La chronique de l’ABC Québec

Quand l’autre partie n’a pas d’avocat

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Stéphanie Parent

2016-11-17 10:15:00

37 % des causes entendues en 2011 comportaient une partie qui se représentait seule, selon une compilation du ministère de la Justice. Une formation revient sur ce sujet d’actualité…

L’honorable Daniel W. Payette
L’honorable Daniel W. Payette
Le phénomène des personnes qui se représentent seules au tribunal est de plus en plus fréquent / répandu. « Comme acteur du système judiciaire, nous sommes tous confrontés à des gens qui agissent seuls », affirme l’honorable Daniel W. Payette, juge à la Cour supérieure du Québec. Il sera d’ailleurs conférencier lors de la prochaine formation de la section de droit de la Santé intitulée Les personnes qui agissent seules devant la cour : défis et devoirs des acteurs judiciaires qui aura lieu le 1er décembre prochain.

C’est 37 % des causes entendues en 2011, tous domaines confondus, qui comportaient une partie qui se représentait seule, selon une compilation du ministère de la Justice. En matière familiale, cette proportion s’élevait à 43 %. Cette tendance s’observe également de manière importante en matière civile ainsi que, dans une moindre mesure, dans les cours de droit criminel. « Je reçois des personnes qui agissent seules presque tous les jours dans les salles à volume », illustre le magistrat.

Une problématique complexe

La plupart des personnes qui choisissent d’agir sans représentation le font par manque de moyen financier. Il arrive également que des justiciables bénéficient des services d’un avocat, sans que celui-ci ne les représente, et parviennent ainsi à respecter la procédure. D’autres agissent seuls en ce qui concerne les mesures préliminaires telles que les ordonnances de sauvegarde en matière familiale, mais sont représentés par un avocat pour le fond et les mesures provisoires.

Le manque de connaissances des personnes qui évoluent seules dans le système juridique leur fait vivre une grande insécurité. En conséquence, « elles peuvent donc être plus émotives, plus méfiantes et sensibles », indique le juge Payette. L’impatience ou la fermeture que pourrait manifester l’avocat de la partie adverse alimente cette méfiance. « Par la suite, cela crée des audiences très désagréables et chargées émotivement », ajoute le magistrat.

Mais que peuvent (et que doivent) faire les acteurs judiciaires lorsqu’une telle situation se présente? La réponse a été donnée dans la décision de la Cour d’appel Ménard c. Gardner. Ce jugement sera analysé lors de la conférence.

Devoir d’assistance du tribunal

Cette décision a ordonné la tenue d’une nouvelle audition, notamment parce que l’avocat de la partie représentée formulait des objections à répétition que le juge maintenait sans assister la personne non-représentée à formuler ses questions adéquatement. La personne qui se représentait seule a perdu, mais a pu interjeter appel. Cette décision explique le devoir d’assistance que le tribunal a envers les personnes qui se représentent seules.

« Il arrive que les avocats croient que l’on laisse faire la partie qui se représente seule, qu’on lui donne beaucoup de latitude, mais ils doivent faire confiance au juge dans le processus, dans son devoir d’assistance », insiste le juge Payette. Le magistrat admet que les devoirs et obligations des avocats envers le client et la cour dans ce contexte peuvent paraître contradictoires.

Le juge Payette a d’abord été un avocat en litige et a souvent fait face à cette réalité, tant comme avocat que comme juge. C’est d’ailleurs lui qui a, comme avocat, demandé à la Cour supérieure de déclarer, à deux reprises, Valery Fabrikant, l’auteur de la fusillade de l’Université Concordia de Montréal en 1992, plaideur quérulent. « Il ne faut pas confondre les plaideurs quérulents, dont le comportement est pathologique, avec les personnes qui agissent seules par manque de ressources, explique le juge Payette. Dans tous les cas, il faut ne pas nuire à l’autre partie et garder une attitude respectueuse. »

« Il ne faut pas faire abstraction du fait que l’autre partie se représente seule, car si on ne s’adapte pas, on cause des problèmes », ajoute le juge Payette. L’avocat de la partie adverse doit donc trouver un équilibre en évitant de nuire à l’autre partie sans pour autant prendre sa défense.

L’impact des avocats

Les avocats ont également beaucoup d’impact sur la longueur des procédures dans ce type de situation, selon le magistrat. Il leur recommande donc, s’ils se retrouvent dans ce type de situation, de :

  • rester proactifs et coopératifs, par exemple en fournissant les formulaires nécessaires à l’autre partie;

  • * tenter d’aider le processus et ne pas être rigoristes en matière de procédure;
  • demeurer transparents.


Selon le magistrat, cette attitude permet de réduire le climat de méfiance qui peut s’installer du côté de la partie qui agit sans représentation. « Travailler dans la confiance, ça sert le client de l’avocat lui-même, souligne-t-il. Quand on prend le temps de faire les choses, il y a moins de motifs d’aller en appel par la suite. »

Enfin, la conférence permettra aux participants d’avoir une meilleure compréhension de ce phénomène auquel tous les acteurs judiciaires seront éventuellement confrontés. Ils en tireront des outils et des manières de gérer la situation. Le juge Payette invite donc les juristes à venir lui poser leurs questions : « Je m’attends à ce que les gens interagissent lors de la conférence. »

Pour vous inscrire à la formation « Les personnes qui agissent seules devant la cour : défis et devoirs des acteurs judiciaires », cliquez ici.
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2 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 7 ans
    Ce qui m'enrage
    On est en train de faire payer à celui qui se représente par avocat, le choix de celui qui ne se représente pas par avocat. Tout est plus long et plus compliqué car le justiciable ne comprend rien. Ce n'est pas aux avocats de conseiller le justiciable qui se représente seul, je suis désolé. Si le gouvernement a une attitude de laisser-faire il n'appartient pas aux avocats de prendre sur eux et sur leurs propres clients d'aider la partie adverse.

    Le pire dans tout cela est que l'avocat trop serviable risque en outre de se trouver à devoir témoignager dans un jeu de "he said she said" si la partie adverse invoque des niaiseries dans le cadre des communications. L'avocat a donc une exposition en responsabilité professionnelle envers son client dans tout ceci.

    Il semblerait que ces considérations ne soient pas prises en compte en cette période d'angélisme judiciaire. Si je choisis de m'opérer moi-même je dois vivre avec les conséquences de mon choix.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 7 ans
      Angélisme judiciaire!
      Quelle belle expression, qui colle tellement bien à ces beaux parleur payés $250k+ et qui nous demandent de faire du pro bono.

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