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Ententes de cessation d’emploi – la fin de l’incertitude?

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Lukasz Granosik

2013-02-13 10:55:00

Le Code civil du Québec prévoit que chacune des parties à un contrat de travail à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé ou, dans le cas de l’employeur, une indemnité tenant lieu de préavis (1).

Le délai de congé ou le préavis doit être raisonnable et tenir compte de facteurs bien connus comme la nature de l’emploi, la durée de la prestation de travail et l’âge(2).

Cette obligation est bilatérale et s’applique autant à l’employeur qu’à l’employé. Cependant, le Code civil du Québec prévoit à l’article 2092 C.c.Q. une protection additionnelle en faveur de l’employé qui empêche celui-ci de renoncer à son droit d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit lorsque le délai de congé est insuffisant ou dans le cas où la résiliation est faite de manière abusive.

Ainsi, le droit de l’employé à un délai de congé raisonnable ou à une indemnité équivalente est d’ordre public. Les tribunaux ont refusé d’avaliser des délais de congé auxquels des employés ont consenti dans des contrats de travail au motif qu’une telle acceptation constituait une renonciation qui ne pouvait leur être opposée en vertu de l’article 2092 C.c.Q.

Le délai de congé auquel l’employé a consenti aux termes d’une transaction librement conclue au moment de la cessation de son emploi est-il révisable pour autant? Les ententes de cessation d’emploi entre les employeurs et les employés aux termes desquelles les employés reçoivent une certaine indemnité tenant lieu de délai de congé peuvent-elles être révisées par les tribunaux?

Jusqu’à maintenant, la jurisprudence de la Cour supérieure semblait partagée. Certains juges étaient d’avis que l’article 2092 C.c.Q. permettait automatiquement la révision par le tribunal du délai de congé prévu dans une entente de départ(3). Dans de tels cas, quelle que soit la nature de l’entente conclue entre l’employeur et l’employé dans le cadre de la négociation de l’entente de cessation d’emploi, les tribunaux jugeaient qu’ils avaient toujours la possibilité de réviser la transaction et de condamner l’employeur à payer davantage. D’autres juges considéraient que les tribunaux ne devraient intervenir qu’en cas d’abus eu égard à l’indemnité payée(4).

Jusqu’à tout récemment, les employeurs se trouvaient dans une situation difficile, voire intenable, puisqu’ils ne pouvaient jamais être certains qu’un ancien employé n’intenterait pas de poursuites afin de demander le paiement de sommes additionnelles, même s’ils avaient conclu une transaction et versé une indemnité à l’employé.

Cette incertitude semble avoir connu son dénouement tout récemment dans l’affaire Betanzos c. Premium Sound ‘N’ Picture inc.(5), où la Cour d’appel a interprété l’article 2092 C.c.Q ainsi que les droits qui en découlent. Dans cette affaire, l’employeur et l’employé avaient convenu d’une indemnité de départ de 25 800 $ aux termes d’une transaction conclue après le congédiement de l’employé. Cependant, ce dernier, en se fondant sur la jurisprudence susmentionnée permettant de rendre une telle transaction inopposable, a intenté des poursuites contre l’employeur où il réclamait un montant additionnel de 81 700 $ pour congédiement sans motif sérieux.

La juge de première instance a déterminé que le congédiement de l’employé était justifié et que les parties avaient conclu une transaction prévoyant une indemnité de départ consensuelle. La juge a considéré que l’action de l’employé était mal fondée et qu’en plus, ce dernier avait agi de mauvaise foi en ne respectant pas la transaction intervenue.

Compte tenu de cette dernière conclusion, la juge a accueilli la demande reconventionnelle de l’employeur et condamné l’employé à rembourser à l’employeur l’indemnité de départ de 25 800 $ qu’il avait déjà payée. L’employé insatisfait s’est adressé à la Cour d’appel et a fait valoir, encore une fois, que selon son interprétation de l’article 2092 C.c.Q, la transaction qu’il avait lui-même conclue n’était pas opposable à son endroit et qu’il avait donc droit à une indemnité additionnelle de 81 700 $.

La Cour d’appel a rejeté cet argument au motif que la transaction conclue était tout à fait valide. Il s’agissait de vérifier si la protection accordée par l’article 2092 C.c.Q tenait de l’ordre public de protection ou de l’ordre public de direction. Cette différence est importante car seule une clause contrevenant à l’ordre public de direction est nulle de nullité absolue et n’est pas susceptible de confirmation.

Au contraire, il est possible de renoncer à un droit tenant de l’ordre public de protection, à la condition que cette renonciation soit accordée après l’acquisition du droit et non avant. Ainsi, l’article 2092 C.c.Q n’empêche, selon la Cour d’appel, que la renonciation anticipée à un délai de congé raisonnable ou au paiement d’une indemnité équivalente. Comme en l’occurrence cette transaction, comprenant la renonciation à un montant supérieur à 25 800 $, n’avait été conclue qu’après la fin de l’emploi, elle ne pouvait plus être remise en question.

Par ailleurs, la Cour d’appel a infirmé la partie du jugement de première instance condamnant l’employé à rembourser l’indemnité de départ déjà payée au motif que la transaction avait, entre les parties, l’autorité de la chose jugée(6) et qu’il fallait donc lui donner plein effet, l’action de l’employé n’en permettant pas la résolution.

Assez curieusement, la Cour d’appel n’a pas écarté ni cité la jurisprudence contraire de la Cour supérieure. Cependant, comme il s’agit d’un jugement de la Cour d’appel établissant clairement l’interprétation de l’article 2092 C.c.Q, celui-ci devrait faire autorité en la matière et permettre aux employeurs de conclure une transaction sans avoir à se préoccuper d’éventuelles poursuites, tout en rappelant aux employés le caractère définitif d’une entente de cessation d’emploi, notamment en ce qui concerne l’indemnité de départ tenant lieu de délai de congé. Une telle entente ne pourra plus être contestée devant les tribunaux si les parties y ont librement consenti.

Par Lukasz Granosik, associé chez Ogilvy Renault

(1) Bien entendu, en présence d’un motif sérieux, l’employeur peut mettre fin au contrat de travail sans délai de congé ni préavis (article 2094 C.c.Q.).
(2) Voir notamment l’alinéa 2 de l’article 2091 C.c.Q.
(3) Dumesnil c. Ressources graphiques, une division de Cascades Groupe papiers fins inc., D.T.E 2006T-127, Chassé c. Rodi Design inc., D.T.E 2003T-24, Karasseferian c. Bell Canada inc., (2000) R.J.Q. 1452 (CS)
(4) O’Connor c. Omega Engineering inc., (2000) R.J.Q. 243 (CS)
(5) 2007 QCCA 1629.
(6) Article 2633 C.c.Q.
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