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Une criminaliste blâmée pour une «blague» sur un juge!

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Céline Gobert

2018-12-04 15:00:00

Un message publié dans un groupe Facebook lui vaut les foudres du Conseil de discipline du Barreau du Québec.

Me Véronique Robert a publié dans un groupe Facebook un message qui lui vaut aujourd’hui les foudres du Conseil de discipline du Barreau du Québec.
Me Véronique Robert a publié dans un groupe Facebook un message qui lui vaut aujourd’hui les foudres du Conseil de discipline du Barreau du Québec.
«J’ai toujours su qu’il n’allait pas bien, mais cette fois-ci, le Conseil de la magistrature doit demander un examen psychiatrique.»

Voilà ce qu’a écrit en mai 2016 la criminaliste Véronique Robert sur une page privée Facebook regroupant environ 400 membres et intitulée «Amis criminalistes».

C’est ce message qui lui vaut aujourd’hui les foudres du Conseil de discipline du Barreau du Québec qui a statué, dans une décision rendue le 22 novembre 2018 et d’une longueur de 65 pages, que la juriste avait fait preuve d’un «écart de conduite suffisamment important pour constituer une faute déontologique.»

Dans cette affaire, Me Robert est représentée par Me Jacques Larochelle. Elle témoigne qu’il s’agit d’une blague, exprimée sur une page Facebook d’un groupe privé, dans l’attente raisonnable de confidentialité, comme on peut le lire dans la décision dont Droit-inc a obtenu copie.

Le plaignant est Nicolas Bellemare, syndic adjoint du Barreau du Québec.

Étant donné que la décision sur culpabilité a été signifiée à Me Robert mercredi 3 décembre, celle-ci peut désormais être rendue publique.

Code de déontologie

Selon la décision, la conduite de Me Robert, membre du Barreau depuis 2001 et pratiquant en droit criminel chez Roy Robert Avocats, contrevient à l’article 111 du Code de déontologie.

« Il s’agit d’un défaut de soutien de l’autorité des tribunaux, peut-on y lire. Le plaignant s’est aussi déchargé de son fardeau de prouver que l’intimée a agi de façon dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la profession, contrevenant ainsi à l’article 59.2 du Code des professions.»

La question en litige était la suivante : Est-ce que l’intimée a manqué à son obligation de servir la justice et de soutenir l’autorité des tribunaux en publiant sur la page Facebook du groupe « amis criminalistes » des propos concernant l’état de santé mentale d’un membre de la magistrature?

Le Conseil considère que ce débat est relativement «stérile».

Selon lui, les avancées de la technologie qui facilitent l’organisation de discussions en ligne ne peuvent servir à légitimer une conduite «intrinsèquement inappropriée».

«Il va de soi qu’il serait choquant d’apprendre qu’un avocat a pris la parole devant 400 avocats réunis pour s’entraider dans la pratique du droit criminel en défense, pour déclarer qu’un magistrat doit subir un examen psychiatrique, même si les 400 avocats étaient réunis dans un endroit où le public n’est pas invité.»

Le fait que l’endroit soit Facebook n’y change rien, selon le Conseil.

Défense

Pour Me Robert, toute la question tourne sur la dichotomie entre le public et le privé. Si ses propos ont été faits dans le cadre d’une discussion privée, le Conseil ne peut intervenir, selon elle.

Le fait qu’il y ait eu un délateur ne fait pas en sorte que cela devienne une infraction, avance-t-elle.

De plus, selon Me Robert les normes déontologiques doivent être prévisibles pour donner lieu à une infraction.

Cela suffirait à l’exonérer, toujours selon ce qu’on peut lire dans la décision, quitte à préciser dans la décision que dans le futur, un professionnel n’est pas à l’abri d’une déclaration de culpabilité pour une telle infraction si jamais il s’exprime de cette manière dans un forum de cette nature.

Notons, comme indiqué dans la décision, que certains membres du groupe Facebook parlent de «trahison» faite par un membre. Cette réaction corrobore la nature privée du groupe, poursuit-t-elle dans sa défense.

