Publications juridiques

Recours en responsabilité civile sur le marché secondaire disponible au Qc

Main image

Ogilvy Renault

2007-12-05 09:15:00

Le 9 novembre 2007, la Loi modifiant la Loi sur les valeurs mobilières et d’autres dispositions législatives (1) est entrée en vigueur.

Ces dispositions présentées dans le projet de loi 19 de juin 2007 introduisent au Québec un recours en responsabilité civile sur le marché secondaire. Un tel recours n’est pas de droit nouveau au Canada car il est en vigueur en Ontario depuis le 31 décembre 2005.

UN RECOURS HAUTEMENT HARMONISÉ
Tout comme en Ontario, la Loi permet plus facilement à un investisseur d’intenter une action en dommages-intérêts lorsqu’un émetteur rend publique une information fausse ou trompeuse contenue dans un document ou une déclaration ou fait défaut de divulguer un changement important.

Le recours peut être intenté contre l’émetteur, ses dirigeants, ses administrateurs, des personnes influentes ou un expert(2) impliqués dans le fait reproché. L’investisseur n’a pas à prouver le lien de cause à effet entre sa transaction d’acquisition ou de cession de titres et l’information fausse ou trompeuse ou l’omission d’avoir divulgué le changement important et il n’a pas non plus l’obligation de prouver le dommage.

Tout comme en Ontario, plusieurs moyens de défense sont disponibles dans la Loi. En effet, le défendeur pourra faire échec à l’action en établissant que le demandeur connaissait le fait reproché.

Le défendeur pourra aussi invoquer qu’il a effectué une enquête raisonnable pour s’assurer que le document ou la déclaration publique ne contenait pas d’information fausse ou trompeuse ou qu’il n’y aurait pas un manquement à une obligation d’information occasionnelle.

À l’instar de la loi ontarienne, d’autres moyens de défense sont disponibles pour le défendeur autre que l’émetteur si le fait reproché a été réalisé à son insu ou sans son consentement. Dans ce cas, le défendeur doit avoir avisé le conseil d’administration de l’émetteur de l’information fausse ou trompeuse ou du manquement avant la rectification ou, en l’absence de rectification, avoir avisé l’Autorité des marchés financiers du manquement, à moins d’en être empêché par une loi ou par le secret professionnel.

Dans le cas d’une information fausse ou trompeuse contenue dans l’information prospective, le défendeur peut faire échec à l’action en établissant la preuve d’une mise en garde suffisante, d’une mention des facteurs ou hypothèses significatifs pris en compte en vue de formuler l’information prospective et que les conclusions, prévisions ou projections qu’il a formulées étaient valablement fondées.

La Loi prévoit en outre un moyen de défense pour l’expert qui démontre qu’il avait retiré par écrit son consentement à l’utilisation de son avis avant la publication du document ou de la déclaration publique. Dans un document dont le dépôt auprès de l’Autorité des marchés financiers n’est pas obligatoire, le défendeur peut invoquer qu’il ne savait pas et n’avait pas de motifs raisonnables de croire que le document serait publié.

Enfin, un défendeur pourra faire échec à une action dans le cas d’un manquement à une obligation d’information occasionnelle lorsque l’émetteur aura déposé auprès de l’Autorité des marchés financiers la déclaration de changement important de façon confidentielle et qu’il l’aura rendue publique dès que possible.

La détermination des dommages-intérêts et le partage de responsabilité sont également similaires à la formule ontarienne. Ainsi, il n’y a pas de limite quant aux dommages-intérêts pouvant être accordés lorsque la présentation d’information fausse ou trompeuse ou le non-respect d’une obligation d’information occasionnelle a été fait sciemment. Dans les autres cas, des limites de responsabilité sont prévues.

