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Protection de l’environnement : des contestations judiciaires à surveiller en 2023

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Radio -canada

2023-01-16 12:00:00

Voici un aperçu des causes qui pourraient créer d’importants précédents au Canada.

Me Anne-Sophie Doré. Sources: LinkedIn et Radio-Canada / La Presse canadienne / Sean Kilpatrick
Me Anne-Sophie Doré. Sources: LinkedIn et Radio-Canada / La Presse canadienne / Sean Kilpatrick
Des jeunes pourront-ils exiger de leur gouvernement un avenir plus vert? Reviendra-t-il au fédéral ou au provincial de mener des évaluations d'impact des grands projets d'énergie? Autant de questions sur lesquelles les tribunaux se pencheront cette année.

Des jeunes se mesurent au gouvernement Ford

Après avoir plaidé que le gouvernement de Doug Ford hypothéquait leur avenir en ne se dotant pas de cibles suffisamment ambitieuses pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, sept jeunes attendent cette année une décision de la Cour supérieure de l'Ontario.

La cause Mathur et al. – qui porte le nom de la jeune activiste de 15 ans Sophie Mathur – a été entendue en septembre 2022, soit près de trois ans après le dépôt d'un recours constitutionnel. Les sept plaignants, notamment représentés par l'organisme Ecojustice, ont accusé le gouvernement progressiste-conservateur de brimer leurs droits tels qu'inscrits dans la Charte canadienne des droits et libertés.

« C'est un dossier qui a essuyé plusieurs revers avant d'être finalement entendu par une cour de justice », explique Keith Brooks, directeur de programme chez Environmental Defence. « Il s'agit de la première cause du genre à faire son chemin jusqu'aux tribunaux au Canada. »

Les sept jeunes plaignants sont soutenus dans leur cause par le cabinet d'avocats Stockwoods LLP de Toronto et les avocats du groupe Ecojustice. Sources: Radio-Canada / Evan Mitsui
Les sept jeunes plaignants sont soutenus dans leur cause par le cabinet d'avocats Stockwoods LLP de Toronto et les avocats du groupe Ecojustice. Sources: Radio-Canada / Evan Mitsui
De jeunes Québécois qui avaient entrepris une démarche similaire avaient de leur côté échoué à porter leur cause devant la Cour suprême du Canada, en juillet dernier.

« Ce sont des dossiers qui sont toujours assez complexes d'un point de vue juridique », souligne l'avocate Anne-Sophie Doré, du Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE). « Les questionnements sont plus larges que la protection de l'environnement et l'imputabilité des gouvernements; il y est aussi question du rôle des tribunaux et de la séparation des pouvoirs », dit-elle.

S'ils obtenaient gain de cause, les jeunes Ontariens à l'origine de la poursuite permettraient d'établir un précédent. Les gouvernements provinciaux qui se verraient reprocher leur inaction climatique devraient ainsi rendre des comptes aux citoyens.

Contestation de la Loi sur l'évaluation d'impact

En mars prochain, la Cour suprême du Canada se penchera sur la constitutionnalité de la Loi sur l'évaluation d'impact, qui encadre tout le processus d'évaluation conditionnel à l'approbation de projets et d'infrastructures comme des pipelines, des barrages hydroélectriques ou des sites miniers.

La loi, en vigueur depuis 2019, a été jugée inconstitutionnelle par la Cour d'appel de l'Alberta en mai 2022. Selon le jugement rendu, l'ancien projet de loi C-69, qui est devenu la Loi sur l'évaluation d'impact, empiéterait sur les compétences de la province, notamment en ce qui a trait à la gestion des ressources naturelles.

L'Ontario et la Saskatchewan, qui avaient aussi joint leurs voix à celle du gouvernement albertain, ont reproché au fédéral d'avoir recours à cette loi dans le but de s'ingérer dans des dossiers qui ne relèvent pas de sa prérogative.

« C'est une cause importante », insiste M. Brooks, qui précise qu'Environmental Defence a déposé une requête pour intervenir dans ce litige.

« L'Agence d'évaluation d'impact du Canada, c'est l'organisme qui aurait pu dire non à Bay du Nord et qui établit ce qui est requis pour approuver de futurs grands projets. »

Si le plus haut tribunal du pays déclare à son tour que la loi est inconstitutionnelle et qu'il confère les pouvoirs en la matière aux provinces, le coup serait difficile à encaisser pour Ottawa, selon M. Brooks. La capacité du fédéral à « atteindre ses objectifs climatiques et à veiller à ce que les projets qui vont de l'avant ne soient pas dévastateurs pour l'environnement » s'en trouverait affaiblie, ajoute-t-il.

L'Agence d'évaluation d'impact du Canada a mené une évaluation du projet de plateforme pétrolière Bay du Nord. Sources: Radio-Canada / EQUINOR
L'Agence d'évaluation d'impact du Canada a mené une évaluation du projet de plateforme pétrolière Bay du Nord. Sources: Radio-Canada / EQUINOR
Anne-Sophie Doré indique que les effets se feraient ressentir dans les provinces, où toutes les évaluations d'impact menées par le fédéral s'en trouveraient interrompues.

À l'inverse, une décision qui renforcerait l'autorité du fédéral en la matière au détriment des compétences des provinces inquiète aussi le CQDE, qui appelle à un équilibre entre les différents ordres de gouvernement pour s'assurer d'un processus d'évaluation rigoureux.

