Karim Renno

La mauvaise foi ne réécrit pas un contrat

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Karim Renno

2012-12-18 14:15:00

Si elle est sanctionnée par les juges, la mauvaise foi d'une partie au contrat n'est pas pour autant synonyme de remède. Karim Renno le démontre, jurisprudence à l'appui.

L’obligation pour une partie d’agir de bonne foi dans le cadre d’une relation contractuelle est un sujet très à la mode en droit québécois depuis que la Cour suprême du Canada a rendu ces décisions phares dans les affaires ''Houle'' c. ''Banque Canadienne Nationale'' (1990 3 R.C.S. 122) et ''Banque de Montréal'' c. ''Bail Ltée'' ((1992) 2 R.C.S. 554). Les tribunaux n’hésitent pas à sanctionner la mauvaise foi d’une partie contractante.

Reste que la constatation, par un tribunal québécois, de la mauvaise foi d’une partie ne donne pas ouverture à quelque remède que ce soit. En effet, une telle constatation ne pourra pas mener à la réécriture par la Cour d’un contrat ou à une décision forçant une partie à renouveler un contrat échu, mais plutôt simplement à l’attribution de dommages.

Le jeune super plaideur Karim Renno
Le jeune super plaideur Karim Renno
L'Intimée dans cette affaire est une concessionnaire pour l'Appelante au Québec depuis 1976 (avec une concession à Québec et une à Kirkland)Ce principe a été clairement établi par la Cour d’appel dans deux décisions importantes. Est d’abord venue l’affaire ''BMW Canada inc.'' c. ''Automobiles Jalbert inc.'' (2006 QCCA 1068). Le litige entre les parties a trait au fait que l'appelante décide, pour une multitude de raisons, de ne pas renouveler les deux contrats de concession qui existent entre les parties. L'intimée, alléguant que ce non-renouvellement est fait de mauvaise foi, recherche l'émission d'une injonction.

En première instance, le juge en vient à la conclusion que l'appelante n'a pas respecté son devoir d'équité et de bonne foi envers l'Intimée en mettant fin au contrat de concession de Kirkland et en décidant de ne pas renouveler celui de Québec. Il conclut que les deux contrats de concession prendront fin le 31 décembre 2012, sauf, évidemment, si l'appelant avait un motif valable d'y mettre fin avant cette date.

La Cour d'appel vient renverser cette décision. Les juges Chamberland, Forget et Vézina, dans un jugement unanime, en viennent effectivement à la conclusion que la mauvaise foi de l'appelante, même lorsque prouvée, ne pouvait avoir pour effet de l'obliger à renouveler un contrat de concession :
« (140) Le contrat de concession comporte un terme ; il ne prévoit pas, en faveur du concessionnaire, de droit à la perpétuité de la relation contractuelle.(…)
(…)
(142) Quant à l'obligation d'agir de bonne foi et équitablement, celle-ci ne saurait changer les termes du contrat liant les parties et créer une obligation de renouvellement, pour l'éternité, alors que le contrat comporte un terme et est totalement muet quant à un éventuel renouvellement. »

La Cour souligne que le remède approprié dans le cas d’un manquement à une obligation d’agir de bonne foi et de manière équitable est l'octroi de dommages-intérêts en faveur de la partie frustrée et non la réécriture du contrat et en la création d'une obligation contractuelle qui n'existe pas dans le contrat sur lequel les parties s'étaient entendues.

Plus récemment, dans l’affaire ''Haddad'' c. ''Groupe Jean Coutu (PJC) Inc.'' (2010 QCCA 2215), la Cour d'appel est venue réitérer ce principe à l’effet que, même en l'absence de bonne foi, les tribunaux ne peuvent passer outre le langage clair d'un contrat.

Un pharmacien d’expérience de Sherbrooke, l’appelant, est aussi propriétaire d’un immeuble commercial qu’il loue à une grande bannière de pharmaciens du Québec, l’intimée. L'appelant, locateur, s’engage dans le bail à ne pas faire concurrence aux éventuels pharmaciens franchisés de sa locataire, et ce, pour la durée du bail. De plus, comme propriétaire, il accorde à sa locataire PJC, une « servitude » de non-concurrence au même effet.

Quelques années plus tard, l'intimée achète l’immeuble de l'appelant. Les obligations du bail sont alors éteintes pour cause de confusion, les qualités de locateur et locataire étant maintenant réunies dans une seule et même personne. La question qui se posait dans cette affaire était de savoir si les obligations de non-concurrence qui liaient le locateur pouvaient survivre à l’extinction du bail.

Après en être venue à la conclusion que l'extinction du bail par voie de confusion entraîne l'extinction des obligations de non-concurrence, puisque la clause de non-concurrence était stipulée être valide pour la durée de l'entente seulement, la Cour se penche sur l'argument basé sur la mauvaise foi alléguée de l'appelant. En effet, l’intimée fait valoir qu'en raison de cette mauvaise foi, l’appelant ne pouvait pas être libéré de ses obligations de non-concurrence. Cette prétention est acceptée en première instance.

La Cour d'appel exprime son désaccord et rappelle que la mauvaise foi d'une partie contractante présumant qu'elle soit prouvée, ne peut avoir pour effet de changer les termes du contrat. Or, puisque la clause de non-concurrence n'avait effet que pour la durée du contrat et que celui-ci est éteint, le comportement de l'appelant ne pouvait avoir d'incidence sur la question :

« (85) Avec égards, je ne crois pas qu'une violation des articles 6, 7 et 1375 C.c.Q., même prouvée, puisse justifier le prolongement des effets des clauses de non-concurrence qui sont, par ailleurs, éteintes. Le comportement de M. Haddad en 2001 et 2002 n'est pas une fin de non-recevoir à sa demande de jugement déclaratoire visant à déterminer les conséquences de la vente de l'immeuble survenue en 2006. PJC invoque les effets d'un comportement qui remonte à environ quatre ans avant les faits donnant lieu à la confusion afin de justifier sa propre erreur, en 2006, d'avoir omis de consigner une nouvelle clause de non-concurrence dans l'acte de vente intervenu avec M. Haddad. »

Comme on peut le constater, même en présence de mauvaise foi, la Cour d’appel respectera son dicton souvent répété à l’effet qu’il n’appartient pas aux tribunaux de réécrire les termes d’un contrat. C’est donc en accordant une compensation financière qu’ils interviendront.


Sur l'auteur:
Karim Renno est associé dans le cabinet Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.
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