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«L'homme de 873 M$», Facebook et une nouvelle loi sur les pourriels

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Jean-françois Codère

2010-05-28 11:15:00

Adam Guerbuez, le Montréalais condamné aux États-Unis à verser quelque 873 M$ à Facebook parce qu'il s'était servi de ce site pour acheminer des pourriels, aura-t-il à payer cette somme ? Le dossier est présentement entre les mains d'une juge québécoise.

C'est en août 2008 que Facebook a déposé une requête au terme de laquelle, en novembre de la même année, un jugement par défaut fut rendu, condamnant Guerbuez et sa société, Atlantis Blue Capital, à payer des dommages totalisant très précisément 873 277 200 $. Guerbuez ne s'est jamais présenté pour sa défense.

Selon cette requête, Guerbuez avait acheminé plus de quatre millions de pourriels via Facebook. Il aurait utilisé des scripts pour «pirater» le système, de telle sorte que ses messages étaient publiés sur le babillard électronique (Wall) des utilisateurs et semblaient provenir de leurs amis. Parmi les produits ainsi annoncés se trouvaient notamment de la marijuana, des pilules «d'augmentation masculine» et du matériel pornographique.

Ce jugement remonte donc à plus d'un an et demi et, bien qu'il ait été très médiatisé à l'époque, il n'a toujours pas été appliqué. Guerbuez n'a toujours pas payé un seul sou, tout simplement parce qu'il habite dans une autre juridiction, le Canada.

Le désormais célèbre polluposteur n'a même pas eu à se cacher pour éviter sa sentence tout ce temps. Il habite en plein centre-ville de Montréal, se balade dans un gros camion Range Rover noir, se tient dans les meilleurs restaurants de la ville et, surtout, documente candidement le tout sur un blogue où il s'est fièrement autobaptisé «L'homme de 873 M$». Il a même poussé l'audace jusqu'à se faire poser en compagnie d'une policière, comme pour narguer ses poursuivants.

Intouchable au Canada ?

Guerbuez et ses collègues spammers sont-ils donc intouchables au Canada ?

Peut-être pas. Facebook s'est adressé aux tribunaux québécois pour faire homologuer le jugement rendu aux États-Unis. C'est cette demande qu'a prise en délibéré la juge Lucie Fournier, après avoir entendu les arguments des deux parties il y a quelques semaines.


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Adam Guerbuez a même poussé l'audace jusqu'à se faire poser en compagnie d'une policière, comme pour narguer ses poursuivants.


L'avocat de Guerbuez, Éric Potvin de la firme Lapointe Rosenstein Marchand Melançon, a contesté la requête, estimant qu'elle est «contraire à l'ordre public international», a-t-il expliqué à RueFrontenac.com. C'est l'une des six options que donne l'article 3155 du Code civil du Québec pour contester la mise en application de jugements étrangers. Me Potvin estime que le montant réclamé par Facebook «est exagéré».

«La loi américaine (NDLR : le CAN-SPAM Act) donne droit soit à un montant de dommages qui aurait été prouvé, soit à un montant en fonction du nombre de messages envoyés», explique-t-il. C'est la deuxième option qui a été choisie par Facebook dans ce cas.

Officiellement, Guerbuez a été condamné à payer 436 638 600 $ à titre de dommages et la même somme, 436 638 600 $, à titre de dommages «aggravés». Le total d'un peu plus de 873 M$ US a été ramené à plus d'un milliard de dollars canadiens (1 069 000 $ CA) par Facebook devant les tribunaux d'ici.

Il faudra voir ce que va décider la juge Fournier, notamment si elle s'estimera en mesure de condamner Guerbuez à verser une somme réduite. Me Potvin est plutôt d'avis, et la structure des procédures semble lui donner raison, qu'elle devra simplement choisir entre faire appliquer le jugement américain ou le rejeter purement et simplement.


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L'avocat de Guerbuez, Éric Potvin, du cabinet Lapointe Rosenstein Marchand Melançon.


Vivement une nouvelle loi

Par un joli hasard, pendant que la juge Fournier mijote la question, le gouvernement conservateur a réintroduit cette semaine à Ottawa un projet de loi contre le pollupostage.

À l'heure actuelle, le pollupostage n'est étonnamment pas illégal au Canada, ce qui, on s'en doute, doit irriter royalement nos voisins américains, qui peuvent se faire narguer par des individus comme Guerbuez.

Le projet de loi en question, le C-28, est, selon l'expert en la matière Michael Geist, très similaire à son prédécesseur, le C-27, qui avait obtenu l'approbation des quatre partis à Ottawa l'automne dernier, mais était mort au feuilleton quand Stephen Harper a décidé de commencer ses vacances de Noël plus tôt...

Me Potvin a d'ailleurs cité le défunt projet de loi dans son argumentation devant la juge Fournier, il y a quelques semaines, pour faire valoir le caractère «exagéré» de la décision américaine. «S'il était entré en vigueur et que mon client avait été condamné, le maximum qu'on aurait pu lui réclamer aurait été d'environ 1 M$, nous a-t-il expliqué. C'est 1000 fois moins qu'aux États-Unis.»

Il semble acquis, à moins d'une autre manoeuvre politique douteuse, que le projet de loi C-28 sera adopté rapidement. D'aucuns arguent qu'ils s'agirait d'un coup d'épée dans l'eau. Certes, le problème ne sera pas réglé du jour au lendemain. Mais il peut certainement faire réfléchir quelques polluposteurs ou même les inciter à aller mener leurs sales affaires à l'extérieur.

N'oublions pas qu'à travers le flot souvent inoffensif de publicités pour divers produits étranges tels que ceux cités plus haut se trouvent de vrais risques de fraude ou de vol d'identité, comme les tentatives de hameçonnage. Et que les plus efficaces, en particulier auprès de la clientèle québécoise francophone, sont celles qui viennent d'ici, qui sont écrites en français et visent des clients d'institutions québécoises comme Desjardins.


Note: Cet article a été publié sur www.ruefrontenac.com. Il est reproduit ici avec l'autorisation de l'auteur.
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3 commentaires

  1. Me
    Me
    En date d'aujourd'hui il se vante sur son blog d'avoir été été cité par le Guinness Book Of World Records pour la plus grosse condamnation de l'histoire en matière de spam. Le gars est un imbécile.

  2. Me
    Me
    Je me demande si pour traiter ce dossier, Me Potvin a souscrit une sur-assurance de 863 millions.

  3. Anonyme
    Anonyme
    il y a 13 ans
    Les paris dont ouverts !
    Dans Cortas Canning and Refrigerating Co. c. Suidan Bros, 1999] R.J.Q. 1227, la vente d'une canne de pois chiche avec étiquette contrefaite, pour 0.79$US, a fini en demande de reconaissance de jugement de 9M$ Can.

    Le juge a envoyer paitre la demanderesse Texane.

    Avec 873M$ pour des pourriels, je ne serais pas trop inquiet.

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