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Trop cher de faire exécuter un jugement contre une entreprise ontarienne

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Radio -canada

2022-11-29 11:15:00

Certains consommateurs peinent à faire exécuter un jugement obtenu à la Cour des petites créances contre une entreprise qui n'a pas pied à terre au Québec…

Patrick Gérard et France Paquette ont tous deux poursuivi la compagnie Electrolux à la Cour des petites créances. Source: Radio-Canada
Patrick Gérard et France Paquette ont tous deux poursuivi la compagnie Electrolux à la Cour des petites créances. Source: Radio-Canada
France Paquette et Patrick Gérard ne se connaissent pas, mais ils ont beaucoup en commun. Tous deux habitent dans le Grand Montréal. En 2013, ils ont acheté la même cuisinière à induction de marque Electrolux, un modèle qui vaut plus de 3000 $.

Dans la cuisine de France comme dans celle de Patrick, l’électroménager fait défaut à la fin de l’été 2020 après sept ans de loyaux services. Le coupable est un module électronique de puissance (induction generator). Le remplacer coûte environ 2000 $. Comme leur garantie prolongée est terminée, ils devront payer de leur poche.

Petites créances, grandes déceptions

En consommateurs avertis, ils intentent un recours contre Electrolux en vertu de la garantie légale. Il s’agit d’un droit enchâssé dans la Loi sur la protection du consommateur (Nouvelle fenêtre) selon lequel un bien doit servir à un usage normal pendant une durée raisonnable.

Le juge de la Cour du Québec, Division des petites créances, leur donne raison. Il ordonne à Electrolux de verser 3584 $ à France Paquette en guise de dédommagement et 1536 $ à Patrick Gérard pour la réparation de sa cuisinière.

La joie est toutefois de courte durée. Après un moment, voyant que le chèque se fait attendre, Patrick Gérard relance le manufacturier. « Quand je leur disais que j’avais un jugement contre eux, là, hop, aucun signal radio. La personne à l'autre bout disait : « Allô, allô? Mes écouteurs ne fonctionnent pas bien. » Ça raccrochait.»

« Je me sentais comme le dindon de la farce! »

France Paquette tente elle aussi de joindre le fabricant, sans succès. « J'ai communiqué avec Electrolux pour m'assurer qu'ils avaient bien reçu le jugement. Vraiment silence radio. »

Ils ne sont pas les seuls dans cette situation. L'équipe de l'émission La facture a trouvé d’autres consommateurs qui ont vécu le même problème ces dernières années.

Questionnée par La facture, Electrolux s’est dite désolée « pour les inconvénients vécus par ces clients d’autres provinces ». Elle a ajouté revoir ses « façons de faire afin que ces problèmes soient résolus en temps opportun ». L’entreprise n’a pas fourni davantage d’explications.

Karen Perron. Source: Radio-Canada
Karen Perron. Source: Radio-Canada
Faire reconnaître le jugement

Si Electrolux avait eu des bureaux au Québec, il aurait été possible d’y envoyer un huissier pour faire exécuter les jugements. Cependant, le fabricant d’électroménagers a quitté le Québec en 2014 lorsque son usine de L’Assomption a fermé. Son siège social se trouve aujourd’hui à Mississauga, près de Toronto.

Les jugements rendus au Québec ne peuvent pas être exécutés sans être d’abord reconnus par un tribunal ontarien. Afin d'obtenir son dû, un consommateur doit passer par cette étape supplémentaire.

Il pourrait se représenter lui-même en cour à peu de frais. Mais la procédure peut paraître complexe, sans parler de la distance à parcourir et des journées de travail perdues. Il est possible de recourir à un avocat en Ontario pour se faciliter la tâche, mais ce n’est pas donné, selon Karen Perron, présidente de l’Association du Barreau de l’Ontario.

« Les frais dépendent de chaque situation, mais de façon générale, je dirais que ça coûte environ de 2500 $ à 3000 $. »

Soulignons que le même sort attend un Ontarien qui veut faire exécuter un jugement au Québec.

Patrick Gérard, lui, jette l’éponge devant de telles dépenses. « Je suis prêt à aller me battre jusqu'au bout, mais de là à dépenser des sommes astronomiques pour faire valoir mon jugement en Ontario... À un moment donné, la raison prend le dessus. »

Solution à géographie variable

Ce problème de la reconnaissance des jugements entre provinces ne date pas d’hier. En 1998, un comité d’experts, la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, avait recommandé aux provinces et aux territoires d’adopter la Loi uniforme sur l'exécution des décisions et jugements canadiens.

Guillaume Laganière. Source: Radio-Canada
Guillaume Laganière. Source: Radio-Canada
Cette loi modèle vise à « simplifier la procédure », selon Guillaume Laganière, professeur au département des sciences juridiques de l’UQAM. Cette proposition « permet à une personne qui a obtenu un jugement de le faire reconnaître ailleurs au Canada » sans avoir à « déposer un nouveau recours dans la province en question ».

Bien des provinces y ont vu du bon et l’ont adoptée. Sauf trois, et pas les moindres : l’Alberta, l’Ontario et le Québec.

Questionnés à ce sujet, Québec et Queen’s Park répondent de façon laconique. Le ministère du Procureur général ontarien explique à La facture que « cette proposition de loi soulève des inquiétudes en matière d’équité au sein de la communauté juridique. »

L’attachée de presse du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barette, déclare qu’il s’agit « d’une question qui fait l’objet d’analyses ».

La situation n’est pas idéale, poursuit Guillaume Laganière, car « un système de reconnaissance des jugements entre provinces fonctionne de manière optimale quand toutes les provinces y participent ».

France Paquette, elle, aurait bien aimé en bénéficier.

« La solution existe déjà! Mais elle devrait s’appliquer d’emblée, sans qu’on soit obligés d’y investir un effort additionnel. »

Surpris par cette proposition méconnue, Patrick Gérard rappelle toutefois que les entreprises doivent elles aussi faire plus d’efforts. « Les compagnies qui vendent au Québec devraient avoir une responsabilité » sans égard à la province où elles ont élu domicile. « Quand on a un produit, que ça soit au Québec, en Colombie-Britannique ou en Saskatchewan, il devrait y avoir une responsabilité d’un océan à l’autre. »
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