Enfin, la criminaliste plaidait que cette situation nouvelle ne se retrouve pas dans la jurisprudence.

Le Conseil pas d’accord

Le plaignant, Nicolas Bellemare, syndic adjoint du Barreau du Québec.
Le plaignant, Nicolas Bellemare, syndic adjoint du Barreau du Québec.
Les propos émis par Me Robert ne relèvent pas simplement de la critique acérée, peut-on lire dans la décision.

« Il s’agit d’une insulte grave et préjudiciable à l’endroit du juge en question qui le vise personnellement au niveau de sa santé mentale.»

Le groupe « Amis criminalistes » est un groupe « privé » dans le sens que les membres peuvent s’y joindre par invitation. Toutefois, cela ne fait pas en sorte que les commentaires émis dans le cadre de conversations sur la page Facebook de ce groupe le soient, estime le Conseil dans sa décision.

« Au moment où l’intimée partage ses propos, le groupe « Amis criminalistes » est composé de 400 membres. Ce nombre rend toute expectative de confidentialité illusoire. »

Par ailleurs, le groupe « Amis criminalistes », bien que « privé », n’avait pas le statut « secret ».

Deux autres chefs

Le Conseil de discipline du Barreau a aussi déclaré Me Robert coupable d’avoir manqué de respect et de courtoisie à un procureur dans une salle d’audience, en le traitant de «menteur».

Selon le Conseil, elle aurait aussi manqué à son obligation d’agir avec honneur, dignité, respect, modération et courtoisie à l’égard de ses confrères, procureurs aux poursuites criminelles et pénales, en raison des allégations qu’elle avait tenues dans une Requête en arrêt des procédures ré-amendée.

Elle y évoquait notamment des «mensonges et entourloupettes», une «soif personnelle de pouvoir» ou encore une arrestation «grotesque», comme il est indiqué dans la décision du 22 novembre.

Le Conseil l’informera prochainement de sa sanction. Me Robert a maintenant 30 jours pour faire appel de la décision.

Contactée par Droit-inc, la criminaliste estime plus «sage» de s’abstenir de tout commentaire.
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10 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 5 ans
    Beaucoup de juges devraient commencer à s'inquiéter
    Car les propos qu'ils tiennent dans les couloirs d'accès restreint sont tenus dans un espace aussi restreint que les groupes Facebook privés...

  2. wtf
    Me
    Donc, toutes les conversations que j'ai avec d'autres avocats plaideurs concernant les pertes de temps administratives du système, la mise à jour inutile du CPC qui semble seulement changer les termes pour le plaisir ou le concept farfelu d'une défense verbale qui doit être écrite et mise au dossier... je risque l'ire du syndic?

  3. Pourrriez-vous m'indiquer où est la mesure?
    Pourrriez-vous m'indiquer où est la mesure?
    il y a 5 ans
    avocat
    «écart de conduite suffisamment important pour constituer une faute déontologique.»

    Le problème avec ce genre d'analyse est que les critères ne sont pas objectifs. Quelle que soit la "mesure" qui définit le concept de "suffisamment important", elle est appelée à changer constamment dans le temps, de personne à personne, et ainsi de suite. C'est là toute la difficulté avec l'article 59.2 du Code des professions et 111 du C de D.

    D'ailleurs, le raisonnement est très nébuleux alors que le comportement est jugé comme une conduite «intrinsèquement inappropriée», mais du même souffle ce comportement est jugé de suffisamment important pour constituer une faute déontologique. S'il est "intrinsèquement inapproprié", pourquoi est-il nécessaire de mentionner que c'est aussi un écart de conduite suffisamment important?

    Mais nous sommes avocats et avocates, et nous avons accepté de nous soumettre aux règles par notre serment (en autres). Si nous voulons rendre la déontologie plus prévisible (comme le droit criminel), alors il faut demander des changements soi-mêmes.

  4. Me2
    Liberté d'expression brimée par l'excès de zèle du syndic du barreau
    Je suis d'avis que le syndic fait preuve depuis toujours d'excès de zèle à défendre la magistrature contre les critiques des avocats. Cela s'explique probablement par le fait que la grande majorité de ceux qui gravitent autour du Barreau le font dans le but intéressé de devenir juges. Par ailleurs, les juges ne sont pas parfaits de sorte qu'il est tout à fait légitime de les critiquer. Et moins ils sont parfaits, plus on a droit d'être dur dans la critique. Par exemple, les statistiques montraient - il y a quelques années - que 60% des arrêts de notre Cour d'appel ont été renversés par la Cour suprême. Techniquement, cela veut dire que notre Cour d'appel s'est trompé cette année là dans 60% des arrêts qui ont été soumis à la Cour suprême. Pas reluisant, n'est-ce pas? La jurisprudence montre aussi qu'il y a des juges qui agissent de façon déraisonnable ou même manifestement déraisonnable. Que peut-on dire d'une tel juge selon le syndic?

    • Matt
      Cour suprême
      Je comprends votre commentaire mais je voudrais vous faire réfléchir à un point.

      " Par exemple, les statistiques montraient - il y a quelques années - que 60% des arrêts de notre Cour d'appel ont été renversés par la Cour suprême. Techniquement, cela veut dire que notre Cour d'appel s'est trompé cette année là dans 60% des arrêts qui ont été soumis à la Cour suprême. "

      Pour moi, cela sous-entends que vous considérez les juges de la Cour suprême comme étant infaillibles, ce qui va à l'encontre du reste de votre commentaire. Au niveau du droit et pour juger une cause, ils ont le dernier mot, mais philosophiquement parlant, ce ne sont pas des divinités juridiques.

      Quant pensez-vous?

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 5 ans
      liberté d'expression
      «J’ai toujours su qu’il n’allait pas bien, mais cette fois-ci, le Conseil de la magistrature doit demander un examen psychiatrique.»

      En tant qu'avocat, t'as des obligations déonto. Si tu veux insulter un juge de façon personnelle auprès de 400 avocats, ce faisant, minant l'autorité du tribunal (ça me parait évident) tu manques à ces obligations. C'est simple comme ça.

      Tu veux faire tous les commentaires que tu veux? Fais-le sans donner la preuve à 400 témoins et/ou sans être soumis à ces obligations.

    • Me2
      Infaillibilité
      Je sais que les juges de la Cour suprême ne sont pas infaillibles mais, en droit, ils ont le dernier mot et cela veut dire qu'ils ont raison et que les cour inférieures ont eu tort de ne pas avoir dit la même chose qu'eux. En droit positif, il importe peu qui a philosophiquement raison. Le juge qui n'a pas jugé de la façon dont la cour de dernière instance a dit qu'il aurait dû juger a commis une erreur et on doit pouvoir le critiquer et ce, même durement (quand il s'est trompé beaucoup).

    • Me2
      Manifestement déraisonnable
      Selon moi, les choses ne sont pas aussi simples que vous les voyez. Par exemple, une décision manifestement déraisonnable - et la jurisprudence nous en fait voir plusieurs qualifiées comme telles par les cours d'appel - est une décision qui, de façon manifeste, ne trouve aucun appui dans la raison, n'est pas rationnelle et est donc, de façon évidente - irrationnelle. Selon vous, pourrait-on dire tout en respectant ses obligations déontologiques que le juge qui a prise une telle décision avait - du moins momentanément - perdu ses esprits?

  5. Anonyme
    Anonyme
    il y a 5 ans
    les critères ne sont pas objectifs
    C'est ce qui arrive dans une société accro à l'indignation, et les tribunaux n'y échappent pas.

    à l'ère du "il est innaceptable que ...", il n'est plus nécessaire d'étayer quoi que ce soit.

  6. Anonyme
    Anonyme
    il y a 5 ans
    Copie décision
    Serait-il possible d'avoir accès à la décision en question, et ce afin que nous puissions la lire dans son entièreté.

    Merci beaucoup.

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