Opinions

Intersectionnalité ou universalisme ?

Main image

Marie-claude Girard

2022-11-09 11:15:00

Le procès qui se joue actuellement au sein de la Cour d’appel du Québec au sujet de la Loi 21 est au cœur de tous les débats…

Marie-Claude Girard, l’auteure de cet article.
Marie-Claude Girard, l’auteure de cet article.
Le choc des approches universaliste et intersectionnelle, en ce qui a trait au droit des femmes à l’égalité, se retrouve aujourd’hui au cœur du procès de ''Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21)''. La Cour d’appel devra se prononcer à savoir si, dans son jugement sur la validité de la Loi 21, le Juge Blanchard a commis des erreurs de droit quant à son analyse du droit à l’égalité des sexes.

Les protagonistes

Deux organisations de défense des droits des femmes soulèvent l’égalité entre les sexes, dans le cadre de ce procès, pour défendre ou contester la ''Loi''.

D’un côté, ''Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec)'' considère que la ''Loi 21'' sert de rempart aux symboles religieux sexistes dans les institutions publiques. L’école publique a, selon cet organisme universaliste, la responsabilité de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et de contrer les stéréotypes. Cautionner des signes religieux sexistes à l’école publique équivaudrait à valider la discrimination systémique faite aux femmes par les religions.

De l’autre côté, la ''Fédération des femmes du Québec'', appuyée par le ''Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes'', commandent de prendre en considération l’intersection « femme, musulmane et portant le voile » dans l’étude des effets réels la ''Loi 21''. Elles estiment que l’interdiction des signes religieux brime leur liberté d’expression et de religion. Elles ne reconnaissent pas qu’un vêtement ou un signe religieux, porté par une personne qui constitue un modèle et une figure d’autorité auprès des jeunes, s’avère du prosélytisme passif, peu importe les intentions de celles qui le portent. Elles ferment également les yeux sur le caractère résolument sexiste du voile tant au niveau social que des valeurs qu’il véhicule.

Un peu d’histoire

C’est pour éviter un « relativisme religieux ou culturel » que les féministes d’ici ont exigé et obtenu, en 1982, l’ajout d’un article garantissant le droit à l’égalité entre les sexes dans la ''Charte canadienne des droits et libertés''.

Ces féministes réagissaient ainsi aux décisions antérieures de la Cour suprême qui, plutôt que de reconnaître aux femmes les mêmes droits que les hommes, consacra l’égalité formelle en comparant les femmes entre elles. De plus, les féministes de l’époque craignaient que l’enchâssement du multiculturalisme dans la Charte canadienne limite, pour certaines, l’accès à l’émancipation dont peuvent jouir les autres femmes. Elles tenaient à ce que la protection du droit à l’égalité fasse l’objet d’un article distinct, puisqu’il s’agit d’un concept différent ne pouvant souffrir d’aucun compromis ou accommodements raisonnables. Ce fût une grande victoire, obtenue à l’arrachée.

Quelques années plus tard, en 1989, l’américaine Kimberly Crenshaw développait l’approche intersectionnelle, qui invite à prendre en considération les caractéristiques raciales, culturelles et religieuses des femmes pour traiter des questions de discrimination.

Au cours de la même période, et en réaction au multiculturalisme canadien, le Québec choisit de miser sur un modèle d’intégration universaliste, qui organise l’espace public autour de valeurs communes. L’égalité entre les femmes et les hommes fait partie de ces valeurs.

Le ''Conseil du statut de la femme'' signale, dès 1997, le danger d’inclure l’identité culturelle lorsqu’il est question du droit des femmes à l’égalité reconnaissant que dans le cas des femmes, il y un danger d’enfermement dans des normes et des valeurs opprimantes.

Le gouvernement du Québec en prend acte et ajoute, en 2008, une clause pour protéger l’égalité entre les sexes dans la ''Charte des droits et libertés de la personne'' du Québec.

L’influence américaine est forte, et l’approche intersectionnelle se fait de plus en plus sentir. Il ne s’agit plus uniquement de considérer les discriminations croisées, telles qu’appliquées en droit canadien, mais d’entrelacer les motifs au point de créer, en quelque sorte, de nouveaux motifs de discrimination (ex. femmes appartenant à une minorité raciale ou ethnique).

Plusieurs féministes universalistes tirent la sonnette d’alarme. Elles refusent d’être cloisonnées dans une case religieuse, culturelle ou raciale qui, en fait, les empêche d’accéder aux droits universels. Pour elles, l’intersectionnalité emprisonne.

L’histoire de la canadienne Yasmine Mohammed en est un exemple éloquent. Elle dénonce à 12 ans, la violence physique et l’imposition du voile islamique par son beau-père intégriste. Or le juge canadien n’a pas voulu intervenir car il s’agissait là, selon lui, de pratiques propres à sa culture. Cette approche « intersectionnelle » aura pour effet de l’enfermer dans un patriarcat religieux en dépit du droit à l’égalité.

Conclusion

L’égalité de fait, entre les femmes et les hommes, n’est pas encore une réalité au Québec. L’identification, la dénonciation et l’élimination des pratiques sexistes, religieuses et autres demeurent essentielles à l’avancement du droit des femmes à l’égalité.

L’approche universaliste ouvre la voie à une égalité réelle entre les femmes et les hommes de toutes origines. L’approche intersectionnelle, qui conforte l’emprise du patriarcat religieux, freine cette avancée.

Bien entendu, le rôle de l’État n’est pas de réguler le sexisme religieux. Il se doit néanmoins de veiller à ce que ses institutions en soient exemptes, puisque contraire à l’atteinte de l’égalité de fait entre les femmes et les hommes.

L’égalité entre les sexes fait partie des considérants de la ''Loi 21''. La Loi s’adresse autant aux femmes qu’aux hommes et porte sur tous les signes religieux. Il semble donc incongru de penser qu’elle puisse contrevenir à l’égalité entre les sexes.

A propos de l’auteure

Marie-Claude Girard est retraitée du gouvernement fédéral. Elle a travaillé dans plusieurs ministères dont neuf ans à la Commission canadienne des droits de la personne et deux ans au ministère des Femmes et de l’Égalité des genres.

1658

1 commentaire

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a un an
    C'est bien plus simple
    "L’approche intersectionnelle, qui conforte l’emprise du patriarcat religieux, freine cette avancée."



    L’approche "intersectionnelle" est tout simplement le royaume de l'escroquerie intellectuelle, de l'arbitraire, du deux poids deux mesures. C'est un instrument de vengeance contre des injustices d'hier, déguisés en véhicule de progrès.

Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires