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Roe, Daigle et les autres

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Valérie P. Costanzo

2022-07-12 11:15:00

Une professeure de droit rappelle que des violences intimes et systémiques ont toujours cours au Québec et au Canada envers les femmes…

Valérie P. Costanzo, l’auteure de cet article. Source: courtoisie
Valérie P. Costanzo, l’auteure de cet article. Source: courtoisie
La décision ''Roe c. Wade'' de la Cour suprême des États-Unis a été renversée par ''Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization'', permettant à chaque État d’exprimer ses préférences en matière d’interruption de grossesse.

Nonobstant les rappels que la situation est différente au Canada et au Québec, les violences intimes et systémiques envers les femmes y ont toujours cours. En témoigne un jugement récent de la Cour supérieure du Québec ayant ordonné d’effectuer un test d’ADN sur un enfant en vue d’établir la paternité d’un agresseur.

La Cour suprême du Canada reconnaissait dans l’affaire Morgentaler de 1988 que la Charte canadienne protège le droit d’une femme de poursuivre une grossesse ou d’y mettre fin. L’avortement était ainsi décriminalisé. L’année suivante, elle rendait sa décision dans la cause ''Daigle c. Tremblay'', où Jean-Guy Tremblay voulait empêcher son ex-copine de se faire avorter.

Il demanda aux tribunaux une injonction pour le lui interdire, invoquant le droit à la vie du fœtus et son droit comme « père en puissance » (un prétendu droit de veto à l’égard de sa progéniture éventuelle). Chantal Daigle avait pourtant plusieurs motifs justifiant son choix : M. Tremblay avait des comportements autoritaires, possessifs, même violents.

À son avis, mener à terme sa grossesse lui aurait causé « un tort psychologique et moral irrémédiable » et le seul intérêt de M. Tremblay était « celui d’essayer de maintenir son emprise sur (sa) personne ».

Mme Daigle a eu gain de cause en Cour suprême, qui a refusé de reconnaître au fœtus la personnalité juridique : tant qu’il n’est pas né vivant et viable, il n’a pas droit à la vie. Mme Daigle échappait ainsi à l’obligation d’être mère et au contrôle de Tremblay. Si la violence conjugale évoque dans l’imaginaire collectif des blessures physiques, sa définition en sciences sociales repose sur le « contrôle coercitif », soit des stratégies violentes et non violentes qui visent à priver la victime de sa liberté.

Le 22 avril 2022, la Cour supérieure du Québec ordonnait de soumettre un enfant de 2 ans à un test d’ADN pour déterminer si le demandeur en est le père, alors que ce dernier a violé la mère de l’enfant à l’époque de sa conception.

Les faits sont les suivants : le demandeur est déclaré coupable en 2020 d’agression sexuelle et de voie de fait à l’endroit de la défenderesse. Alors qu’il est incarcéré, il apprend que la victime a donné naissance à un garçon ; il est persuadé d’en être le père. Il intente un recours afin d’établir en droit un lien de filiation.

Il soumet comme preuve le témoignage de la mère entendu lors des procédures criminelles où Monsieur a plaidé coupable : « Ça fait bientôt deux ans, j’ai eu un petit garçon à cause de cet événement. Je l’ai gardé parce que (…) c’est la seule raison qui m’a aidée à continuer. (…) Je veux juste être sûre que mon garçon soit en sécurité. Je ne veux pas qu’il (l’)approche. C’est mon garçon à moi, pas à lui. »

Nonobstant les réticences de la mère, Monsieur croit avoir « le droit de savoir ».
Le jugement résume ainsi le témoignage de la défenderesse : « Essentiellement, Madame soumet au Tribunal qu’elle ne veut pas que Monsieur soit impliqué dans sa vie, ni dans celle de l’enfant de quelque façon que ce soit. (…) Elle craint que Monsieur vienne lui chercher son enfant ou qu’il le kidnappe. »

En raison d’indices graves et concordants qui portent à croire que l’enfant et le demandeur sont liés génétiquement, la juge ordonne la tenue du test d’ADN.
Elle motive sa décision par le droit fondamental de l’enfant de connaître ses origines – un droit reconnu en droit québécois et international – qui requiert « la recherche de la vérité ».

