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« Les avocats sont les seuls à ne pas avoir compris qu'ils coûtent trop cher »

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Jean-francois Parent

2018-01-19 13:15:00

Il y a trop d’avocats pour ceux qui peuvent s'en payer, et pas assez pour ceux qui ne le peuvent pas...

Le chroniqueur Mark Cohen, du magazine Forbes
Le chroniqueur Mark Cohen, du magazine Forbes
Ce que valent vraiment les services d'un avocat est une question d'autant plus pertinente que la profession évolue en dehors des règles normales du marché.

C'est du moins ce que plaide le chroniqueur Mark Cohen, du magazine Forbes. « Le fait que les avocats opèrent selon une logique de guilde, et non selon les règles de la concurrence, est la raison première pour laquelle les avocats coûtent si cher », écrit Mark Cohen.

Il n'est pas le premier venu : ex-adjoint du procureur général des États-Unis, associé directeur et fondateur de la boutique litige Mark A. Cohen & Associates, il est présentement Fellow à la Pritzker School of Law à l'Université Northwestern.

Une guilde, rappelons-le, est une association professionnelle de personnes pratiquant une activité commune, qui militent pour des règles et des privilèges spécifiques, protégés par l'État.

Ainsi, contrairement aux autres industries, le droit facture sans pourtant garantir des résultats, et facture d'ailleurs de plus en plus cher malgré qu'il y ait de plus en plus d'avocats.

Et c'est cette mentalité de guilde qui afflige les avocats et les empêchent de se rendre à l'évidence : « les avocats sont les seuls à ne pas avoir compris qu'ils coûtent trop cher », et que leurs tarifs sont sans commune mesure avec la valeur réelle des services rendus.

Plus de concurrence des «non-avocats»

C'est que le marché des services juridiques a changé : l'ère numérique, notamment, rend l'expertise juridique de moins en moins exclusive aux seuls avocats, et la concurrence féroce existant dans la prestation de services juridiques -gestion documentaire, recherche, rédaction, etc.- forcent les cabinets à revoir leur modèle d'affaire.

Sauf que le vieux réflexe demeure : « Les avocats continuent de croire qu'ils sont les seuls à faire ce qu'ils font, et le système professionnel en place, dont la rigidité est un prétexte pour ''protéger'' les consommateurs contre les filous, mine l'innovation », soutient Mark Cohen.

Les avocats résistent aux changements qui leur permettrait d'augmenter leur efficience dans la prestation de service, de réduire leurs coûts d'opération et ainsi rendre leurs services plus accessibles. Et ce, parce que « la culture juridique est ancrée dans les précédents, et non dans l'innovation ».

Pourtant, « le marché juridique passe d'un paradigme où seuls les avocats offrent des services spécialisés à une offre numérique où l'expertise juridique s'appuie sur des technologies qui font le travail mieux, plus rapidement et à moindre coût », poursuit Mark Cohen.

Résultat : les clients, qui déterminent de plus en plus par eux-mêmes ce qui constitue un problème juridique et ce qui requiert les services d'un avocat, sont de plus en plus réticents à payer des honoraires importants pour toutes les tâches d'un avocat. Rédiger des correspondances, faire de la recherche, négocier un règlement ou plaider devant un juge ne s'équivalent pas.

« Dans un marché de plus en plus segmenté, les clients vont sortir leur chéquier pour des services spécialisés, mais pas pour des services juridiques. En d'autres mots, la pratique est en baisse tandis que la distribution de produits et services juridiques est en hausse. »

Les clients en veulent pour leur argent

Le modèle traditionnel, qui repose sur les heures facturées et l'apport de nouveaux clients, ne tient aucunement compte de ce qui se passe dans le vrai monde, alors que le prix d'un service est fonction des résultats finaux. Et de sa valeur.

Les clients veulent en avoir pour leur argent, ce dont peu de cabinets se préoccupent, déplore Mark Cohen.

Au cœur de cette inaptitude à s'adapter aux règles du libre marché, on trouve le modèle traditionnel d'association : au contraire d'une entreprise, aucune mesure n'incite les associés d'un cabinet à réinvestir du capital dans l'innovation, la productivité, l'avantage concurrentiel. « Les vieux cabinets n'ont pas d'incitatifs à investir dans l'avenir de la firme, et cela creuse le fossé générationnel avec les plus jeunes associés, en plus de décourager l'innovation », observe Mark Cohen.

Il appelle la profession à s'adapter : les avocats doivent réduire leur cycle de production, rationaliser leurs opérations, réduire leurs coûts, respecter les budgets, proposer des outils pour remplacer certains services, et ils devront automatiser leurs processus.

« Ils seront rémunérés en fonction de l'atteinte de ces objectifs, et non plus en fonction des heures passées. »

C’est ce que les clients veulent. Et c'est ce qui rendra la justice accessible au plus grand nombre, conclut Mark Cohen.
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4 commentaires

  1. Me
    Réflexion pour nous tous dans cette profession mercantile
    Les hommes qui perdent la santé pour gagner de l’argent
    et qui, après, dépensent cet argent pour récupérer la santé.
    À penser trop anxieusement au futur, ils en oublient le présent,
    à tel point qu’ils finissent par ne vivre ni au présent ni au futur.
    Ils vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir et
    meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu.
    Dalaï Lama

  2. Sahalor
    Sahalor
    il y a 6 ans
    Lawyer bashing encore une fois
    Je suis devenu avocat en 1990. Je me revois très bien dans le bureau que j'occupais alors dans un petit cabinet de la rue St-Jacques. Et je me souviens que ce refrain 'c'est la faute aux avocats si ça coûte si cher' était déjà vieux. Et il n'était pas chanté pas les moindres de la société. Même le juge en chef d'alors aimait l'entonner.

    Vous voulez du droit pas cher? Eh bien, c'est possible...si vous êtes prêts à y mettre le prix.

    En premier lieu, abolissez le code de déontologie et les articles de loi qui interdisent à un avocat de limiter sa responsabilité professionnelle. Comme ça, le client qui voudra "juste un petit contrat pas compliqué, pas trop long, juste une page" pourra se voir exhaussé, sans que l'avocat ait à craindre de se voir poursuivi parce que franchement c'est pas possible de tout prévoir une seule foutue page. La responsabilité complète et incontournable des avocats est justement l'un des facteurs qui font que nos services coûtent si cher. Vous voulez du cheap, assumez ce qui vient avec.

    Mais il serait aussi possible de réduire le prix exigé par les entrepreneurs privés que sont les avocats en faisant des investissements dans la partie du système qui relève des tribunaux et de l'administration de la justice. Mettez partout des systèmes permettant les vidéo conférences et permettez que toutes les représentations devant la cour qui n'impliquent pas l'interrogatoire de témoins se fassent de cette façon. Vous éliminez ainsi le temps (des avocats) perdu à attendre son tour aux palais de justice de la province. Au lieu d'être immobilisé pendant des heures pour un temps de représentations de quelques minutes, l'avocat pourrait rester à son bureau et travailler sur d'autres dossiers en attendant que la communication soit établie. Il n'aurait alors qu'à facturer son client pour la véritable valeur ajoutée qu'il fournit à son client.

    Une opinion juridique coûterait bien moins cher si les tribunaux étaient plus friands de réponses mathématiques. Combien vaut un membre coupé? À combien de semaines de préavis a droit un employé de 10 ans d'expérience? Vous le savez, la Cour suprême et dans son sillage les cours inférieures, sont allergiques aux réponses faciles. Tout dépend d’un ensemble de facteur dont aucun n'est plus important que les autres, etc. Je ne discute pas le fondement juridique d'une telle approche, mais comment dans ce contexte reprocher à des avocats de ne pouvoir garantir un résultat???

    Je pourrais continuer pendant des heures. Ce qu'il faut retenir c'est que y en a marre de servir de bouc émissaire à tout un système de justice qui a besoin d'évoluer. Les avocats sont prêts à faire leur part. Ils n'ont pas toutefois à accepter de devenir du cheap labour.

    • AC
      Bons points
      Vous apportez des points très intéressants. Le fait que la responsabilité des avocats soit très large fait en sorte qu'on veuille protéger nos arrières. Qui pourrait nous blâmer?

      Le système archaïque qui entoure les représentations devant les tribunaux coûtent une fortune aux clients. Temps qui pourrait être mieux utilisé...

      Quyand les clients arrivent avec "quelque chose qui ne devrait pas prendre plus que 30 minutes," faut se préparer pour faire un reality check.

      Peut-être que les avocats devraient regarder dans la glace et revoir leurs pratiques commerciales; mais on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Dans ce milieu ou, quoi qu'on en dise, l'intelligence artificielle ne peut encore tout faire mieux, le travail de qualité prend du temps. Et le temps, c'est pas gratis.

  3. Justiciable Informée
    Justiciable Informée
    il y a 6 ans
    Membre du Barreau
    Tout à fait d'accord avec cette analyse. Merci pour cet article. Je suggère de faire un article sur la résistance de certains avocats à respecter les nouveau code de procédure civile.

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