Ainsi, la responsabilité des émetteurs et des personnes influentes (autres que les particuliers) sera limitée à 5 % de leur capitalisation boursière ou à 1 000 000 $, selon le montant le plus élevé. La responsabilité d’une personne physique, autre que l’expert, et celle des administrateurs et des dirigeants sera limitée au plus élevé de 25 000 $ ou 50 % de la rémunération globale (comprenant toute rémunération différée) reçue au cours des 12 mois précédant la date du manquement. Dans le cas de l’expert, sa responsabilité sera limitée au plus élevé de 1 000 000 $ ou du revenu que lui et les sociétés du même groupe ont tiré de l’émetteur et des sociétés du même groupe au cours de la période de 12 mois précédant le moment où les informations fausses ou trompeuses ont été fournies.

Le recours ne peut être exercé qu’avec l’autorisation préalable du tribunal tout comme en Ontario.

Le recours ne s’applique pas non plus à l’occasion d’un placement effectué avec un prospectus ou, sauf disposition contraire prévue par règlement, sous le régime d’une dispense de prospectus et le recours ne s’applique pas non plus à la personne qui acquiert ou cède un titre à l’occasion d’une offre publique d’achat ou de rachat, sauf disposition contraire prévue par règlement.

Le 9 novembre 2007, l’Autorité des marchés financiers a publié dans son bulletin hebdomadaire des modifications au Règlement sur les valeurs mobilières pour une période de consultation de 30 jours afin de prévoir certaines définitions pour les fins de la détermination des dommages-intérêts et pour prévoir les situations particulières de l’application du recours(3). Les modifications proposées sont harmonisées avec celles de l’Ontario et prévoient que le recours en responsabilité civile sur le marché secondaire s’applique à la personne qui souscrit ou acquiert un titre dans le cadre d’une opération visée effectuée par une personne participant au contrôle d’un émetteur.

Finalement, les modifications prévoient aussi l’application du recours à la personne qui acquiert ou cède un titre à l’occasion d’une offre publique d’achat ou de rachat effectuée sous le régime d’une dispense prévue dans la législation en cas d’achat ou de rachat effectué par l’intermédiaire d’une bourse, lorsque l’offre publique est soumise à des règles équivalentes établies par une autre autorité reconnue en situation de minimis au Québec, ou lorsque l’acquisition porte sur un maximum de 5 %, ou dans le cas d’un rachat de moins de 5 % des titres de la catégorie.

Le recours en responsabilité civile sur le marché secondaire s’applique maintenant à toute personne qui acquiert ou cède un titre d’un émetteur assujetti, ou de tout autre émetteur qui a un lien étroit avec le Québec et dont les titres sont négociés sur un marché.

PRINCIPALES MODIFICATIONS APPORTÉES AU PROJET DE LOI 19
Certains amendements ont été apportés au projet de loi 19 par l’Assemblée nationale lors de l’adoption de la Loi.

La modification la plus importante porte sur la prescription. En effet, tel que présenté, le projet de loi 19 aurait eu pour effet de créer une prescription différente au Québec car la prescription générale en matière de dommages prévue dans la Loi sur les valeurs mobilières demeurait inchangée avec les balises de la prescription qui s’applique aux autres recours civils, c’est-à-dire que l’action aurait pu être intentée dans un délai de trois (3) ans à compter de la connaissance des faits donnant ouverture au recours. Le délai de prescription aurait donc pu expirer plus tard au Québec.

Le projet de loi 19 a été modifié et la Loi prévoit maintenant un nouvel alinéa à l’article 235 de la Loi afin de déroger au principe général de la prescription pour le recours en responsabilité civile sur le marché secondaire en prévoyant que, dans ce cas, le demandeur est réputé avoir connaissance des faits à compter de la date de la première publication du document ou de la déclaration publique contenant l’information fausse ou trompeuse, ou à la date à laquelle le changement important aurait dû être rendu public. Ainsi, la prescription au Québec sera harmonisée à celle de l’Ontario.