Il ne faut pas confondre le droit à la connaissance des origines et les effets de la filiation. Si le test d’ADN est concluant, l’agresseur pourra réclamer sa paternité, être inscrit sur l’acte de naissance de l’enfant et partager l’autorité parentale avec la mère, ce qui lie les parents entre eux et l’enfant à vie.

La mère pourrait se voir imposer la coparenté avec l’agresseur à l’origine de la grossesse. Tout cela, prétendument au nom de l’intérêt de l’enfant. (Les juristes diront qu’elle pourra obtenir la déchéance du père subséquemment, en entreprenant de nouvelles procédures. Mais elle ne devrait pas avoir à le faire.)

Ces deux exemples sont illustratifs d’un plus grand mal : la décision du 22 avril nous rappelle que la perspective des femmes dans le système judiciaire est encore marginalisée, que ce dernier contribue à reproduire des systèmes d’oppression.

En réaction à la décision Dobbs, une phrase troublante circulait sur les médias sociaux : « Les violeurs pourront choisir la mère de leurs enfants » (ma traduction). Le droit à l’avortement n’a pas à être en danger pour qu’une telle chose soit possible, semble-t-il. La domination des hommes sur les femmes traverse bien des frontières géographiques, temporelles et juridiques. Parfois même au nom du droit du fœtus et de l’intérêt de l’enfant.

À propos de l’auteure

Valérie P. Costanzo a récemment été embauchée comme professeure au Département des sciences juridiques de l'UQÀM. Ses champs d’intérêt sont le droit des personnes, de la jeunesse et de la famille, ainsi que l’accès à la justice. Avocate de formation, elle a œuvré principalement en litige familial. Candidate au doctorat à la Faculté de droit, Section droit civil de l’Université d’Ottawa, elle rédige une thèse qui présentera une étude ethnographique de l’accès à la justice des personnes mineures représentées par avocate dans des causes de protection de la jeunesse et de droit familial. Son projet est financé par le CRSH et le FRQSC.

Ce texte est d’abord paru à ''La Presse''.


Sources :
– ''A. P. c. L. D.'', 2000 CanLII 11 381 (C. A.)
– ''Daigle c. Tremblay'', (1989) 2 RCS 530
– Droit de la famille — 22 954, 2022 QCCS 2115
– ''Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization'', 022 U. S. LEXIS 3057
– Isabelle Côté et Simon Lapierre, « Pour une intégration du contrôle coercitif dans les pratiques d’intervention en matière de violence conjugale au Québec », (2021) 153 Intervention 115.
– ''R. c. Morgentaler'', (1988) 1 RCS 30
3051

1 commentaire

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    Cotisons-nous pour payer une souper à Valérie et à Fabrice Vil !
    Imaginez qu'ils tombent en amour ! Dans 23 and on obtiendrait le combo ultime de la gauche radicale: une mulâtre avocate qui passe son temps à voir des problèmes systémiques partout. Peut-être serait-elle également handicapée et trans, auquel cas ce serait la totale!

    Dès sa diplômation de l'école de la Justice (le nouveau nom que portera l'école du Barreau, car l'ancien nom faisait trop penser à un barreau de prison), la petite serait engagée dans la haute fonction publique pour résoudre tous les problèmes "systémiques" d'un Québec où, grâce à Québec Soliaire, l'hydro-électrécité aurait été abandonnée (pour cause d'inondation de territoires non-cédés), les fermiers seraient locataires d'un joint venture de Bill Gates, Charles Sirois et de Power Corp, et la majorité des prescriptions médicales seraient faites par une intelligence artificielle promue par l'OMS.

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