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L'indépendance judiciaire et l'intégrité des juges

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François Rolland

2011-09-22 10:15:00

Les tribunaux ne peuvent fonctionner que s'ils ont la pleine confiance du public. Remettre en cause cette confiance doit se faire avec la plus grande prudence, plaide François Rolland, Juge en chef de la Cour supérieure du Québec.

Depuis quelque temps, des critiques sont formulées sans ménagement à l'égard des juges, allant même jusqu'à des insinuations quant à leur intégrité. Notre société démocratique est fondée sur la primauté du droit, c'est-à-dire que tous sont soumis aux lois, tous sont égaux devant la loi. Les juges ont pour mission de s'assurer du respect de cette règle.

Le citoyen qui comparaît devant un juge doit avoir la certitude qu'il sera jugé par un juge impartial et que le jugement rendu par ce dernier sera fondé uniquement sur la preuve présentée devant lui et selon le droit en vigueur.

Pour s'assurer de l'impartialité du juge, notre société démocratique garantit son indépendance judiciaire, c'est-à-dire qu'il pourra décider à l'abri de toute forme de pression, d'où qu'elle puisse venir, que ce soit d'un gouvernement, de groupes de pression, d'individus, du public ou encore des médias.

Cette indépendance du juge est assurée de trois façons: par l'inamovibilité du juge, c'est-à-dire le fait qu'il ne peut être congédié durant bonne conduite; par sa sécurité financière, en lui fournissant un revenu suffisant pour le mettre à l'abri de toute influence; et finalement par l'indépendance institutionnelle, ses assignations lui étant confiées uniquement par les juges en autorité.

À titre d'illustration, le juge ne pourra être congédié s'il rend une décision qui déplaît au gouvernement ou à l'une ou l'autre des parties, ou encore voir son salaire réduit ou être assigné en permanence loin de son domicile. Le mécanisme de l'appel à une autre Cour a été créé pour permettre la contestation d'une décision avec laquelle une partie est en désaccord.

Le juge ne peut, en raison de son obligation d'impartialité, participer aux débats publics. De plus, il ne peut se défendre lorsqu'il est l'objet de critiques. On dit qu'il a un devoir de réserve, et ce, toujours afin de maintenir non seulement son impartialité, mais aussi son apparence d'impartialité. Lorsqu'on critique un jugement, le juge ne peut l'expliquer ou le justifier. Il revient à la Cour d'appel d'intervenir, le cas échéant, en confirmant ou infirmant le jugement.

Depuis quelque temps, on critique non pas le jugement, mais le juge lui-même, allant jusqu'à faire des insinuations quant à son intégrité, et ce, sans fondement.

Le juge doit être serein lorsqu'il entend des causes, et les critiques médiatiques non fondées quant à son intégrité peuvent porter atteinte à sa sérénité. S'il perd cette sérénité, cette indépendance de pouvoir décider sans crainte de représailles, il devra alors se retirer du dossier pour qu'il soit repris devant un autre juge, avec tous les frais et délais que cela comporte pour le citoyen et pour la démocratie.

Les tribunaux ne peuvent accomplir leur mission que s'ils ont la confiance du public. Il revient à tous les intervenants du domaine de la justice, y compris les médias, de faire preuve de la plus grande prudence et de la plus grande rigueur lorsqu'on remet en cause cette confiance.

Les événements récents prouvent malheureusement que cela n'est pas toujours le cas. Car mettre en doute cette confiance, c'est mettre en doute le fondement d'une institution indispensable au maintien de notre société démocratique.
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7 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 12 ans
    M. le juge nous décrit le village de Nathalie
    Voici le vrai monde:

    >Notre société démocratique est fondée sur la primauté du droit, c'est-à-dire que tous sont soumis aux lois, tous sont égaux devant la loi.


    Si c'était le cas, les avocats notoirement associés ou ayant été utiles aux libéraux ou aux conservateurs auraient autant de chance que les autres de devenir juge.


    >c'est-à-dire qu'il pourra décider à l'abri de toute forme de pression,

    Comme "the power that be" choisi les nouveaux juges en fonction de critères bien précis, il est ensuite inutile d'exercer de la pression.


    >Le juge doit être serein lorsqu'il entend des causes, et les critiques médiatiques non fondées quant à son intégrité peuvent porter atteinte à sa sérénité.

    Arrêter, vous allez me faire pleurer.

  2. Moi
    La sérénité
    Je suis d'accord avec tous les principes mis de l'avant dans cet article. Toutefois, la réalité est souvent autre et il faut se garder d'empêcher des justiciables d'invoquer la conduite dérogatoire d'un juge lorsqu'il est fondé de croire que justice ne pourra être rendue, notamment lorsque la sérénité du juge est manifestement absente.

    La Cour d'appel a été saisie de cette question notamment dans l'affaire suivante et avait adopté une position claire quant aux critères nécessaires pour obtenir la récusation d'un juge dans de telles circonstances:

    http://www.jugements.qc.ca/php/decision.php?liste=55836416&doc=5C8688C4DE1371C742DDD6454FD52B831424A4B1BD27ACBCA834F76771A01386&page=1

    Pourquoi cette sortie médiatique?

  3. Avocat
    Avocat
    il y a 12 ans
    Avocat
    Beaucoup de juges ont profité du système. Ils savaient pourquoi ils ont été nommés. Maintenant, ils osent requérir d'écarter le cynisme qu'ils ont contribué à bâtir.

    • istorlet
      istorlet
      il y a 12 ans
      Re : Avocat
      > Beaucoup de juges ont profité du système. Ils savaient pourquoi ils ont été nommés. Maintenant, ils osent requérir d'écarter le cynisme qu'ils ont contribué à bâtir.
      Oui les medias critiquent les juges au lieu des jugements car ils savent que PERSONNE ne défendra le juge.

  4. STUPEFY
    STUPEFY
    il y a 12 ans
    Me
    Ce sont les juges de la Cour suprême qui ont décidé ce qu'était l'impartialité et l'indépendance. Est-ce qu'il y une seule autre profession où l'indépendance financière a prouvé qu'un décideur était plus impartiale et indépendant dans ces décisions? Il n'a pas non plus été démontré que l'inamovibilité était plus encline à favoriser ces principes. Ce sont des fictions judiriques. Des juges décident ce qu'ils ont besoin pour être indépendants et impartiaux?
    Vous faite une requête en récusation, c'est le juge lui-même qui décide s'il doit ou non se récuser. Pardonnez-moi, mais là, ce n'est un acte de foi que l'on demande au justiciable. Comment le même juge qui est visé par la requête peut-il se "diviser" en deux et être perçu comme impartial?
    Les juges sont d'anciens avocats et souvent ils sont impliqués dans des procès où ils n'y connaissent strictement rien. Comment peut-on s'attendre à ce qu'un juge perde soudainement son chapeau d'avocat devant des avocats anciens collègues ou anciens clients et ainsi de suite?
    Ce n'est pas difficile de comprendre que la population se pose des questions sur l'impartialité et l'indépendance des juges. Même pas besoin des critères des juges de la Cour d'appel. C'est simplement le Gros Bon Sens.
    Peut-être faudrait-il une magistrature à la française avec une école de la magistrature???

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 12 ans
      Re : Me
      > [...] Ce sont des fictions judiriques. [...]


      Non.

      L'indépendance financière et l'inamovibilité sont des conditions nécessaires, mais pas suffisantes, pour aboutir à une magistrature indépendante et impartiale.

  5. GBS
    GBS
    Quels sont les effets concrets de la commission Bastarache?

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