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« Le courage n’abonde pas à la Cour suprême »

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Jean-francois Parent

2018-08-31 14:30:00

L’ex-juge Claire L’heureux-Dubé est au centre d’une biographie lapidaire sur les coulisses du plus haut tribunal du pays.

L'ancienne juge de la Cour suprême Claire L'Heureux-Dubé
L'ancienne juge de la Cour suprême Claire L'Heureux-Dubé
Lorsque qu’un juge albertain l’accuse publiquement d’être responsable du haut taux de suicide des hommes au Québec, Claire L’Heureux-Dubé, alors juge à la Cour suprême du Canada, s’attend à ce qu’on la défende.

La fonction après tout, vient d’être attaquée. Comme jamais elle ne l’avait été.

Mais le juge en chef de la Cour suprême, Antonio Lamer, refuse de prendre le parti de la deuxième femme à avoir accédé au plus haut tribunal du pays.

Le livre Claire L'Heureux-Dubé : une vie.
Le livre Claire L'Heureux-Dubé : une vie.
« Le courage n’abonde pas dans les couloirs de notre tribunal », écrit-elle dans ses notes personnelles, publiées récemment dans une biographie recensée par le quotidien Globe and Mail.

La magistrate, aujourd’hui nonagénaire, a donné un accès libre à ses notes et à sa correspondance à l’historienne juridique Constance Backhouse, qui vient de publier ''Claire L’Heureux-Dubé : Une vie'', résultat de sept années de recherches et d’entrevues.

Cet épisode survenu en 1999 est un parmi d’autres que l’on peut lire dans l’ouvrage de 750 pages, publié plus tôt ce printemps.


Ajouter l’insulte à l’injure

La Cour suprême vient alors d’infirmer un jugement de la cour d’appel albertaine, dans le lequel le juge John McClung acquitte un homme poursuivi pour viol. La jeune victime de 17 ans n’avait qu’à ne pas aller le voir chez lui légèrement vêtue, écrit le juge McLung en substance. Un bon coup de pied aux parties serait plus approprié qu’une condamnation, juge la Cour d’appel albertaine.

La Cour suprême tranche à l’unanimité et invalide le jugement albertain. Mais Antonio Lamer ne veut pas laisser la juge L’Heureux-Dubé rédiger l’opinion majoritaire. Cette dernière passe donc la nuit à rédiger une opinion concurrente « avec rage », dénonçant férocement les préjugés du juge McLung concernant les agressions sexuelles.

Opinion cosignée par son collègue sur le banc Charles Gonthier.

L'ex juge en chef de la Cour suprême Antonio Lamer
L'ex juge en chef de la Cour suprême Antonio Lamer
C’est ce qui a incité le juge McLung à attaquer Claire L’Heureux-Dubé de front. Lorsqu’elle demande au juge en chef Lamer de prendre sa défense, ce dernier refuse. Incitant la juge L’Heureux-Dubé à écrire à ses collègues pour dénoncer la situation, rappelant au passage que le juge en chef de la Cour suprême israélienne n’avait pas hésité, lui, à défendre son tribunal.

Dans sa réponse à la missive, Antonio Lamer dit déplorer que Claire L’Heureux-Dubé soit « injuste » avec lui.

D’où le passage sur le manque de courage de ses collègues, qu’elle qualifie de « couardise ».


Une biographie personnelle

En levant le voile sur les coulisses du plus haut tribunal du pays, la biographe de Claire L’Heureux-Dubé, qui est titulaire de la Chaire sur le droit des agressions sexuelles à l’Université d’Ottawa, dit vouloir offrir un regard plus personnel sur le processus judiciaire.

Au Globe and Mail, qui l’interviewe dans le cadre de la publication de la biographie de Mme L’Heureux-Dubé, elle explique que la Cour suprême a été au centre de changements fondamentaux dans la société canadienne. Malgré cela, les historiens évitent de parler de la personnalité des juges, et de ce qui les anime dans leur pensée juridique.

« Allons-nous finir par admettre que les jeux politiques personnels ont un impact sur les jugements rendus?, demande Constance Backhouse au quotidien torontois. On prétend que ça ne joue pas. Je pense au contraire que ça joue toujours, mais c’est subtil, plein de non-dits. »


Une grande magistrate

Au front des grandes décisions juridiques sur les droits des femmes et des minorités, Claire L’Heureux-Dubé a eu une vie personnelle mouvementée. Le suicide de son mari alcoolique dans les années 1970, la mort de son fils, aux prises avec de graves problèmes de drogue, dans les années 1990, elle s’est toujours relevée.

Nommée en 1987 par Brian Mulroney, elle a quitté la Cour en 2002, après 15 ans.

Reconnue pour son attitude de fer envers le crime et les criminels, Claire L’Heureux-Dubé dit n’avoir pas été influencée par les multiples problèmes de son garçon, qui est mort des suites d’une infection contractée en prison.

Plutôt, elle dit avoir toujours eu à cœur le sort des victimes, utilisant son bon sens dans ses décisions.

La biographe a passé une trentaine de jours pendant 10 ans avec son sujet, laquelle lui a donné accès à toute sa correspondance et à ses notes échangées avec les autres juges de la Cour suprême. Mais la biographie est « non autorisée », puisque Claire L’Heureux-Dubé n’a pas eu un droit de regard sur le contenu du livre.

Un livre qui changera la donne quant à la façon dont le public voit le système de justice, estime le Globe and Mail.


Pour en savoir plus :


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10 commentaires

  1. Me X
    Bilan
    Mme La Juge L'Heureux-Dubé parle de la personnalité des Juges et du caractère politique de la Cour.

    Personnellement, je n'ai pas souvenir d'une seule, pas une seule, décision conservatrice dans ce millénaire, je parle d'une décision qui aurait montré un petit biais conservateur (environ 30-35% de la population est conservatrice), alors que les décisions libérales parfois d'Activisme judiciaire sont légions. Je regarde les Juges que Haper a nommé et je ne comprends pas trop ce qui s'est passé.

    Par exemple Mme la Juge a sa grande part de responsabilité dans la direction où est allée le droit familial dans les années 90, menant à des situations ou des personnes tirent grandement avantage d'un divorce pour s'enrichir. Donc elle avait elle aussi certains biais, pourquoi dénonce t'elle cela?

    Bref, un bilan mitigé.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 5 ans
      re bilan
      "je n'ai pas souvenir d'une seule, pas une seule, décision conservatrice (...) alors que les décisions libérales parfois d'Activisme judiciaire sont légions"

      La décision n'est pas conservatrice ou libérale, elle reflète l'état du droit au Canada fondée notamment sur l'interprétation des lois applicales, incluant les chartes.

      Cette tentative de discréditer la décision en utilisant un vocable calqué de nos voisins du sud ("décisions libérales parfois d'Activisme judiciaire") est réducteur et fait abstraction de ce fait et laisse croire que ce n'est pas "le droit au Canada", mais plutôt une interprétation de celui-ci.

      Plus souvent qu'autrement les gens qui ont votre opinion et utilisent ces termes arrivent à cette conclusion en se fondant sur le résultat qu'ils ne supportent pas et en faisant complètement abstraction de l'analyse y ayant mené. C'est paresseux, malhonnête et contraire à notre enseignement de juriste.

      Les gens qui chailent contre ces décisions sont ceux qui auraient à une autre époque refusé le droit de vote aux femmes. Faudra s'y faire, le monde évolue, faudrait rattraper le caroussel qui vous laisse derrière.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 5 ans
      les Juges que Haper a nommé ... je ne comprends pas
      C'est simple à comprendre: la pensée conservatrice actuelle n'est plus celle d'autrefois. Elle a rejoint la pensée libérale (qui elle non plus n'est plus ce qu'elle était) sur à peu près tous les sujets sociaux, pour former une doctrine appelée néolibéralisme.

      Regardez la saga Andrew Sheer vs Maxime Bernier. Dans son discours public Sheer est aligné sur les positions de Trudeau sur la question du multiculturalisme, et sur celle des cousins britanique May & Cameron, qui à la tête de "Torys" supposément conservateurs auront injecté au Royaume Uni une dose massive de cette portion toxique.

    • Me X
      Réplique: bilan
      Les cours suprêmes sont politisées dans tous les pays du monde.

      Ce n'est pas paresseux, malhonnête ou contraire à notre enseignement de juriste que de dire ça.

      Je ne dirais pas que vous êtes niais de penser qu'il n'existe aucune politique quant les Juges interprêtent les lois du Canada ou les Chartes, même si on pourrait penser ça.

      Vous parlez du droit des femmes dans votre dernier paragraphe, je peux voir que vous êtes satisfait de l'orientation de la CSC sur les questions sociales c'est pas mon cas et je ne suis pas le seul. Le Caroussel d'ailleurs s'est détaché de son ressort et va n'importe où en passant. Ça fait longtemps que je pense que le droit à la pédophilie sera un jour ordonné par les cours et je pense voir cela de mon vivant facilement.

      Que voulez-vous la vie continue et on espère que ça change.

      Déjà la Juge Côté a de bonnes dissidences récemment et elle ne suit pas le groupe c'est un bon début.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 5 ans
      Crois-tu toujours au Père-Noël aussi ?
      Si l’état du droit au Canada était aussi objectif que ton commentaire suggère, on n’aurait pas besoin d’une Cour suprême, et encore moins d’un banc de neuf juges... et toutes les décisions seraient unanimes à part ça !

      L’idée que les juges ne font que constater l'état du droit sur un sujet X, plutôt que de le créer, est une fiction juridique que tu ferais bien de remarquer. Les juges prennent position sur ces questions et ils interprètent le droit pour ensuite appliquer cette interprétation. Leurs décisions peuvent très bien être qualifiées tantôt de conservatrices, tantôt de libérales, au sens *propre* de ces adjectifs et non pas au sens partisan.

      Sérieusement, déniaise-toi car même si tu pourrais être un avocat chevronné pour autant que je sache, ton discours en est un de première année de bac (voire de première semaine).

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 5 ans
      OK
      "Vous parlez du droit des femmes dans votre dernier paragraphe, je peux voir que vous êtes satisfait de l'orientation de la CSC sur les questions sociales c'est pas mon cas. (...) Ça fait longtemps que je pense que le droit à la pédophilie sera un jour ordonné par les cours "

      Je suis cureiux, est-ce que par votre commentaire vous croyez vraiment que les femmes sont trop libres? Ou est-ce que vous êtes conservateur seulement sur les positions plus actuelles? Si oui, quels droits? Droit de vote? Accès aux professions? Contracter? Égalité? Vous voulez qu'elles retournent aux fourneaux?

      J'ai connu des gens qui avaient de tels propos sur la pédophilie. Sans tomber dans la caricature, on peut deviner d'autres prises de position: problèmes avec la légalité de l'homosexualité et autres modes de vies alternatifs etc. N'est-ce pas?

      Deux constats: Aucune surprise que vous estimiez ne pas avoir vu de décisions conservatrices, ça en prendrait beaucoup pour satisfaire cette qualification selon vos critères. Je peux comprendre que voyiez une dissonance importante entre vos positions et celles de la Cour suprême (avec chartes etc) et de la majorité canadienne.

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 5 ans
    DSG?
    She clearly suffered from the addiction issues of people close to her: "Le suicide de son mari alcoolique dans les années 1970, la mort de son fils, aux prises avec de graves problèmes de drogue,"

    Nothing to do with bad luck, I guess that she wasn't responsible like you!

  3. Me
    La réponse d'Antonio Lamer...
    ...va se faire attendre, puisqu'il est décédé en 2007. Je n'aime pas beaucoup l'idée de casser du sucre sur le dos des morts.

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 5 ans
      Bonne décision de Lamer !
      "Lorsqu’elle demande au juge en chef Lamer de prendre sa défense, ce dernier refuse."


      L'image d'une Cour doit se forger par des décisions suscitant considération chez ses lecteurs, et non par des interventions publiques dans lesquelles des juges (ou d'autres) exigeraient une déférence que commanderait leur fonction (qui est la vision codifiée par le barreau dans le c.d.a.).

  4. Anonyme
    Anonyme
    il y a 5 ans
    Je ne comprend pas Madame la Juge
    Je pense que Madame a beaucoup de courage et des opinions fortes- mais je ne comprends pas pourquoi elle a besoin de défense? Mais c'est sans importance car la décision du Juge Lamar etait, selon moi, la bonne. Il ne s'agit pas un parti politique, d'un ordre professionnel ou d'une compagnie mais bel et bien d'une cour de justice. Au contraire - la decision du juge de la cour d'Israel est plus troublante.

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