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Police et médias : les liaisons dangereuses

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Jean-claude Hébert

2016-11-04 11:15:00

Au quotidien, l’environnement de proximité entre les juges de paix magistrats et la police assombrit l’exigence constitutionnelle d’impartialité, explique ce criminaliste qui revient sur l’Affaire Lagacé…

Me Jean-Claude Hébert est un avocat criminaliste, professeur de droit et auteur québécois
Me Jean-Claude Hébert est un avocat criminaliste, professeur de droit et auteur québécois
Sous réserve qu’elle soit consciente et volontaire, l’utilisation publique par un journaliste de renseignements policiers susceptibles d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice engage sa propre responsabilité criminelle.

Par contre, au mépris de son devoir de confidentialité, un policier peut servir l’intérêt public en enfilant le costume de source journalistique. Sur ce terrain miné, la collaboration entre un journaliste et un policier risque de perdre son innocence.

En obtenant des ordonnances judiciaires autorisant l’espionnage d’un journaliste, des enquêteurs mettent à risque la proximité harmonieuse du tandem policier-média. Sans surprise, face à cette tromperie, les médias ressentent un haut-le-cœur.

Selon la Cour suprême (affaire Globe and Mail, 2010), la mise au jour d’importantes nouvelles pour le public incite les sources désireuses de révéler ces informations à violer des obligations juridiques de nature civile. Un journaliste n’est pas tenu d’agir comme conseiller juridique auprès d’une source.
Si un journal obtient légalement des renseignements véridiques sur une question d’intérêt public, l’État ne peut en interdire la communication en l’absence d’un intérêt public supérieur. Nul ne conteste l’utilité du journalisme d’enquête dans une société démocratique. Inutile d’étaler la longue liste des enquêtes où des journalistes ont dénoncé les magouilles publiques et privées.

Pour ce faire, l’utilisation confidentielle d’informateurs est souvent utile, voire indispensable. Tout de même, l’intérêt public relatif à l’information obtenue de sources secrètes n’est pas absolu. Il doit y avoir pondération avec d’autres intérêts aussi importants, notamment la conduite des enquêtes criminelles.

Un anonymat jamais assuré

Faisons simple : quand bien même les renseignements transmis à un journaliste servent à raconter une histoire d’intérêt public, l’anonymat de l’informateur n’est jamais assuré.

Dans le cadre d’une affaire criminelle, aucun journaliste ne peut garantir la confidentialité absolue à son informateur. Afin que la vérité advienne, l’identité de l’informateur risque même d’être dévoilée.

En l’absence d’une loi (fédérale ou québécoise) assurant la protection des sources journalistiques, les tribunaux doivent agir en conformité des orientations proposées par la plus haute cour du pays.

La Cour suprême qualifie de simpliste l’affirmation selon laquelle il est toujours conforme à l’intérêt public de préserver la confidentialité des sources secrètes. Certes, la liberté de diffuser des informations emporte nécessairement celle d’en faire la collecte, y compris par le biais de sources confidentielles. Cela dit, la Constitution ne protège aucune technique de renseignement journalistique.

Le caractère hétérogène de tous ceux qui exercent leur libre expression n’a pas échappé à la magistrature suprême. Comment l’autorité judiciaire pourrait-elle reconnaître une immunité constitutionnelle à des « journalistes », sans pouvoir déterminer qui appartient véritablement à cette catégorie indéfinie de professionnels ?

Par ailleurs, il ne suffit pas aux policiers de déceler la fissure leur permettant d’obtenir une autorisation judiciaire de fouiller dans les ordinateurs et téléphones de journalistes ou d’obtenir des informations liées à leurs communications privées.

En somme, ce sont les faits sous-jacents à une enquête criminelle qui déterminent l’application d’une immunité ponctuelle, appréciée au cas par cas. Il incombe au juge sollicité d’être convaincu que l’intrusion policière est essentielle à l’intégrité de l’administration de la justice. Bref, il doit s’agir d’enquêter sur un crime grave et non pas une broutille servant de prétexte pour intimider les journalistes.

Le rôle du juge

Un communiqué diffusé par la Cour du Québec énonce que les juges de paix magistrats décident des demandes d’autorisation judiciaires « en appliquant aux informations factuelles contenues aux dénonciations policières les règles de droit applicables ». S’agissant de valider une exceptionnelle intrusion dans la vie privée d’un journaliste, cette affirmation est troublante. Plus qu’un simple lecteur atone, le juge doit être interventionniste.

Les citoyens doivent être protégés contre les enquêtes policières menées à l’aveuglette. Gardien de la primauté du droit, un juge n’est pas un tampon encreur : il ne doit jamais rendre mécaniquement une ordonnance judiciaire.

Autrefois, toute forme d’interaction entre le juge et le policier était prohibée. L’époque du magistrat sphinx est révolue. L’interaction est impérative : le juge ne doit jamais hésiter à questionner le policier, à discuter des faits exposés, à demander un complément d’information ou à circonscrire la portée de l’autorisation demandée qui lui semble trop large, imprécise ou répétitive.

Bien sûr, les juges de paix magistrats sont indépendants. Cela exprime un idéal qui traque toute forme de soumission, de complicité ou de complaisance du juge. En vérité, sa légitimité dépend plus de sa stature que de son statut juridique.

En somme, un juge n’est pas un superviseur d’enquête policière. Vigile de la Constitution, il contrôle l’action gouvernementale. Il doit impérativement réfréner les excès de conduite de la police. Au quotidien, l’environnement de proximité entre les juges de paix magistrats et la police assombrit l’exigence constitutionnelle d’impartialité. Raison de plus pour eux d’être vigilants.

Préoccupations politiques

Faisant chorus, des élus ont promptement fait valoir leur « préoccupation » face à la déveine du journaliste Patrick Lagacé. Le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, s’affaire à scruter les directives policières. Attendons sa reddition de compte.

L’opposition officielle (Véronique Hivon) réclame une loi sur la protection des sources journalistiques. De quelle loi parle-t-on ?

L’Assemblée nationale ne peut légiférer à propos du Code criminel. Limitée aux procédures civiles et aux lois pénales provinciales, une loi québécoise serait forcément incomplète. Seul le Parlement canadien pourrait resserrer les boulons des lois fédérales pour mieux protéger les sources journalistiques et la vie privée des journalistes.

Idéalement, le fédéral, les provinces et les territoires devraient simultanément adopter la même loi-cadre, afin de mieux protéger la liberté de la presse.
On peut toujours rêver…

Me Jean-Claude Hébert est un avocat criminaliste, professeur de droit et auteur québécois. Il a obtenu un baccalauréat ès arts (B.A.) du Collège Sainte-Croix en 1964, une licence en droit, en 1969, et une maîtrise en droit pénal de l'Université de Montréal, en 1982. Il est membre de la Chambre des notaires du Québec depuis 1970 et du Barreau du Québec depuis 1971.



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