La définition de personne influente a également été modifiée pour préciser son application pour le gestionnaire d’un fonds d’investissement lorsque l’émetteur est un fonds d’investissement.
La disposition donnant ouverture à une action lorsqu’une déclaration publique contient une information fausse ou trompeuse a été modifiée pour préciser que la déclaration doit avoir été faite relativement aux affaires de l’émetteur et non pas comme il était prévu dans le projet de loi 19, relativement à l’émetteur. Cette modification a été apportée afin d’harmoniser le recours prévu dans la Loi avec celui prévu en Ontario. Ceci évitera une interprétation indûment large d’une information relative à l’émetteur.

La disposition relative aux moyens de défense disponibles pour une personne autre que l’émetteur qui établit que le manquement a été fait à son insu et qu’elle a avisé l’émetteur a été modifiée pour préciser que cette personne doit aviser le conseil d’administration de l’émetteur ou la personne exerçant les fonctions similaires. Cette modification était nécessaire car le projet de loi 19 ne prévoyait que le « conseil d’administration de l’émetteur », ce qui aurait causé des problèmes pour les émetteurs autres que des entités corporatives.

PRINCIPALES DIFFÉRENCES ENTRE LE QUÉBEC ET L’ONTARIO
Malgré l’effort considérable d’harmonisation du législateur québécois, il demeure quelques différences avec le régime ontarien. Premièrement, pour déterminer la faute de certaines personnes agissant pour l’émetteur, le législateur québécois emploie la formulation « mandataires ou autres représentants » de l’émetteur alors qu’en Ontario cette catégorie de personnes comprend une « personne qui a le pouvoir effectif, implicite ou apparent ».

Nous comprenons que l’intention du législateur québécois est que les dispositions en cette matière soient interprétées de la même manière au Québec qu’ailleurs. Le régime du mandat étant spécifique au droit civil québécois, nous espérons que les tribunaux qui auront à interpréter les dispositions et à donner ouverture aux recours en responsabilité civile sur le marché secondaire ne seront pas tentés de donner une portée différente à ces dispositions.

Une autre distinction à noter est qu’au Québec, la Loi prévoit que pour décider si une faute lourde a été commise, le tribunal tient compte de toutes les circonstances pertinentes, notamment dans le cas de l’avis d’un expert, des « normes, règles ou usages auxquels cet expert peut être assujetti ». En Ontario, la même disposition réfère plutôt aux « normes professionnelles applicables à l’expert ». Encore une fois, il reviendra aux tribunaux de déterminer si de telles expressions sont équivalentes ainsi que de décider de l’admissibilité en preuve de ces éléments.

Nous espérons que, malgré la différence de textes législatifs, les tribunaux privilégieront des normes objectives préférablement aux usages et autres standards qui pourraient être arbitraires.

On retrouve d’autres différences entre les dispositions législatives du Québec et de l’Ontario, notamment dans la syntaxe de certaines dispositions de la Loi, mais elles sont peu susceptibles de créer des interprétations législatives différentes dans les deux provinces.

Le gouvernement du Québec souhaite l’harmonisation de la réglementation en valeurs mobilières à l’échelle pancanadienne et ce souhait se reflète par l’adoption d’un régime de responsabilité civile sur le marché secondaire substantiellement similaire à celui en vigueur en Ontario et bientôt dans tous les territoires et toutes les provinces du Canada.

Par Christine Dubé, avocate, et Marc Duquette, associé principal, Ogilvy Renault.

________
(1). (L.Q. 2007, c. 15).
(2). L’expert comprend une « personne dont la profession donne foi à une déclaration qu’elle fait à titre de professionnel, notamment un comptable, un actuaire, un évaluateur, un vérificateur, un ingénieur, un analyste financier, un géologue, un avocat ou un notaire, à l’exclusion toutefois d’une entité qui est une agence de notation agréée définie par règlement ».
(3). Les modifications comportent l’adoption des définitions suivantes : « capitalisation boursière », « cours de référence », « jour de bourse », « marché principal » et « titre de participation ».
6873

Publier un nouveau commentaire

Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires