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La Cour supérieure poursuit les deux gouvernements!

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Julien Vailles

2017-07-19 15:30:00

Dépossédés de leur compétence ''rationae materiae'', les juges de la Cour supérieure contestent celle de la Cour du Québec et réclament un jugement déclaratoire...

Jacques R. Fournier
Jacques R. Fournier
Les pouvoirs attribués par le gouvernement provincial à la Cour du Québec violent-ils la Loi constitutionnelle de 1867? C’est en effet la question qui tue, car on la pose depuis près de 100 ans. Les juges de la Cour supérieure, l’Honorable juge en chef Jacques R. Fournier en tête, poursuivent, en Cour supérieure, la Procureure générale du Québec et la Procureure générale du Canada, en quête d’un jugement déclaratoire pour enfin trancher l’affaire.

Les avocats sur le dossier seront William J. Atkinson, ainsi que deux juristes de Langlois Avocats, Sean Griffin et Véronique Roy.

Mes William J. Atkinson, Sean Griffin et Véronique Roy
Mes William J. Atkinson, Sean Griffin et Véronique Roy
La question posée a deux volets. D’une part, les juges contestent le fait que la Cour du Québec puisse avoir une compétence « exclusive » en civil, ainsi que le seuil de 85 000 $ qui lui est attribué. En effet, le nouveau Code de procédure civile fixe à 85 000 $ la barre en dessous de laquelle la Cour du Québec a compétence absolue pour entendre les litiges civils. Une disposition prévoit également l’indexation de ce montant, mais celle-ci n’est pas encore en vigueur.

D’autre part, on en a contre le pouvoir de surveillance et de contrôle attribué à la Cour du Québec en certaines occasions.

Pourquoi est-ce à ce moment-ci, dans un contexte « post-Jordan », où les tribunaux sont engorgés et le système de justice presque paralysé, que les juges décident de soumettre cette question à la Cour?

« Il s’est toujours agi, et il s’agit encore d’une question fondamentale. Plus que jamais, dans ce contexte, il faut savoir quel rôle doit avoir chacun des tribunaux, et quelles sont les ressources appropriées pour ceux-ci », explique l’ancienne bâtonnière et avocate Madeleine Lemieux, porte-parole du recours.


Compétence exclusive et concurrente

Pour comprendre, il faut revenir aux bases du système de justice canadien. Ainsi, la Cour suprême du Canada, ainsi que les cours d’appel et supérieures en place dans chaque province, relèvent de la prérogative du gouvernement fédéral. C’est donc le fédéral qui nomme, et qui paie, tous les juges de ces cours. À l’opposé, la Cour du Québec relève de Québec, qui nomme et paie les juges qui la composent.

Or, il est clairement établi – encore aujourd’hui – que la Cour supérieure, étant le tribunal de droit commun, doit entendre toutes les causes qui ne sont pas de la juridiction exclusive d’un autre tribunal. Et au moment de la Confédération, en matière civile et en première instance, seule la Cour de circuit possédait une telle compétence exclusive, soit pour les litiges n’excédant pas 200 $. Les juges de cette Cour étaient eux aussi nommés par le fédéral.

En 1869, la Cour de Magistrat, ancêtre de la Cour du Québec, a été créée par la législature québécoise. Ses juges, nommés par Québec, détenaient une certaine compétence concurrente avec la Cour de circuit, soit pour les litiges de 25 $ ou moins.

En 1922, la juridiction de la Cour de circuit a été suspendue dans les comtés et districts ou siégeait la Cour de Magistrat, ce qui a conféré à cette dernière une compétence exclusive dans les matières qui étaient autrefois du ressort de la Cour de circuit. En 1953, la Cour de circuit a finalement été supprimée au Québec. La combinaison des événements de 1922 et de 1953 a donc permis de transférer la compétence exclusive d’une cour de juridiction fédérale à une cour de juridiction provinciale. D’où la poursuite : on argue que ce transfert de pouvoirs est anticonstitutionnel.


Limite de 10 000 $

Me Madeleine Lemieux
Me Madeleine Lemieux
Au fil des ans, le montant maximal pour qu’un litige puisse être entendu à la Cour de Magistrat, puis à la Cour du Québec, a été progressivement indexé, jusqu’à atteindre 70 000 $ en 2002 et 85 000 $ l’an dernier. Donc, en attribuant une compétence exclusive à la Cour du Québec pour les litiges de moins de 85 000 $, le législateur québécois a violé la Loi constitutionnelle et a porté « atteinte au cœur de ce qu’est la Cour supérieure », écrit-on dans la demande en justice.

Les cours de juridiction fédérale ont donc compétence exclusive sur tous les litiges d’au moins 100 $ de 1867, clament les demandeurs. En dollars d’aujourd’hui, cela équivaut à 10 000 $. Quant à la Cour supérieure, elle aurait ainsi compétence exclusive sur tous les litiges de plus de 200 $, soit 20 000 $ de 2017.

Donc, la Cour du Québec ne devrait pas avoir compétence jusqu’à 85 000 $, mais bien jusqu’à 10 000 $, allègue-t-on. Et cette compétence pour les litiges de moins de 10 000 $ devrait être non pas exclusive, mais concurrente avec celle des cours de juridiction fédérale.


Pouvoir de surveillance et de contrôle

D’autre part, la Cour supérieure est de par sa nature investie d’un « pouvoir de surveillance et de contrôle » qui lui donne le droit de réviser les décisions d’ordre administratif, via le mécanisme de contrôle judiciaire.

Or, un certain pouvoir de surveillance et de contrôle est maintenant attribué à la Cour du Québec, dénoncent les juges. On pense notamment à des dispositions de la Loi sur la justice administrative ou de la Loi sur le courtage immobilier qui permettent d’en appeler à la Cour du Québec de décisions d’organismes administratifs.

Cela vient déposséder la Cour supérieure d’une partie de son pouvoir au profit d’une cour provinciale, ce que la Loi constitutionnelle de 1867 ne permet pas non plus, écrit-on dans la poursuite.


Renvoi à la Cour d’appel

Les demandeurs décochent par ailleurs une flèche au gouvernement du Québec. Ils ont maintes fois exhorté celui-ci à user de son pouvoir de demander un renvoi sur la question en jeu à la Cour d’appel, déclarent-ils dans la demande. En vain. Ils lui forcent à présent la main en procédant par requête en jugement déclaratoire.

Il faut donc croire que le débat sera plutôt tranché en Cour supérieure. Ironiquement, le juge qui aura à trancher la question doit être attitré au dossier par le juge en chef Fournier! Comment la chose est-elle possible?

« Quatre juges de la Cour supérieure, qui ont des compétences particulières en matière de droit public, ont été écartés des débats des juges de la Cour supérieure sur cette question. Le juge Fournier choisira donc l’un d’eux pour juger de l’affaire », explique Madeleine Lemieux.

À moins, bien sûr, que le Procureur général du Québec, en voyant cette poursuite contre lui, ne demande carrément le fameux renvoi à la cour d’appel pour que ce soit elle qui se prononce...
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23 commentaires

  1. incroyable
    incroyable
    il y a 6 ans
    Honteux
    Honte à la Cour supérieure dont l,attitude hautaine et corporatiste démontre qu'elle n'a rien à cirer de l'accessibilité de la justice pour les citoyens...dans des délais raisonnable..

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      Entièrement d'accord
      A moins d'une urgence extrême, c'est bien difficile de trouver un juge ces jours-ci dans les Palais de Justice. ...et les juges nous sermonnent sur l'accès à la justice.

      On attend actuellement 3 ans pour un procès à Montréal en Cour supérieure et 11 mois en Cour du Québec et ils en veulent plus!!! Honteux.

    • Avocat
      Avocat
      il y a 6 ans
      Rappel
      Mais pas une première. Nos juges n'avaient-ils pas déjà revendiqué la gratuité pour le stationnement avant de laisser tomber sous la pression de l'opinion publique?