Une décision devrait être annoncée en automne.

Des Premières Nations au front

Plusieurs poursuites entreprises par des communautés autochtones attendent toujours leur dénouement.

C'est le cas de la Première Nation de Beaver Lake, dans le nord-est de l'Alberta, qui a commencé ses démarches contre les gouvernements albertain et fédéral il y a bientôt 15 ans.

Les plaignants reprochent aux gouvernements d'avoir autorisé le développement industriel sur de grands pans de leur territoire sans consultation ni indemnisation, en violation des droits des membres de la communauté. Ils estiment qu'ils doivent être dédommagés pour les « impacts cumulatifs » du développement qui a contaminé l'eau des rivières et décimé des forêts.

Toujours en Alberta, la Première Nation de Duncan a entamé en septembre 2022 un recours contre le gouvernement provincial pour l'effet cumulatif du développement des ressources sur son territoire. La détérioration des habitats, des terres et des cours d'eau sur le territoire destiné à la chasse et à la pêche de la nation va « à l'encontre des droits territoriaux » issus du Traité 8, selon ses membres.

Si la cour décidait de se ranger aux arguments de la Première Nation de Duncan, le processus réglementaire qui régit l'utilisation des terres et l'approbation des projets devrait être revu afin d'y inclure l'analyse des effets cumulatifs liés au développement des ressources.

La notion d'impacts cumulatifs rend ces dossiers intéressants, selon M. Brooks. « On ne parle pas d'une opération en particulier, mais de la somme des opérations et de leurs effets sur leur territoire. »

« Nous savons qu'il y a beaucoup de racisme environnemental et d'injustices qui touchent les Premières Nations, en particulier en raison du développement industriel et de celui des combustibles fossiles », poursuit-il. Des décisions dans ces dossiers pourraient créer des précédents notables pour les communautés autochtones.

Un plongeur inspecte la canalisation 5 dans les eaux du détroit de Mackinac. Sources: Radio-Canada / NATIONAL WILDLIFE FEDERATION
Un plongeur inspecte la canalisation 5 dans les eaux du détroit de Mackinac. Sources: Radio-Canada / NATIONAL WILDLIFE FEDERATION
Un dénouement pour la ligne 5 d'Enbridge ?

Aux États-Unis, une décision attendue dans le dossier de la canalisation 5 de l'oléoduc d'Enbridge – qui relie Sarnia, en Ontario, et Superior, dans l'État du Wisconsin, en passant par les Grands Lacs – pourrait avoir des répercussions de notre côté de la frontière.

La communauté Chippewa de Bad River, sur le lac Supérieur, traîne Enbridge en justice depuis 2019 afin d'obtenir la fermeture complète de la ligne 5. En septembre dernier, un juge du Wisconsin a reconnu le droit de la Première Nation de révoquer l'autorisation en vertu de laquelle Enbridge peut faire passer son pipeline sur le territoire.

Il a toutefois rejeté la requête exigeant l'arrêt des opérations de l'oléoduc, qui pourrait, selon lui, entraîner de graves conséquences économiques, autant pour le Canada que pour les États-Unis.

« Le juge a reconnu que le tracé empiète sur le territoire de Bad River, mais il souhaite trouver une solution qui n'entraîne pas la fermeture du pipeline », explique Keith Brooks.

L'organisation Environmental Defence n'est pas en droit d'intervenir dans ce dossier, qui se déroule dans l'État voisin, mais elle soutient néanmoins « que l'oléoduc pose un risque inacceptable pour les Grands Lacs ».

Les municipalités du Québec sous une pluie de poursuites

Plusieurs villes du Québec qui ont promis de protéger davantage les milieux naturels afin d'atteindre leurs objectifs de préservation du territoire se sont retrouvées dans un bras de fer avec des propriétaires et des promoteurs en 2022.

« Beaucoup de poursuites ont notamment été déposées contre les règlements de contrôle intérimaire de la Communauté métropolitaine de Montréal, à la fois celui sur les milieux naturels et celui sur les golfs », explique Anne-Sophie Doré.

Le premier entraîne l'interdiction de « toute construction, tout ouvrage, tous travaux ou toute activité dans les milieux terrestres et humides d’intérêt métropolitain ciblés par la CMM et dans l’habitat de la rainette faux-grillon », tandis que le second renforce la protection de six terrains de golf du Grand Montréal contre le développement immobilier.

Le nombre de poursuites intentées par des promoteurs « contre des municipalités qui décident d'être plus proactives pour protéger l'environnement » est inquiétant, selon Mme Doré.

« Il y a quand même une préoccupation de voir que les tribunaux vont être très occupés, en droit municipal, sur les questions liées à l'environnement. »

À la fin septembre, la Cour suprême du Canada avait refusé de se saisir d'une cause qui aurait permis de clarifier la question des indemnisations à verser aux propriétaires fonciers lors d'expropriations, au grand dam des municipalités.

Le CQDE, qui soutient les Villes dans ces dossiers, attend de voir le projet de loi que le gouvernement Legault s'est engagé à déposer pour moderniser la Loi sur l'expropriation cette année. Les municipalités espèrent que cette réforme facilitera l'acquisition de terrains au nom de la préservation des milieux naturels.
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