Entrevues

L’avocate qui secoue l’armée!

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éric Martel

2019-05-23 15:00:00

Première femme juge-avocate générale des forces canadiennes, elle s’est enrôlée à 18 ans. Retour sur un parcours hors du commun!

Me Geneviève Bernatchez, Première femme juge-avocate générale des forces canadiennes
Me Geneviève Bernatchez, Première femme juge-avocate générale des forces canadiennes
Une chose est certaine pour Me Geneviève Bernatchez : elle ne regrette aucun de ses choix.

« Des anciens de l’UdeM n’aiment plus leur pratique après 10 ans. Moi, ça fait 20 ans et le meilleur est devant moi! », lance-t-elle à Droit-inc.

Difficile d’imaginer une finissante du secondaire aspirant à une carrière de ballerine devenir la première femme à occuper le poste de juge-avocate-générale (JAG) des forces canadiennes. C’est pourtant ce que Me Geneviève Bernatchez a fait.

« Au final, les deux sont similaires : je mets un costume tous les jours et je dois constamment faire preuve d’une extrême discipline! »

Il faut dire que du jour au lendemain, un diagnostic a changé sa vie.

À l’âge de 16 ans, alors qu’elle excelle en danse classique au programme récréatif de l’école Pierre Laporte, une blessure au genou gâche tout. « J’étais concentrée sur mon avenir de danseuse classique. La transition a été longue pour moi : il n’y avait rien qui m’intéressait comme la danse. »

À l’époque, la future avocate était loin de se douter que les valeurs qui lui avaient été inculquées la mèneraient à occuper un rôle historique dans les forces canadiennes…

Fruit du hasard

La commodore Bernatchez au forum de Halifax.
La commodore Bernatchez au forum de Halifax.
Cégépienne, Me Bernatchez ne sait toujours pas pour quelle organisation elle aimerait travailler. Un jour, une de ses meilleures amies lui demande de l’accompagner à un examen d’admission à la réserve navale.

« Elle était trop timide et comptait sur mon support! Lorsqu’elle a réalisé qu’elle ne pourrait pas m’emmener dans la salle d’examen en tant qu’accompagnatrice, elle m’a demandé de le passer avec elle et j’ai accepté! »

Rapidement, la recrue se plaît dans l’armée, si bien qu’elle accepte de s'enrôler officiellement à l’âge de 18 ans. À ce moment-là, elle voit la réserve comme un emploi d’étudiante.

« Pour moi le choix était facile : j’aimais bien mieux passer mon été à la réserve que coincée dans un fast-food! »

Lors des années qui suivent, c’est la grande aventure : elle passe ses étés en mer sur de grands bateaux. Deux soirs par semaine lors de ses études, elle travaille au sein de la réserve.

L’appel du large

En 1992, alors qu’elle vient de compléter son stage du Barreau au sein de Byers Casgrain (aujourd’hui nommé Fraser Milner Casgrain) elle reçoit un appel des forces canadiennes.

« Ils avaient besoin d’une commandante pour un de leur navire-école pour tout l’été. L’appel du large a été plus fort que tout : je n’ai pas pu refuser leur offre! »

Cinq ans plus tard, elle utilise ses connaissances en droit pour intégrer le bureau du JAG. À ce moment, elle n’envisage d’aucune manière à en prendre éventuellement la tête.

Me Bernatchez reçoit le prix CCDI pour un juriste du secteur public.
Me Bernatchez reçoit le prix CCDI pour un juriste du secteur public.
Pour elle, chaque promotion est une « petite surprise » jusqu’au jour où la plus grosse décision de sa carrière l’attend, 20 ans après son arrivée au bureau du JAG.

« Mon prédécesseur annonçait sa retraite. J’avais envie de tenter de prendre sa place, mais d’un autre côté, j’étais tellement heureuse dans les fonctions que j’occupais. »

Après une retraite familiale au Mont-Tremblant, ses intentions sont claires : l’envie de réformer le système juridique militaire est trop forte pour refuser une telle opportunité.

Révolution

Un peu plus d’un an après sa nomination au titre de JAG, Me Bernatchez remplit bien ses intentions initiales : à l’aide de son équipe, elle mène une réelle réforme du système juridique.

« Je ne m’attribue pas tout ce mérite! Pour faire de grandes réformes, il faut être nombreux à y adhérer, à ne pas accepter le statu quo et à vouloir avancer. »

Les Forces canadiennes insèreront notamment dans le système de justice militaire la charte du droit des victimes qui existe déjà dans le système canadien. Cela donnera aux victimes un droit de protection, de représentation et d’expression plus fort.

« C’est un soutien nécessaire aux victimes du moment où ils déposent une plainte jusqu’à ce que leurs attentes soient satisfaites. »

Également, si le projet C-77 est accepté, les procès sommaires seront remplacés par des audiences disciplinaires.

Pour les entorses disciplinaires militaires de bas niveau, telles qu’une absence au travail ou un retard, il n’y aura plus de conséquences pénales ni criminelles.

Pionnière

Me Bernatchez a tenu un forum lors de la journée internationale de la femme.
Me Bernatchez a tenu un forum lors de la journée internationale de la femme.
Rares étaient les femmes qui occupaient le poste de commandantes. Jamais une femme n’avait auparavant été JAG.

Ce n’était rien pour décourager Me Bernatchez.

« Je ne me suis jamais demandé si mes ambitions étaient réalistes pour une femme. Moi ce qui m’intéressait, c’était les qualités de Geneviève...ça ne se limitait pas aux qualités d’une femme. Si j’étais assez qualifiée, je savais que je ferais ma place. »

Reste que le climat dans lequel elle a intégré les forces n’était pas inclusif. À ses débuts, avant des décisions judiciaires du Tribunal de la personne, plusieurs postes n’étaient pas ouverts aux femmes.

« On a fait des pas de géants depuis. Le #MeToo n’existait pas. Aujourd’hui, les inconduites sexuelles ne seront plus tolérées. C’est une évolution énorme. »

Récompensée

Lors de la dernière année, la JAG a reçu deux honneurs importants : le prix du juriste du secteur public ainsi qu’une récompense de l’Association des diplômés en droit de l’Université de Montréal pour son parcours exceptionnel et sa contribution au rayonnement de la faculté de droit.

« J’ai amené ma mère à la cérémonie à l’Université de Montréal. C’est elle et mon père, aujourd’hui décédé, qui m’ont permis d’accomplir tout ça. »

Ce sont ses parents, qu’elle qualifie de « ses cheerleaders les plus bruyantes dans les gradins » qui l’ont financièrement aidée à compléter son baccalauréat.

Aujourd’hui, elle espère que plusieurs étudiants en droit s’inspireront de son parcours afin de découvrir le monde du droit militaire, rappelant que son bureau est toujours à la recherche de nouveaux talents...


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