’une minorité en tant que directeur adjoint de la monnaie américaine, les minorités verront que nous ne sommes ni racistes ni sexistes ».

Ce n’est pas sans rappeler le cas où les femmes, les Noirs sont promus à des postes de direction pendant les périodes de crise (le phénomène de la ''glass cliff'', ou falaise de verre).

Pour que la vie des Noirs compte, il faut éviter ce type d’instrumentalisation. Le temps est venu de faire de réels changements sociaux afin que les personnes discriminées n’aient pas à porter le poids des défis inhérents à tout changement.

À propos de l’auteure

Détentrice de la Médaille du ''jubilé de la reine Elizabeth'' (2012), Me Tamara Thermitus Ad.E a reçu de nombreux prix dont le ''Mérite du Barreau du Québec'' (2011). Elle est la première avocate noire à se voir décerner cette reconnaissance.

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