  2. Legal Counsel
    Legal Counsel
    il y a 6 ans
    Well...
    Constitutionally speaking, I'm reasonably sure that the Superior Court has a strong case, on the merits.

    However, talk about bad timing! In a post-Jordan era, where delays are already ridiculous in Quebec and access to justice is severely limited, this is not the opportune moment to be raising this issue.

    On a side note, I wonder if this case will suffer the same long delays regularly faced by other actions brought before the Superior Court!

    And how can any Superior Court justice be expected to render judgement on this issue without at least the appearance of partiality? Could the Government just submit this question to the Court of Appeal and be done with it, for goodness' sake?!?

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      yes but
      "Constitutionally speaking, I'm reasonably sure that the Superior Court has a strong case, on the merits."

      Sadly this seems to have no bearing on the commentators on this site who rarely rise above the level of le Journal de Montréal.

    • Justicier
      Justicier
      il y a 6 ans
      réponse
      It's call the doctrine of necessity:

      Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.-É.), [1998] 1 R.C.S. 3, see par.4 and the following.

  3. Oyoyoy
    Oyoyoy
    il y a 6 ans
    Oyoyoy
    Sur un plan strictement juridique, voilà une cause intéressante depuis un moment.

  4. Lex
    Vivement un renvoi!
    Avec les délais actuels devant la Cour supérieure, je ne comprends pas pourquoi le gouvernement du Québec refuse de demander un renvoi à la Cour d'appel sur une question de droit constitutionnel qui à première vue semble légitime.

    Disons que ça serait l'occasion rêvée pour mettre de l'avant les nouveaux principes directeurs de la procédure civile et donner l'exemple aux justiciables. À moins que le gouvernement doute de la validité de sa position et souhaite faire traîner les choses en longueur. Ça ne serait pas la première fois.

  5. Joseph
    Joseph
    il y a 6 ans
    Shame
    Shame à la CS et vive le principe de l'indépendance judiciaire.

  6. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Daniel Jutras avait un avis intéressant sur cette question
    On verra si sa boule de cristal (favorable à la C.Q.) était bien alignée sur les astres, mais vu la nature éminenment politique de la question il est probable que l'issue sera d'abord décidé, hors de tout considération juridique, et que les arguments de droits seront modelés en conséquence.

  7. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Avis du professeur Jutras
    Cher anonyme, auriez-vous le lien vers l'avis du professeur Jutras? Je trouve la question très intéressante.

  8. MAJ
    Jurisconsulte
    Nous savons tous que la récusation peut être demandée en raison d'une crainte raisonnable de partialité de la part du juge ? Le bureau de Langlois Avocats qui maintenant représente la magistrature fédérale dans (pour) une cause qui leurs est semble-t-il à cœur, peuvent 'il aussi faire des représentations devant ces derniers ?

  9. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Juge et partie
    Des juges de la Cour supérieure qui vont soumettre un litige à un autre juge de la Cour supérieure sur la Cour supérieure. Ouf ! Un peu incestueux tout ça ?

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 6 ans
      Juge et partie
      Ouais monsieur ! On me s'enfarge pas dans les fleurs du tapis.

  10. Avocat
    Avocat
    il y a 6 ans
    Défense orale
    Des bons moyens de défense consigné oralement par écrit (en 30 lignes) vont régler le problème :

    La cour du Québec à compétence pour les motifs qui seront plus amplement exposés lors de l'audience.

  11. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Sur le plancher des vaches
    cela signifierait que les juges de la C.S. (parfois hautains qui regardent avec dédain les juges de la C.Q.) se retrouveraient à trancher des dossier qui sont actuellement de la compétence des petites créances! Ceci s'ajoute à la chambre de pratique en matière familiale (interminable). Bref, sur le plancher des vaches, cela signifie qu'un dossier de 100 000$ sera entendu dans les 5 ans du dépôt de la demande.

