Cynik

Tirade sur le sort des salariés et des stagiaires

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Cynik

2011-02-15 14:15:00

La rémunération des stagiaires a suscité beaucoup de réactions. C'est au tour de Cynik de se pencher sur la question. Les stagiaires méritent-ils une rémunération et pourquoi pas un emploi aussi tant qu'on y est ?

Dans son article du 9 février, Me Salehabadi nous amenait à réfléchir quant à l'opportunité de payer ou non les stagiaires... En droit, la rémunération est une libéralité consentie par un employeur, qui doit être accueillie avec toute la gratitude d’une aumône charitable - et non un droit de l’employé ! C’est vrai pour les stagiaires – et pendant qu'on y est, c’est aussi vrai pour les avocats salariés.

À la base, faire un stage ou avoir un poste n’est pas un droit : si le marché ne vous convient pas pour un stage, fallait pas faire des études de droit – et si le marché ne vous convient pas en tant que salarié, alors allez ailleurs ou ouvrez votre propre cabinet et faites ce que vous voulez si vous êtes si hot que ça. Et d’ailleurs, à moins d'arriver à vous rendre vraiment indispensable, il y a des centaines d'autres personnes désespérées d'avoir un emploi ou d'améliorer leur sort qui peuvent vous remplacer – et même si vous êtes bien placé, ne laissez pas votre voiture de fonctions vous berner...

Il est outrageant de venir prétendre un instant dicter à un employeur les conditions de travail auxquelles il devrait se plier en fonction de ses petites attentes alors que ce n'était pas ça qui avait été convenu au départ – surtout si pour se faire on invoque la Loi : ça, c’est de la véritable déloyauté. On voit bien ce que ça donne avec les procureurs et les juristes de l'État quand on laisse un employé prendre trop de liberté : ils ont l’odieux de se plaindre alors qu'ils devraient au contraire remercier le gouvernement de leur donner un emploi !

Il y a des centaines de juristes qui finissent caissiers dans une banque ou préposés téléphonistes parce qu'il n'ont pas pu se trouver d'emploi comme avocat, en dépit de leur compétence théorique. Eux seraient parfaitement heureux de travailler 65 heures par semaine pour 25 000$ par an. Mais où sont passé les belles valeurs du 19ième siècle ?! En sous-traitance à l’étranger ?

Une bonne dose d'attrition ne ferait pas de tort pour rabaisser le nombre de jeunes pique-assiettes qui parasitent un marché déjà plein ! À produire des diplômés en quantité industrielle pour toucher commandites et financement, les Facultés de Droit (avec la complicité de l’École du Barreau) sursaturent un marché qui n'arrive tout simplement pas à absorber les centaines de nouveaux avocats produits chaque année. Le monde du droit pourrait d’ailleurs fort bien se passer de nouveaux arrivants pendant plusieurs années qu'il ne s'en porterait que mieux.

Où diable les grands gestionnaires bardés de sondages et de statistiques actuarielles disant que « puisque tous les baby-boomers vont partir à la retraite et que la crise est finie, il va y avoir des milliers d’emplois disponibles sur le marché » ont-ils été chercher leurs chiffres quand ils disent qu'on a besoin de plus d'avocats au Québec ? En outre, dans la réalité du droit, la croissance est généralement synonyme non pas d' « ouverture et répartition », mais bien de « concentration et appropriation ».

Quand un avocat part à la retraite, soit il ferme son cabinet, soit ses associés se partagent jalousement son assiette entre eux – on ne fait généralement pas rentrer un nouveau pour combler le vide. Et ensuite, quand ça arrive ou si une croissance des activités le justifie, le choix des employeurs se tourne toujours préférentiellement vers le candidat d’expérience par rapport au novice. Dans le monde du travail en droit, vous ne valez rien tant que vous n’avez pas d’expérience, même avec deux maîtrises et un doctorat (…surtout avec deux maîtrises et un doctorat !). Et attention à ne pas se laisser bercer au son de la manne de prospérité professionnelle qu’on croit entendre provenir des vagues successives de nominations d’associés – une trentaine d’avocats (qui ont du vaincre monts et marées pour mériter leur promotion) sur les 22 000 au Québec, ça fait même pas 1 % – et si on publicise les promotions et nominations, on se garde bien de faire la publicité des mises à pieds, des non-renouvellements et des licenciements.

Si un employeur est assez généreux pour daigner permettre à un nouveau venu de rejoindre son équipe, comment pourrait-on laisser ce dernier être à ce point ingrat pour oser avoir la moindre revendication quant à ses conditions de travail ?

Et pour remettre les stagiaires à leur place…

Les stagiaires doivent bien comprendre que l'entrée dans la profession à la fin de leur stage, c’est déjà une énorme rémunération, surtout compte tenu de la dépense qu’ils représentent ! Constat encourageant : si les grands bureaux veulent frimer à se parader avec des toutous-stagiaires de luxe (remplaçables), il y a plusieurs avocats au centre-ville de Montréal qui ont la décence de ne pas du tout payer leurs stagiaires – bravo !

Ces petits jeunots ne connaissant rien à la réalité pratique et sentant encore les cafés étudiants, ils devraient se confondre en remerciements devant la chance inouïe qu’il leur est offerte de pouvoir travailler dans le monde du droit ! Déjà -si- on est assez libéral dans ses finances pour accepter de payer un stagiaire, c'est un énorme geste, mais gare à ne pas devenir carrément bonasse et lui offrir un emploi après ! Pourquoi agir autrement ? On n'a qu’à le laisser mourir de faim après son stage et embaucher un autre stagiaire tout frais pour le remplacer après – ou alors embaucher l’avocat aux mêmes conditions de travail que celles de son stage. Pas content ? La porte est là, personne ne te retient et d’autres veulent ta place !

Heureusement, une part de la pratique l'a déjà bien compris – et on ne peut que louanger leur valeur d'exemple.

Et heureusement que la Loi sur les normes du travail est d'un effet restreint en début de carrière.

''Cyniquement'' vôtre...
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