    L'histoire ne dit pas qui aura compétence pour les litiges entre 10 et 20 K?

    Donc: on réduit la compétence des petites créances à moins de 10K, et la CQ n'aura compétence qu'en matière de petites créances, et ensuite, la C.S. s'engorge de dossiers jet set dont la C.Q. n'a plus compétence pour juger.===text===

    • Avocat
      Avocat
      il y a 6 ans
      Des juges en surnombre
      De plus, la Cour du Quebec compte 306 juges et plusieurs d'entre-eux ne font en pratique que du civil. Ils seraientt en surnombre.

  12. anonyme
    anonyme
    il y a 6 ans
    décisions passées seraient invalides ?
    Est-ce qu'il serait possible de présenter un moyen préliminaire dès maintenant dans d'autres causes à l'effet que la décision de la Cour du Québec est ultra vires ? Il me semble qu'il y aurait urgence à agir rapidement pour éviter le dédoublement des débats.

  13. Me D
    Questionnement
    Sous le couvert de la constitution, cette procédure regrettable est en effet l’expression d'un problème qui semble relever plutôt d'une guerre de clocher.

    Qu’en est-il de l’intérêt de la justice dans la décision d’intenter cette procédure?

    Où ce débat conduira-t-il?

    Serons-nous dans l’obligation de procéder via l’une des procédures prévues visant à faire modifier la Constitution?

    Ce débat inutile coûtera tellement d’argent qu’on se questionne sur les motivations fondamentales de la Cour Supérieure.

  14. Legis
    Legis
    il y a 6 ans
    Réponses aux questions de Me. D
    Il me semble que les réponses aux questions posées par Me D sont limpides:

    Qu’en est-il de l’intérêt de la justice dans la décision d’intenter cette procédure?

    Corriger une violation à la constitution, qui aux dernières nouvelles est encore la Loi suprême du Canada et dont la protection est une priorité au niveau de l'intérêt public.

    Où ce débat conduira-t-il?

    Voir réponse précédente.

    Serons-nous dans l’obligation de procéder via l’une des procédures prévues visant à faire modifier la Constitution?

    Sans avoir lu la procédure, je pense que c'était la seule voie que le Québec pouvait prendre pour faire ce qu'il a fait, mais disons que c'est un peu trop tard et irréaliste. De plus, les gouvernements précédents ne pouvaient pas ignorer cette problématique et ont donc agi en pleine connaissance de cause.

    Ce débat inutile coûtera tellement d’argent qu’on se questionne sur les motivations fondamentales de la Cour Supérieure.

    Selon moi ce débat est loin d'être inutile (voir réponse A) et pourrait se régler en claquant des doigts si le gouvernement québécois acceptait de procéder par renvoi, ce qu'il semble s'obstiner à refuser, ce qui me porte à croire qu'il est au courant de la faiblesse de sa position.

    Bref, malgré ce que certains peuvent en penser, le Québec n'est pas encore un pays et ne peut pas faire ce qu'il veut au plan constitutionnel. Une situation comme celle là ne devrait pas être tolérée, point!

  15. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    LOL
    Humour involontaire, puissance 10 000 !!

  16. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Le jeune Grondin
    Belle et rapide réaction de notre jeune bâtonnier, par communiqué:

    1- Chers juges de la CS, c'est pas idéal comme timing.
    2- Comme c'est déposé, renvoyons le tout rapidement en Cour d'appel.
    3- Le Barreau ne commentera pas sur le fond.

    Bravo.

  17. Anonyme
    Anonyme
    il y a 6 ans
    Comment allonger encore plus les délais...
    Remarque entendue d'un juge de la Cour Supérieure (Mtl):
    - "La Cour n'a ni le temps ni les ressources d'entendre votre gestion d’instance contestée. Allez vous parler et revenez dans 2 mois..."

    Remarque entendue d'un juge de la Cour du Québec (Mtl):
    - "Vous pourrez avoir une date de procès au mois de novembre....de cette année, bien sûr."

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